En 2020, avec la crise du coronavirus, les réseaux sociaux virtuels, déjà omniprésents dans nos sociétés, ont franchi un palier supplémentaire. Alors qu’on leur reproche de se substituer trop souvent aux véritables liens et relations sociaux, ils sont devenus pendant toute la période du confinement le seul lien social persistant capable de maintenir un minimum de relations entre une majorité de Français confinés.
Dans notre faculté d’odontologie de Lorraine, comme dans toutes les autres facs en France, les cours et les travaux pratiques se sont arrêtés net, tandis que dans les lieux de stage hospitalier du CHRU de Nancy, une petite minorité d’externes de 5e et de 6e année était convoquée tour à tour pour assurer les seuls accueil des patients et distribution de matériel pour les soins d’urgence exclusivement dispensés par une majorité de praticiens hospitaliers mobilisés.
Rétablir le lien
Le 1er avril, soit quinze jours après le début du confinement national du 17 mars, j’ai voulu relancer une initiative que j’avais déjà expérimentée en 2009 pour proposer à nos étudiants, via un groupe créé sur le réseau social Facebook, de réfléchir et d’échanger sur des cas ou situations cliniques publiés (fig. 1). Au printemps dernier, ma première idée était alors de rétablir le lien brutalement suspendu entre les enseignements et les étudiants, mais aussi entre les étudiants eux-mêmes. Facebook fut à nouveau choisi cette année, car la plupart de nos étudiants y ont un compte et que la structure du site est particulièrement bien adaptée pour faciliter et organiser ce type de publication. Ainsi est né le groupe des Questions dentaires des confinés, avec pour ambition la création d’un moyen de continuité pédagogique uniquement réservé aux étudiants et enseignants de la faculté d’odontologie de Lorraine. Le groupe fut d’emblée ouvert aux différentes propositions d’évolution et annonçait le projet de questions de cours destinées aux étudiants de 2e et de 3e année encore trop peu concernés par les réflexions cliniques.
Quelques jours après une invitation envoyée par e-mail, une immense majorité d’étudiants, mais aussi d’enseignants de la faculté ont demandé à adhérer à ce groupe qui n’avait pourtant rien d’officiel ni d’obligatoire. Si quelques enseignants n’y ont adhéré que par curiosité, la plupart d’entre eux se sont investis dans son animation, mais aussi dans son évolution, tandis que les étudiants y participaient avec un enthousiasme grandissant. Le « groupe des confinés » est rapidement devenu celui de toutes celles et ceux qui l’ont fait vivre par leurs publications en tous genres.
Des quiz de questions de cours animés en direct et d’abord proposés aux 2e et 3e années à 20 heures, une fois par semaine, ont rapidement complété les cas cliniques proposés (fig. 2). Puis notre collègue Morgane Hambourger, AHU en odontologie pédiatrique, a proposé et animé une réflexion clinique en direct sur le modèle du dossier clinique progressif qui serait plus tard le modèle retenu pour l’examen final de 5e année. Cette même idée fut alors reprise Maï-Linh Tran et Marilyne Seng en ODF, puis par d’autres départements chaque mardi soir.
L’esprit gentiment “chambreur” et le lien direct créé par les échanges de commentaires au cours des quiz questions de cours furent ensuite également proposés aux 4e et 5e années. Mon ami Michel Bartala, MCU-PH en prothèses à Bordeaux, a aussi répondu à mon invitation et nous a rejoints en proposant un cas clinique pour donner à nos étudiants un point de vue d’enseignant extérieur à leur faculté (fig. 3). Puis le groupe Id a accepté de soutenir nos quiz en offrant une année d’abonnement à L’Information dentaire aux vainqueurs finaux de chaque année, ajoutant un nouvel enjeu pour nos participants (fig. 4).
Un effet boule de neige
Pendant toute la durée du confinement de printemps et jusqu’aux vacances, des initiatives nouvelles et inédites se sont multipliées au sein de notre groupe pour assurer une manifestation chaque soir de la semaine : David Joseph, MCU-PH en parodontologie, a animé un quiz dont les réponses devaient obligatoirement commencer par « la RONEO a dit… », une idée ludique et pédagogique qui se moquait gentiment du support de prise de notes en cours mutualisé par les étudiants, donnant lieu parfois à une répétition de réponses identiques et farfelues dans les copies d’examen d’une même promotion. D’autres initiatives ont aussi donné lieu à des quiz pour toutes les promotions comme celle portée par le département Prévention/Épidémiologie et co., en lien avec des campagnes mondiales de prévention comme celle de l’Organisation Mondiale de la Santé sur l’hygiène des mains. En parallèle, les étudiants ont eux aussi animé un quiz à l’attention des enseignants sur le thème « Connaissez-vous vos étudiants ? ». Ce à quoi a répondu un quiz homologue (« Connaissez-vous vos enseignants ? ») préparé par Marin Vincent (MCU-PH en OCE). Même ma fille Emma (11 ans) a proposé et animé des questions sur l’univers Harry Potter et autres personnages bien connus de nos participants (fig. 5). Elles se sont imposées comme un incontournable des derniers quiz, et ont révélé une incroyable expertise de certains de nos étudiants dans ce domaine extra-dentaire !
Le groupe fut aussi l’occasion de publier des liens vers des conférences en ligne, en particulier celles proposées par L’Information Dentaire, mais aussi des articles ou autres informations publiées par nos enseignants comme un document très complet sur le risque infectieux en chirurgie orale spécialement préparé par notre collègue Charlène Kichenbrand, en attente de la tenue de son concours de qualification aux fonctions de MCU-PH (validé depuis !).
Ainsi, mon coup de cœur de l’année concerne ce lien particulier qui s’est créé entre nos enseignants et avec tous nos étudiants engagés dans le développement et l’animation de ce groupe pendant cette période si particulière, les initiatives proposées par les uns et les autres, mais aussi ces vraies rencontres entre des enseignants qui n’avaient pas forcément l’habitude de collaborer, ou avec des étudiants qu’on a appris à connaître différemment tout en continuant à leur enseigner, mais d’une tout autre façon… De vraies rencontres et de vrais enseignements grâce à un réseau social virtuel ouvrant de nouvelles perspectives à creuser et à transposer, tel est mon coup de cœur de l’année…
Des acteurs du groupe des confinés témoignent…
Céline Clément, MCU-PH, vice-doyen en charge de la pédagogie générale et responsable du département de Prévention, Épidémiologie, Économie de la Santé, Odontologie légale à la faculté d’odontologie de Lorraine
À mon sens, les bénéfices pédagogiques de ce groupe pendant le confinement de printemps ont été multiples : la possibilité de (re)mobiliser des connaissances sans stress, sans évaluation, toujours avec humour et bonne humeur ! C’était même le mot d’ordre. Les questions étaient préparées consciencieusement en amont par les enseignants permettant ainsi de mettre en exergue les points fondamentaux à retenir ou à travailler. Au-delà de la pédagogie pure, le lien maintenu avec nos apprenants tout au long de ce confinement (et même après), les échanges et brainstorming nombreux furent d’une richesse incroyable. Nous étions tous (apprenants et enseignants mobilisés) un peu tristes quand cette heureuse initiative imaginée par Pascal De March a pris fin… en juillet !
En termes de quiz, le 3 mai 2020, le département de prévention a organisé le premier quiz interpromo dans le cadre de la campagne annuelle lancée par l’OMS « Sauvez des vies, pratiquez l’hygiène des mains » : cette thématique, loin d’être nouvelle, était alors (et reste) particulièrement d’actualité… En organisant ce challenge des connaissances, nous avons pu valoriser ces enseignements (pas toujours aussi appréciés que les enseignements cliniques) que nous réalisons à Nancy de l’entrée en Odontologie jusqu’en 6e année. Le 10 mai, nous avons coorganisé avec les départements de parodontologie et d’orthopédie-dento-faciale le 2e quiz « Prévention et hygiène bucco-dentaire » dans le cadre de la Journée européenne de la santé gingivale. Cette année, le slogan était « non au saignement gingival ». Nous avons pu, grâce au groupe des confinés, démontrer encore une fois le rôle essentiel de la prévention pour tous nos patients, quels que soient leur âge et/ou leur problématique de santé, et passer ce message fort de manière ludique à toutes les promotions simultanément. Je suis extrêmement attachée à la transversalité de nos enseignements et notre équipe pédagogique travaille activement en ce sens depuis 2012 !
Anne-Sophie Vaillant, MCU-PH en prothèses et vice-doyen
en charge de la pédagogie clinique à la faculté d’odontologie de Lorraine
Pascal De March avait déjà animé des cas cliniques sur le réseau social Facebook en 2009, alors que je préparais le concours de l’internat. Cette initiative avait alors permis à une grande partie de ma promo d’améliorer notre réflexion clinique et scientifique, nous poussant à aller plus loin que la « simple » (mais néanmoins nécessaire) connaissance des cours. La version 2020 a eu les mêmes répercussions pour les étudiants, en cherchant peut-être à les faire travailler davantage sur les connaissances essentielles à appliquer dans un raisonnement clinique structuré, étant donné la situation difficile de rupture complète avec les enseignements cliniques et leurs enseignants dans l’environnement habituel des stages hospitaliers où ces notions sont d’ordinaire expliquées dans un cadre de pratique clinique.
Concernant les quiz que j’ai animés pour les 2e et 4e années, j’ai trouvé les étudiants très enthousiastes. Un noyau dur participait à tous les quiz et de nombreux autres répondaient de manière itérative mais moins systématique. La majorité des étudiants « non participants » lisait tout de même les fils de discussion, ce qui leur permettait de ne pas rompre le lien avec la faculté. J’ai été marquée par l’excellente ambiance qui régnait lors de ces quiz, la « peur » habituelle des étudiants à répondre aux enseignants semblait oubliée et cela a permis des échanges sérieux, mais très sympathiques et parfois très drôles.
Michel Bartala, MCU-PH en prothèses à la faculté d’odontologie de Bordeaux, rédacteur en chef de L’Information Dentaire
En tant que membre extérieur à la Faculté d’odontologie de Lorraine, la création de ce groupe m’a semblé une excellente initiative pédagogique, permettant de maintenir les étudiants dans leurs études sous une forme ludique. Je remercie Pascal De March de m’y avoir invité, pour apporter une vision d’une autre université sur des thèmes d’enseignements cliniques.
Ma perception de ce groupe a été très positive, avec une participation et une connaissance d’excellent niveau des étudiants. Cet échange avec des étudiants d’une autre université m’a beaucoup intéressé. De plus, le format de jeu avec des points a favorisé leur participation et, j’espère, l’acquisition ou la confirmation de connaissances et donc de compétences. Pascal a été de plus un animateur très performant. Un grand merci aux enseignants de la Faculté d’odontologie de Lorraine de m’avoir permis de participer à cette forme d’enseignement innovante.
Anne-Lise Gourdon et Ludivine Lorrain, gagnantes respectives des quiz en 5e et 3e années
Anne-Lise Gourdon :
Pendant le confinement, ce groupe des « dentaires confinés » était notre seul lien avec la vie universitaire. Au départ, ce groupe a été créé afin de maintenir une continuité pédagogique pour les étudiants intéressés ; je ne pense pas que les professeurs s’attendaient à un tel succès. Pourtant, de plus en plus d’étudiants, de la 2e à la 6e année, l’ont rejoint et il a pris une nouvelle dimension, plus familiale : c’était comme jouer avec ses amis. Les profs, sous un jour moins formel, ont joué le jeu et participé au détournement ludique et bon enfant du groupe. Ainsi, cela nous a permis, bien entendu, de tester et parfaire nos connaissances odontologiques avec, notamment, les cas cliniques qui nous ont fait un excellent entraînement pour le CSCT [examen des connaissances et compétences cliniques de fin de 5e année, Ndlr], mais également de parfaire nos connaissances plus « à la marge » avec les révisions de nos grands classiques (Star Wars, Harry Potter et j’en passe…) et, surtout, le meilleur quiz qui fut : « Connaissez-vous bien vos professeurs ? ».
Ludivine Lorrain :
Le groupe des questions des confinés était vraiment une chouette idée pour cette période de confinement, notamment sur Facebook qui nous a permis de nous affranchir du contexte officiel de l’université. L’ambiance était détendue tout en nous permettant, par le biais des quiz, de rester à jour dans nos connaissances et d’échanger tous ensemble, enseignants et étudiants. Les quiz « Connaissez-vous vos enseignants ? » et « Connaissez-vous vos étudiants ? » resteront pour moi parmi les éléments marquants. Le second, réservé aux enseignants, nous a valu quelques fous rires mémorables.
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