Les coups de cœur de Vianney Descroix

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°40 - 18 novembre 2020 (page 51-54)
Information dentaire
La santé n’est pas une absence de maladie. Elle est, selon l’OMS, la conjonction d’un bien-être physique, psychique et social. L’année 2020 le confirme, l’affirme, le revendique. Nous l’illustrons ici au travers d’une trilogie du bien-être pour soi, pour les autres et pour l’Humain.

L’autocompassion pour protéger du burn-out

Du virus respiratoire au roman d’Emmanuel Carrère en passant par le destin funeste et tragique de Georges Floyd, le souffle est sans nul doute la métaphore de l’année 20. Si « I can’t breath » demeure le symbole d’une cruauté sauvage et vaine, de l’emballement des forces du désordre, il pourrait tout aussi bien être l’analogie des soignants qui, à bout de souffle, ne savent plus comment prendre soin de l’Autre. Comment honorer un serment d’Hippocrate, soumis à des injonctions paradoxales, des plus étouffantes : celles de patients impatients, d’une administration aveugle, de créanciers avides, d’une crise sanitaire morbide…

Comment alors continuer à prendre soin sans perdre sens ?

Le souffle perdu, c’est la mort assurée, celle du corps évidemment celle de l’âme éperdument. Une dépréciation de soi, une perte de l’estime, de l’envie et du plaisir. Il faut le dire et l’écrire, il n’est pas permis, il n’est pas concevable de prendre soin de l’Autre, si d’abord, avant tout, on ne prend soin de soi. Et cela n’est pas une forme moderne d’égoïsme ou de narcissisme, c’est simplement de l’hygiène. De la même façon qu’il est largement préconisé de se brosser régulièrement les dents, il est absolument essentiel, de prendre soin de soi.

L’épidémie de la Covid 19 a mis – et continue de mettre – les équipes médicales hospitalières comme en ville, dans des situations de grande tension allant parfois jusqu’à l’épuisement des professionnels, le fameux burn-out. Au-delà de la situation exceptionnelle de crise, le métier de soignant est un métier à risque de fatigue, d’épuisement, faisant craindre une perte de sens. La prévention de cet état est heureusement possible et connue. Parmi toutes les méthodes reconnues comme efficaces, nous retiendrons l’autocompassion comme une aide essentielle. L’autocompassion est une variable individuelle relativement nouvelle (en Occident). Elle fait référence à l’observation et à la compréhension sans jugement de sa propre douleur, de ses échecs et de ses erreurs*. Elle est conceptualisée comme comprenant trois composantes interdépendantes : (1) la gentillesse de soi par opposition au jugement de soi. La gentillesse à son égard consiste à offrir de la gentillesse et de l’empathie à soi-même tout en s’abstenant de jugement et d’autocritique, tandis que le jugement de soi implique d’être hostile à ses pensées, ses sentiments et sa valeur globale ; (2) l’humanité commune contre l’isolement, qui renvoie à la croyance que tout le monde est sujet aux erreurs et aux échecs, tandis que l’isolement se réfère au sentiment d’être coupé des autres en raison des émotions de honte dues à ses insuffisances ; et enfin (3) la pleine conscience par rapport à la suridentification ou à l’évitement. Cela fait référence au fait d’être conscient et d’accepter le moment présent, ainsi que toutes les pensées et sentiments qui l’accompagnent (qu’ils soient agréables, désagréables ou neutres), sans y réagir ni les juger**, par opposition à la rumination sur ses limites. L’autocompassion, telle que définie ci-dessus, a été positivement liée à un certain nombre de résultats comportementaux souhaitables, tels que la satisfaction à l’égard de la vie, et négativement liée à des résultats indésirables tels que la rumination, l’évitement et la dysrégulation émotionnelle globale. L’autocompassion est aussi corrélée à de plus faibles scores de burn-out chez les soignants. Prophylactique, elle redonne du souffle. Simple d’apprentissage, elle se pratique au quotidien et au final soulage et apaise.

* Pour aller plus loin, voir les travaux de Krsitin Neff spécialiste internationale de la compassion : https://self-compassion.org.

** Pour aller plus loin, voir les travaux de Paul Gilbert : Pleine conscience et compassion, éditions Elsevier Masson, 2015.

• Hashem Z, Zeinoun P. Self-compassion explains less burn-out among healthcare professionals. Mindfulness (N Y). 2020 Sep 10 ; 1-10.

L’empathie pour protéger de la douleur

Les humains ont la capacité d’évaluer la douleur des autres et, ainsi, de fournir des soins adaptés dans le but de la réduire. Il est aujourd’hui acquis que développer et user de compétences empathiques est une qualité essentielle pour les soignants. L’empathie est utilisée pour décrire une variété de phénomènes psychologiques distincts, couvrant un large spectre. Ainsi, on pourra retenir le fait de ressentir de l’inquiétude pour les autres, ce qui crée une motivation à les aider ou à prendre soin d’eux ; vivre des émotions qui correspondent aux émotions d’un autre individu, à savoir ce que l’autre pense ou ressent et à brouiller la ligne entre soi et l’autre.

 

En médecine, l’empathie* est parfois définie comme une compétence communicationnelle ou comme une expérience émotionnelle dans laquelle les soignants identifient et vivent temporairement l’état émotionnel de leurs patients. Pour être perçu comme empathique, le soignant doit transmettre cette compréhension au patient. Dans un sens plus commun, l’empathie, perçue par les patients, signifie généralement autre chose : une attitude « humaniste » du soignant, caractérisée par l’attention, la bienveillance, l’expression d’un souci pour le bien-être du patient ainsi qu’une capacité à écouter attentivement et à répondre chaleureusement. Les programmes éducatifs et les modèles théoriques ont souligné le rôle positif de l’empathie des soignants pour réduire l’intensité de la douleur. À l’inverse, il est admis que si les soignants manquent d’empathie, ils sous-estimeront l’intensité de la douleur chez leurs patients, ce qui peut générer une influence négative sur la perception de l’intensité de la douleur.

Les chercheurs de l’équipe d’intégration centrale de la douleur chez l’homme (NeuroPain, Lyon France) ont abordé cette thématique en créant un modèle expérimental imitant un environnement médical où les sujets de l’étude, tout en endurant des stimuli douloureux, recevaient des commentaires soit empathiques, soit non empathiques. Une rétroaction positive (empathique) à propos de cette douleur a pu réduire la perception de l’intensité de 12 % par rapport à la douleur initiale, tandis que la rétroaction négative (non empathique) n’a pas induit de changements. Ces chercheurs ont pu également décrire les corrélats neuronaux d’un tel phénomène. Ainsi, les commentaires empathiques et non empathiques semblent être intégrés différemment dans les structures cérébrales corticales généralement impliquées dans le traitement des attitudes des autres, la conscience de soi et le rappel autobiographique. La perception subjective de l’intensité de la douleur est le résultat d’une interaction entre différentes régions du cerveau, et un certain nombre de réseaux semblent être étroitement couplés. L’augmentation de la connectivité fonctionnelle du cortex insulaire en condition empathique peut refléter un processus de contrôle sur une région centrale du traitement de la douleur, induisant une réévaluation de la perception de l’intensité de la douleur. Le recrutement de ces zones cérébrales par l’écoute de la rétroaction empathique des autres est impliqué dans la réduction de la douleur. L’ensemble de ces données permettent d’identifier de nouvelles cibles anatomiques et des méthodes non pharmacologiques pour induire un soulagement efficace de la douleur. L’empathie est une compétence psychosociale indispensable dans la vie quotidienne, elle est un arsenal thérapeutique majeur en médecine humaine, elle s’apprend, elle s’exerce, elle se prescrit.

Soyons empathiques, c’est antalgique !

* Pour aller plus loin, lire les travaux de Jean Decety, L’empathie en médecine, Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 2020 ; 178 (2):197-206.

• Fauchon C et al. Brain activity sustaining the modulation of pain by empathetic comments. Sci Rep 2019 ; 9 (1) : 8398.

La présence donne du sens

Les temps modernes (en réalité post-modernes) sont particulièrement propices à la dispersion et au vagabondage dans la vie quotidienne, tout comme dans nos pratiques de soins. Les contraintes de temps – souvent chronophages –, la technologie et les exigences administratives entravent souvent le lien humain, au cœur des soins cliniques, contribuant au mécontentement des soignants et des patients. C’est un peu comme si nous étions absents de notre relation de soin, dissociés par de multiples tâches à accomplir en même temps. Les impératifs de la pratique de la médecine moderne présentent de nombreux obstacles à la capacité des soignants à fournir des soins humanistes centrés sur le patient et de défendre les valeurs de la médecine.

Ce décalage entre le temps et les attentes, associé à la frustration des soignants, peut conduire à l’épuisement émotionnel, voire au burn-out. Il serait opportun d’acquérir une gymnastique du quotidien nous permettant d’être chaque fois un peu plus présent, être pleinement présent. Le mot présence fait référence à une pratique délibérée de prise de conscience, de concentration et d’attention orientée dans le but de comprendre et de se connecter avec ses patients. Les relations interpersonnelles des soins somatiques donnent aux soignants un regard et une connaissance de l’autre qui ne peut pas être obtenu autrement et certainement pas à partir d’un dossier de santé électronique. Cette anamnèse centrée sur le patient dans sa globalité (par exemple, ce qui est important pour lui ; comment les symptômes affectent sa vie toute entière, ses objectifs et ses préférences pour le traitement) cultive à la fois le respect mutuel et instaure l’établissement de la confiance entre patients et soignants. Outre humaniser le soin, cela peut également réduire une mauvaise communication et renforce la surveillance permettant d’éviter une erreur médicale.

L’équipe de Donna Zulman, de Stanford, est reconnue pour ses travaux sur la relation au cours du soin. Elle propose cinq recommandations pour une pratique qui favorise la présence du soignant et sa connexion avec les patients lors des soins : (1) se préparer avec l’intention de rentrer en contact (prendre un moment pour se préparer et se concentrer avant de saluer un patient) ; (2) écouter attentivement et complètement (s’asseoir, se pencher en avant, éviter les interruptions) ; (3) convenir de ce qui compte le plus (découvrir ce qui intéresse le patient et intégrer ces priorités dans le déroulement de la consultation) ; (4) connecter avec l’histoire du patient (tenir compte des circonstances de la vie qui influencent la santé du patient ; reconnaître les efforts positifs ; célébrer les succès) ; et (5) explorer les indices émotionnels (remarquer, nommer et valider les émotions du patient).

Ces recherches sont encore débutantes et déjà nous voyons se dessiner les grands réflexes qui permettraient d’être le plus présent possible pour des soins humanistes, centrés sur le patient. L’objectif est tout à la fois une plus grande satisfaction du soignant, une plus grande confiance dans la relation et des soins toujours plus satisfaisants.

• Zulman DM, et al. Practices to Foster Physician Presence and Connection With Patients in the Clinical Encounter. JAMA 2020 ; 323 (1) : 70-81.

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