La qualité microbiologique de l’eau des units dentaires

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°20 - 19 mai 2021
Information dentaire
L’eau est un élément essentiel lors des soins dentaires. Elle permet de rincer la bouche du patient (éviction des débris, pâte à polir, acide de mordançage…) et est indispensable à l’utilisation de l’instrumentation dynamique (fraises et inserts ultrasonores), pour rincer les débris (boue dentinaire et morceaux de tartre notamment), mais surtout pour refroidir les instruments et éviter une brûlure des tissus. L’eau issue de l’unit dentaire est utilisée au contact des muqueuses, mais aussi des vaisseaux sanguins (de la gencive et de la pulpe notamment), voire de l’os (lors des alvéolectomies par exemple). Elle peut donc être source d’infections associées aux soins si sa qualité microbiologique n’est pas maîtrisée.

Vrai/Faux

  1. L’alimentation de l’unit dentaire par de l’eau du réseau sans mesure particulière de traitement est sans risque.
  2. Un traitement chimique en continu de l’eau de l’unit dentaire permet à lui seul de garantir une bonne qualité microbiologique de l’eau.
  3. Il n’existe aucune procédure qui garantisse une maîtrise de la qualité microbiologique de l’eau de sortie d’un unit dentaire.
  4. Réaliser ponctuellement un prélèvement avec analyse microbiologique de l’eau de sortie de l’unit dentaire permet de s’assurer de la qualité bactériologique de l’eau et de l’efficacité des moyens mis en œuvre.

1 – L’alimentation de l’unit dentaire par de l’eau du réseau sans mesure particulière de traitement n’est pas sans risque.

FAUX. L’alimentation en eau est variable d’un pays à l’autre : en Europe, l’eau du réseau alimentait directement plus de 90 % des units dentaires en Allemagne, Grèce et Pays-Bas en 2006 [1] ainsi qu’en France en 2016 [2], alors qu’au Royaume-Uni les réservoirs d’eau indépendants étaient très largement répandus (96 %) [1].

En France, le réseau distribue de l’eau potable chlorée (concentration visée d’au moins 0,1 mg/l de chlore libre), légalement compatible avec les soins dentaires en cabinet de ville. Toutefois, les conduites d’eau des units dentaires présentent un environnement favorable au développement de biofilms bactériens (fig. 1 et 2) pour plusieurs raisons :

  • la qualité d’eau du réseau alimentant l’unit peut parfois être elle-même source de contamination [3-5] ;
  • une rétro-contamination de l’instrumentation par des fluides oraux issus du patient est possible en raison d’une efficacité partielle des dispositifs anti-retour [6, 7] ;
  • les nombreuses périodes d’inactivité de l’unit peuvent engendrer une stagnation de l’eau [4, 8] ;
  • les conduites d’eau de l’unit présentent un réseau long et complexe avec de multiples connexions (fig. 3) ; de plus, ces conduites sont de faibles diamètres, générant une surface de frottement importante et une vitesse d’écoulement de l’eau quasi-nulle au contact direct de celles-ci [4, 9] ;
  • ces conduites sont en plastique, matériau propice au développement bactérien [10].

Le biofilm se développant dans les conduites d’eau de l’unit dentaire relargue alors un certain nombre de micro-organismes dans l’eau. En conséquence, l’eau de sortie de l’unit dentaire contient souvent de nombreuses bactéries en quantité non négligeable [11, 12], pouvant inclure des bactéries pathogènes opportunistes telles que Pseudomonas aeruginosa [8, 13], Legionella pneumophila [8, 13-15] et des mycobactéries non tuberculeux [16]. L’eau de sortie de l’unit entre ensuite en contact avec le patient par voie cutanéo-muqueuse, par ingestion, et même par inhalation en raison de l’aérosolisation produite par l’instrumentation dynamique. Le chirurgien-dentiste et son assistant(e) sont eux-mêmes exposés à l’eau de l’unit par projections cutanéo-muqueuses et inhalation des aérosols produits. Les personnes immunodéprimées, notamment les personnes âgées, les patients diabétiques et ceux traités par immunosuppresseurs, sont particulièrement vulnérables aux bactéries pathogènes opportunistes issues d’un unit dentaire [17].

Quelques cas de légionellose due à la contamination de l’eau de sortie d’units dentaires ont ainsi engendré le décès de patients âgés en Italie [14] et en Suède [15], et possiblement le décès d’un chirurgien-dentiste [18]. Des patients immunodéprimés ont développé des abcès associés à Pseudomonas aeruginosa présent dans l’eau d’un unit dentaire [19]. Par ailleurs, un groupe d’enfants aux États-Unis a développé des infections à Mycobacterium abscessus à la suite de pulpotomies réalisées dans un établissement où l’eau des units était contaminée par ce micro-organisme [16, 20]. De plus, le risque infectieux concerne aussi les professionnels du cabinet dentaire qui présentent notamment une augmentation des anticorps anti-Legionella lorsqu’ils sont exposés à de l’eau contaminée [21-23]. Bien que l’incidence des infections d’origine hydrique en cabinet dentaire semble très faible (probablement sous-estimée du fait de la difficulté à démontrer le lien entre une infection d’origine hydrique et une contamination de l’eau de l’unit), ce risque ne doit pas être ignoré [3, 24]. Rappelons qu’en 2019, 1 816 cas de légionellose ont été notifiés en France par le système de déclaration obligatoire. L’exposition à l’eau d’un unit dentaire est toujours recherchée lors de l’enquête environnementale menée par les Agences Régionales de Santé (ARS) car elle est reconnue comme source possible de contamination en raison de sa production d’aérosols [25].

2 – Un traitement chimique en continu de l’eau de l’unit dentaire permet à lui seul de garantir une bonne qualité microbiologique de l’eau.

FAUX. Afin de maîtriser la contamination microbiologique de l’eau des units dentaires, l’utilisation de produits chimiques désinfectants est recommandée en association avec des procédures physiques [17]. En France, deux études ont montré que 62 à 71 % des chirurgiens-dentistes utilisaient un traitement chimique pour traiter en continu l’eau de leur unit dentaire [2, 26]. Toutefois, malgré l’utilisation de désinfectants, des bactéries hydriques comme Pseudomonas sp et Legionella sp peuvent être retrouvées dans l’eau de sortie de l’unit [27, 28], ce qui s’explique par différentes raisons :

– peu de désinfectants chimiques ont fait la preuve de leur efficacité en condition d’utilisation réelle sur le long terme [28, 29] ;

– les traitements chimiques intermittents sont fortement concentrés et offrent de bons résultats bactéricides à court terme, mais ils ne préviennent pas le développement d’un biofilm sur le plus long terme et leurs résultats sont donc significativement inférieurs aux traitements chimiques en continu [27, 30, 31] ;

– les traitements chimiques en continu sont faiblement concentrés afin de ne pas être toxiques [17]. Ils présentent donc une activité bactériostatique qui limite la croissance bactérienne, mais qui ne prévient pas la contamination des conduites d’eau ;

– des procédures physiques doivent compléter l’utilisation du produit chimique de désinfection [17].

C’est donc l’association entre traitement(s) chimique(s) et mesures physiques qui permet de réduire significativement la quantité de micro-organismes dans l’eau de sortie des units dentaires [27, 29, 31, 32].

3 – Il n’existe aucune procédure qui garantisse une maîtrise de la qualité microbiologique de l’eau de sortie d’un unit dentaire.

FAUX.  Il existe plusieurs procédures qui proposent de maîtriser la qualité microbiologique de l’eau de sortie d’un unit dentaire. Nous décrirons ici celle dont l’efficacité a été démontrée, entre autres, sur 68 units dentaires du CHRU de Nancy sur une période de plus de six ans [29]. Afin de maîtriser la qualité microbiologique de l’eau de l’unit, il convient tout d’abord de l’isoler de l’eau du réseau en installant un réservoir amovible externe afin de contrôler la qualité de l’eau alimentant l’unit (fig. 4 et 5). Recommandé par l’OSAP (Organization for Safety, Asepsis and Prevention) et le CDC (Center for Disease Control and prevention), cette étape est possible quel que soit le type d’unit. Ensuite, et selon ces mêmes organismes, il est nécessaire de choquer les conduites d’eau de l’unit dentaire afin d’en assurer le nettoyage et la décontamination microbiologique en éradiquant le biofilm présent (fig. 6)

. Cette étape est idéalement réalisée par un technicien formé utilisant par exemple un kit spécifique appelé Biofilm Removing Set (BRS®) composé de plusieurs poudres enzymatiques diluées et passées consécutivement. Ce kit BRS® permet d’éliminer les résidus organiques et inorganiques du circuit hydrique et donc le biofilm éventuellement présent. Cette étape de nettoyage est suivie d’une procédure de désinfection du circuit. Le réservoir est ensuite alimenté manuellement par de l’eau bactériologiquement maîtrisée : eau stérile ou eau du réseau filtrée par un filtre 0,2 µm (fig. 7). Cette eau est en plus traitée à l’aide d’un produit chimique bactériostatique en continu (par exemple Alpron® 1 %). Cette solution est renouvelée au moins une fois par jour en début de journée, ou plus si le réservoir est vidé au cours de la journée. Le réservoir est désinfecté au moins une fois par semaine en respectant les recommandations du fabricant (fig. 8). Ce dernier fixe également la périodicité de renouvellement du réservoir et du plongeur ou tubulure aspirante installés sur l’unit, ainsi que du filtre 0,2 mm placé sur le robinet. En complément, une purge des conduites d’eau (cordons d’alimentation des porte-instruments dynamiques et de la seringue air-eau) est réalisée en début de journée durant 20 à 30 secondes afin de renouveler l’eau ayant stagné toute la nuit dans l’unit. Des purges sont aussi pratiquées durant 20 à 30 secondes après chaque prise en charge de patient afin de rincer l’intérieur des porte-instruments dynamiques et de lutter contre la rétrocontamination des conduites d’eau à partir des fluides oraux du patient (fig. 9). Enfin, un traitement chimique plus concentré, comme le Bilpron® pur est utilisé lors des périodes d’inactivité d’au moins 24 heures (week-end et vacances) afin d’assurer une activité bactéricide des conduites de l’unit (fig. 10).

La formation, la rigueur de l’équipe de soins, le suivi et la traçabilité des étapes sont primordiaux à la maîtrise de la qualité de l’eau car si les procédures ne sont pas rigoureusement respectées, le risque de contamination de l’eau perdure [29, 32, 33]. L’hygiène des mains est, par exemple, indispensable avant toute manipulation du réservoir de l’unit.

4 – Réaliser ponctuellement un prélèvement avec analyse microbiologique de l’eau de sortie de l’unit dentaire permet de s’assurer de la qualité bactériologique de l’eau et de l’efficacité des moyens mis en œuvre.

VRAI. Le seul moyen qui permette de s’assurer de la qualité microbiologique de l’eau de sortie de l’unit dentaire est de réaliser un prélèvement de cette eau avec analyse microbiologique. Cette pratique est pourtant encore très peu réalisée en cabinet dentaire. C’est notamment le cas en France où seuls 2,6 % des chirurgiens-dentistes déclaraient avoir déjà fait analyser l’eau de leur unit [2] alors qu’en Europe, 17 % des chirurgiens-dentistes la réaliseraient, avec en tête les praticiens allemands dont 70 % feraient procéder à cette analyse [1]. Aux États-Unis, le CDC, l’ADA (American Dental Association) et l’OSAP recommandent un monitorage périodique de la qualité microbiologique de l’eau des units dentaires [34-36]. En effet, seules des analyses d’eau répétées chaque année permettent de s’assurer que les moyens physiques et chimiques mis en œuvre sont efficaces. En cas de non-conformité avec la qualité d’eau attendue, des mesures correctives peuvent être rapidement instaurées pour améliorer la qualité microbiologique de l’eau ; en suivant par exemple la procédure décrite au point 3, dont l’efficacité a été démontrée. En France, cette dernière est désormais suivie par divers services hospitaliers d’odontologie (Nancy, Dijon, Nice, Lyon, Marseille, Bordeaux…) et par plusieurs centaines de praticiens libéraux.

Pour analyser la qualité microbiologique de l’eau, des kits permettent de réaliser soi-même une analyse quantitative de la contamination bactériologique de l’eau. Les résultats obtenus sont moins fiables et moins complets que ceux réalisés par un laboratoire d’analyse accrédité respectant des normes à toutes les étapes. Pour faciliter la démarche en pratique de ville, une solution clé en main est actuellement proposée par Komet France avec le concours d’un laboratoire accrédité à la réalisation des analyses. Un kit de prélèvement est adressé au praticien puis récupéré par un transporteur. Les résultats sont ensuite adressés au professionnel, lui indiquant à quel niveau la qualité de l’eau de son unit se situe par rapport à celle attendue (fig. 11) [37].

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