Utilisation raisonnée des antibiotiques en parodontologie

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire

Responsable scientifique : Frédéric Duffau

Si l’on comprimait l’échelle du temps pour que la période couvrant la formation de la terre jusqu’à aujourd’hui tienne dans une année, les enjeux microbiens nous toucheraient peut-être plus. Dans ce nouvel espace-temps, nous sommes le 31 décembre à minuit ; la terre s’est formée il y a tout juste un an ; les bactéries sont apparues le 26 mars ; les premiers Homosapiens foulent le sol depuis seulement 23 minutes ; Sir Alexander Fleming découvre la pénicilline il y a 0,6 seconde, ce qui sauve ensuite des millions de vies ; mais les premières résistances bactériennes apparaissent un dixième de seconde après, et le nombre de victimes humaines dû à des mutants résistants ne cesse dès lors d’augmenter. À votre avis, tiendrons-nous encore une minute ?

Du bon usage des antibiotiques
Il a été observé chez l’homme, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, que lors d’une antibiothérapie administrée dans le cadre du traitement d’une parodontite, un transfert de gènes de résistance à la doxycycline s’était produit entre deux espèces bactériennes distinctes [1].
Pour mieux comprendre la corrélation entre prescription d’antibiotiques et sélection de mutants résistants, Raphaël Lepeule, infectiologue dans l’Unité transversale de traitement des infections du groupe hospitalier Henri Mondor de Créteil, nous aidera à faire le point sur le mode de fonctionnement des principaux antibiotiques utilisés en odontologie, tels que l’amoxicilline, le métronidazole, la spiramycine, la clindamycine ou encore la doxycycline, et sur les mécanismes ingénieux élaborés par les bactéries pour se partager des moyens de survie face à ces molécules, tels que le transfert d’informations génétiques entre bactéries d’espèces différentes ou la formation de biofilms aux moyens de défense encore plus élaborés.
Pour enrayer le phénomène, des campagnes gouvernementales tentent de réserver la prescription d’antibiotiques aux situations où ils sont indispensables. Ces campagnes, portant des slogans forts, parfois en avance sur les réformes linguistiques, tels que « les antibiotiques, c’est pas automatique », d’autres moins forts tels que « les antibiotiques utilisés à tort, ils deviendront moins forts », parviennent à influer à la baisse la courbe des prescriptions [2]. Mais cette baisse est systématiquement de courte durée. Les esprits, ceux des médecins, mais aussi ceux des patients, veulent ce qui paraît le plus efficace, le plus rapide, même si l’indication n’est pas la bonne. On se dit que le remède guérira peut-être de la maladie, et que ça ne peut pas faire de mal après tout. Pourtant, la courbe des décès causée par des bactéries résistantes s’infléchit et remonte, encore.
De notre côté, quand cela nous arrange, du statut de médecin spécialiste des dents nous sommes prêts à redevenir de simples dentistes. Notre prescription d’antibiotiques nous paraît tellement dérisoire par rapport à celle, fantasmée, des médecins, que nous pensons pouvoir continuer à prescrire sans borne, contre l’abcès parodontal, pour le traitement d’une parodontite, voire d’une gingivite rétive, ou parce que nous voyons passer une amibe – pourquoi pas après tout – ou encore avant une chirurgie, pendant une chirurgie et aussi après une chirurgie, pour être plus tranquille. Bref, nous prescrivons des antibiotiques parce qu’il le faut bien, nous en sommes le plus souvent convaincus, et parce que, surtout, nous sommes persuadés que nous ne sommes sans doute pas les pires et que c’est une assez bonne raison pour ne pas modifier nos habitudes.
Le Docteur Lepeule lèvera le voile sur le sujet en nous indiquant l’évolution des prescriptions dans notre pratique bucco-dentaire par rapport à celle d’autres spécialités médicales. En corollaire, l’évolution des résistances bactériennes en France, mais aussi dans le monde, sera décrite, tandis que les perspectives de cette évolution seront discutées.

Les antibiotiques dans le schéma de prise en charge parodontale
De la même façon qu’un humain développera un sérum contre le venin empoisonné d’un serpent, les bactéries, au niveau individuel, sont capables de développer des stratégies face à une menace chimique. Pour autant, il a été montré que, regroupées au sein d’un biofilm, les bactéries offrent des stratégies de résistance encore plus performantes.
Ainsi, sous la pression de molécules antibiotiques, Aggregatibacter actinomycetemcomitans ou Pseudomonas aeruginosa sont capables de forcer la formation d’un biofilm in vitro et d’y croître [3, 4]. Le groupe prend alors le relais de l’individu et protège la communauté d’espèces. Face à ces mécanismes, il apparaît évident que le traitement antibiotique seul ne peut suffire au traitement des pathologies buccales d’origine infectieuse. La prescription antibiotique dans le cadre de nos traitements parodontaux ne peut donc se concevoir autrement que comme un adjuvant au traditionnel débridement mécanique.
Andrea Mombelli, chef de la division de parodontologie de l’École de médecine dentaire de Genève, nous fera part des résultats de ses dernières recherches cliniques. Celles-ci, réalisées en double aveugle contre placebo, montre la grande efficacité des traitements antibiotiques lors de la phase étiologique du traitement parodontal, réduisant significativement le recours à la chirurgie parodontale après réévaluation [5]. L’étude de l’émergence de résistances bactériennes n’est pas mise de côté et semble montrer que ce type de traitement ne les favorise pas [6]. La question de la dose cumulée d’antibiotiques par des traitements successifs afin de traiter différentes pathologies reste cependant en suspens. C’est pourquoi le Professeur Mombelli ne manquera pas de proposer des schémas de prise en charge antibiotique des différentes maladies parodontales, ainsi que les situations où la prescription continue de ne pas être indiquée.
La littérature scientifique restreint son évaluation de l’efficacité des antibiotiques à un petit nombre de molécules. Il sera donc également question de discuter de la pertinence de ces choix et de nous aider à utiliser la bonne molécule selon la symptomatologie parodontale.

Enfin, les dernières recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament portant sur la prescription des antibiotiques en pratique bucco-dentaire proposaient de ne pas recourir aux antibiotiques locaux faute de protocoles bien définis [7]. En conséquence, nous ne manquerons pas de questionner nos conférenciers sur la pertinence de ce type de traitements et sur leurs potentielles indications.

Un débat E123 – Utilisation raisonnée des antibiotiques en parodontologie
Interprétation simultanée français-anglais
Samedi 26 novembre – 9h – 12h

Responsable scientifique : Frédéric Duffau (Paris)
Modérateur : Philippe Doucet (Paris)
Intervenants :
– Andrea Mombelli (Ecole de médecine dentaire de Genève, Suisse) : « Les antibiotiques dans le schéma de prise en charge parodontale »
– Raphaël Lepeule (Hôpital Henri Mondor, Créteil) : « Le bon usage des antibiotiques : enjeux stratégiques »

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