Grand Prix éditorial RC 2023 Dentisterie Esthétique
3e lauréats : Léa Massé, Cyprien Clark et Sonia Betin
Léa Massé
CCU-AH Prothèses,
UFR des sciences odontologiques de Bordeaux, CHU de Bordeaux
Cyprien Clark
Externe,
UFR des sciences odontologiques de Bordeaux,
CH de Mont-de-Marsan
Sonia Betin
Prothésiste dentaire,
Laboratoire Corus Bertin,
Bordeaux
Aza (19 ans) se présente en consultation pour trouver une solution à son édentement canin bilatéral maxillaire (fig. 1). Elle est adressée par son orthodontiste à la suite d’échec de traction orthodontico-chirurgicale de 13 et 23 incluses. La patiente évoque deux greffes muco-gingivales réalisées au niveau des récessions de 14 et 24 sans résultat satisfaisant. L’absence de ses canines est palliée par un TOSI qu’elle trouve inesthétique et inconfortable (fig. 2-3). Elle souhaiterait une solution fixe, esthétique et sans étape de chirurgie supplémentaire.
Objectifs thérapeutiques
Le choix thérapeutique s’est porté sur deux bridges collés mono-ailette céramiques. Cette solution prothétique permet de répondre à la triple problématique clinique rencontrée. (i) Problématique ontogénique : la croissance conditionne la décision thérapeutique du fait des risques de dysharmonies esthético-fonctionnelles à moyen/long terme [1, 2]. Le pontique migrera de concert avec sa dent support, ne subissant alors pas l’épreuve de la croissance. (ii) Problématique esthétique : les canines, clés de voûte de l’arcade, sont autant sollicitées dans le dessin de la ligne du sourire que dans l’expression faciale générale. Le TOSI en place est inesthétique et la ligne des collets n’est pas respectée (fig. 2).
Notre choix de morphologie conditionnera l’individualité du sourire et la façon dont il est perçu. La selle des pontiques sera contra-muqueuse pour une bonne intégration esthétique, un aménagement muco-gingival n’étant pas possible du fait de la position des canines incluses. La patiente présente une ligne du sourire de classe III (classification de Liébart et al. [3]), paramètre favorable quant à cet impératif pontique. (iii) Problématique fonctionnelle : ici, les canines ne devront pas avoir de rôle dans la mastication ou encore exercer leur fonction de guidage en diduction et de protection des dents cuspidées. Une fonction de groupe avec prise en charge exclusive des deux prémolaires sera recherchée et un aménagement des faces palatines des pontiques sera effectué afin de lever leur prise en charge dans les contacts occlusaux.
En remplacement des incisives centrales et latérales, le bridge collé mono-ailette céramique a prouvé son efficacité sur le long terme avec des taux de succès de 100 % à 10 ans [4, 5] et serait la solution prothétique à privilégier avant 40 ans, devant l’implant unitaire [6]. Son indication s’est étendue au remplacement canin et postérieur avec un taux de succès de 96,3 % (infrastructure zircone [7]) et taux de survie de 100 % (infrastructure vitrocéramique renforcée [8]) pour un suivi allant jusqu’à 7 ans.
Après analyse occlusale favorable, notre choix matériau s’est porté sur de la vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium en méthode pressée (résistance à la flexion ∼500 MPa) pour son aptitude au collage et ses propriétés optiques excellentes [9]. Nous rechercherons une connexion de 16 mm2 et une épaisseur > 0,7 mm [8].
Séquences cliniques
Première séance : préparation de la prémolaire support
Après la dépose du TOSI, les zones de contact occlusal à éviter ou à éliminer sont prévisualisées. À l’aide de papier à articuler, les contacts statiques et dynamiques sont marqués et guideront la préparation (fig. 4). La zone à préparer a ensuite été coloriée au feutre pour guider le fraisage minimalement invasif (fig. 5).
La préparation est conservatrice, strictement amélaire et en position supra-gingivale. Ses étapes adaptées pour une préparation prémolaire sont au nombre de trois [11] et suivent les critères des préparations références pour incisive centrale [10-12]. Sont ainsi réalisés (fig. 6-9) :
- Un épaulement à angle interne arrondi de 0,8 mm d’épaisseur, du point le plus distal de la face palatine jusqu’au centre de la face mésiale. Il est situé à 0,5-1 mm du feston gingival. S’il n’a aucun rôle rétentif, il participe néanmoins à la stabilisation du bridge en assurant une assise à l’ailette.
- Une boîte de connexion de 16 mm2 en regard de la zone édentée. Elle est une niche à l’épaisseur de matériau recommandée qui garantit la résistance du bridge dans cette zone de fortes contraintes mécaniques.
- Une corniche palatine de 0,8 mm de profondeur qui permet de protéger le joint de colle des forces de clivage et pelage.
Le choix de ne pas recouvrir la cuspide palatine est motivé par un souhait de préservation tissulaire maximale et une libération occlusale de la prothèse. Aussi, le galbe naturel de la face palatine de la prémolaire agit comme une agrafe de renfort contrebalançant le porte-à-faux pontique [11]. Cette préparation respecte la surface d’émail minimale de 30 mm2 nécessaire au collage [10].
Deuxième séance : collage
Après essayage et validation des prothèses, le collage des bridges (fig. 10) se fait sous champ opératoire selon un protocole de collage pour disilicate de lithium [13].
L’assemblage suit quatre étapes :
1. Isolation, un champ opératoire strict est mis en place et parfait par des ligatures, téflon ou digue liquide (fig. 11).
2. Préparation des pièces prothétiques : (i) mordançage à l’acide fluorhydrique (9,5 %) de l’intrados des ailettes pendant 20 secondes. La matrice vitreuse est dissoute et laisse le réseau cristallin à nu, créant alors des microrugosités de surface ; (ii) traitement des surmordançages avec l’application d’acide orthophosphorique (37 %) pendant 120 secondes. Cet acide n’a aucun effet sur la céramique elle-même, il permet d’éliminer des résidus cristallins fracturés pendant le mordançage, présents sur la surface à coller et défavorables au collage ; (iii) après un rinçage abondant et un séchage, l’étape clé du protocole de collage est réalisée, à savoir une application douce de silane pendant 60 secondes. Des ponts siloxanes (Si-O-Si) sont créés entre la céramique et le silane, lui donnant le rôle de véritable promoteur d’adhésion. Il permettra l’adhésion chimique avec le composite d’assemblage. Les pièces sont laissées à l’air libre pour séchage.
3. Préparation tissulaire : les surfaces amélaires sont sablées (Al2O3, 30 µm, 2 bars) avant d’être mordancées à l’acide orthophosphorique (37 %) pendant 30 secondes. Après rinçage et séchage, un adhésif universel (fluidité importante et faible épaisseur de joint) est appliqué vigoureusement sur les microrugosités créées avant d’être séché jusqu’à élimination des solvants et photopolymérisé.
4. Assemblage : un composite sans potentiel adhésif est appliqué sur l’intrados des ailettes, et le collage est réalisé avec clés résines de repositionnement pour une parfaite insertion des bridges (fig. 12). Après élimination des excès de colle au pinceau pour obtenir une uniformité de joint sans hiatus, une première photopolymérisation vient fixer les pièces. Les clés peuvent être retirées et une nouvelle série de photo-polymérisation est initiée (20 secondes/face à renouveler trois fois). Une dernière photo-polymérisation sous gel de glycérine permet la prise complète du joint de composite en évitant une couche superficielle inhibée par l’oxygène.
Une fois le champ opératoire retiré, un contrôle en occlusion doit objectiver une absence totale de contact au niveau des zones de connexion et des pontiques. Les méthodes d’hygiène sous-pontiques sont prodiguées à la patiente.
Suivi
À 6 mois, l’intégration esthétique est très satisfaisante (fig. 13-15). La patiente a été revue à 11 mois et aucune complication n’est à noter.
Discussion
Le choix de la vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium pour l’infrastructure du bridge collé mono-ailette céramique, bien que prometteur en termes de résultats antérieurs, nécessite une attention particulière. Malgré ses avantages (aptitude au collage et propriétés optiques), peu d’articles scientifiques décrivent son utilisation, surtout dans le secteur postérieur (ex. : 8). La zircone de haute ténacité (3Y-TZP) est privilégiée pour sa résistance élevée et sa fiabilité dans les zones soumises à des contraintes importantes (ex. : 7). Certaines données biomécaniques relatives à la géométrie cantilever ont été décrites par Jean-Pierre Attal et coll. [14]. Ces derniers expliquent la formule littérale de cette construction en porte-à-faux : F=Rm b h2 / 6 L*. Ils notent l’importance de la résistance du matériau (Rm) et prônent, eux aussi, l’utilisation de la zircone 3Y-TZP dans l’infrastructure des bridges collés postérieurs [14]. Comparativement à la zircone, la vitrocéramique présente des propriétés mécaniques inférieures, avec une résistance à la flexion avoisinant les 500 MPa contre des valeurs supérieures à 1100 MPa pour la 3Y-TZP. Cette différence peut avoir un impact sur la durabilité et la résistance du bridge, notamment dans un contexte de forces occlusales importantes. En outre, ces mêmes auteurs insistent sur la hauteur (h) de la connexion qui doit être la plus importante possible et invitent à abaisser la limite de préparation et à verticaliser la face proximale [14]. Dans un deuxième article, spécifique à la connexion-matériau, ils valident une section minimale nécessaire de 9,5 mm2 [15], non loin de celle recommandée par Kern (9 mm2, [7]).
Ainsi, pour notre cas clinique, opter pour de la vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium comme matériau d’infrastructure implique un risque non négligeable.
Notre section de connexion (ex. :16 mm2) respecte les recommandations de Sailer et al. [8], mais si l’on suit la logique de Attal et coll. [15] dans leur proposition de calcul de la valeur de connexion et si l’on réalise une extrapolation des valeurs pour les bridges canins-prémolaires en vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium, notre connexion serait insuffisante. En effet, en admettant que les contraintes en position canine sont potentiellement deux fois plus importantes que celles rencontrées en antérieur [15], le bh2 (mm3) antérieur devrait être multiplié par 2 (ex. :41,6 mm3 × 2), ce qui donnerait une section de 19,2 mm2. Il est néanmoins important de noter que dans le cas présenté ici, les connexions et les pontiques ont été déchargés de tout contact statique et dynamique (ex. : fonction de groupe avec prise en charge unique des deux prémolaires). Un contrôle régulier est, et sera, réalisé tous les 6 mois – 1 an, pour veiller à cette décharge mécanique. De plus, notre choix de géométrie d’ailette qui n’intéresse pas de cuspide et qui englobe la face palatine de la prémolaire support permet d’avoir les 3 mm de recouvrement minimal requis [14], dispense l’ailette de contact et garantit un h important du fait de sa position à 0,5-1 mm du feston (fig. 9).
Si la zircone 3Y-TZP doit être le matériau à privilégier pour cette thérapeutique de bridge collé postérieur [14, 15], des études comparatives plus poussées entre la zircone et la vitrocéramique dans l’infrastructure de bridge collé, en particulier dans le remplacement canin et sans prise en charge mécanique, pourraient fournir des données plus précises sur leur performance à long terme. En attendant, une surveillance étroite est essentielle pour assurer le succès à long terme de cette thérapeutique minimalement invasive.
Conclusion
Le bridge collé mono-ailette céramique est une thérapeutique minimalement invasive qui doit être envisagée dans le remplacement postérieur. La vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium se distingue particulièrement par son aptitude au collage et son rendu esthétique élevé, ce qui en fait un choix attrayant en secteur esthétique. Toutefois, il convient de noter que son utilisation dans le remplacement canin ne peut être envisagée pour des cas spécifiques et dont le contexte occlusal limite les contraintes mécaniques. Le suivi à plus long terme permettra de valider ce choix matériau en remplacement canin et ce design de préparation minimalement invasif.
*F : force que peut supporter une construction en porte-à-faux ; Rm : résistance du matériau pontique ; b et h : dimensions de la travée avec b correspondant à la largeur de la connexion dans le sens vestibulo-lingual et h correspondant à la hauteur dans le sens corono-apical ; L : distance qui sépare le point d’application de la force et la connexion du bridge.
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