Situation
- Avec mon assistante, j’accueille un patient de 54 ans souffrant d’un handicap mental modéré. Alors que je l’installe sur le fauteuil dentaire, se tournant vers l’assistante, il baisse son pantalon et sa culotte d’un geste inattendu, laissant largement apparaître ses parties intimes.
- Je lui explique qu’il faut se rhabiller et l’aide recouvrir sa nudité.
- Sa mère qui l’accompagne m’explique qu’il n’est pas violent, ne boit pas, ne fume pas et n’a jamais agressé qui que ce soit, mais a souvent récidivé de la sorte chez son médecin.
- L’assistante a quitté la salle, pour reprendre ses esprits.
- Quelle doit être mon comportement face à cette situation, à ce patient, et envers mon assistante ?
Réflexions du Docteur Frédéric Denis
Maître de conférences des universités-praticien hospitalier, Faculté de chirurgie dentaire de Nantes, Service d’odontologie de Tours, Membre du conseil scientifique du centre collaborateur de l’OMS en santé mentale
Il n’est pas moralement acceptable d’exhiber ses parties intimes auprès de l’assistante au cours d’une consultation chez le dentiste !
Sur le fond, même si ce comportement est répréhensible par la loi, il faut néanmoins le considérer dans un espace de soins et rester dans une posture de soignant, bienveillante, non jugeante et adaptée au niveau de compréhension de la personne. Dans ce cas, la présence de la mère sera une aide précieuse pour essayer de comprendre en quoi, éventuellement, le stress de la consultation médicale pourrait être un facteur déclenchant. L’enjeu sera aussi de dédramatiser cette situation pour conserver le lien thérapeutique sans pour autant la banaliser, tout en faisant admettre au patient que l’assistante ne doit pas être un objet de transgression. Pour cela, un minimum de disponibilité est nécessaire pour que le patient et sa mère se sentent épaulés.
Même avec une personne souffrant d’un handicap mental modéré, il faut être en mesure d’échanger sur l’intentionnalité de ce comportement et, éventuellement, son caractère répétitif.
Il est aussi important d’évaluer si le patient est en capacité de comprendre dans quelle mesure son comportement a été inadapté et, s’il est conscient, qu’il a pu heurter l’assistante.
Pour cette dernière, se pose la question de la répercussion de ses émotions personnelles sur la prise en charge ultérieure du patient. Selon son expérience, son histoire, un temps d’écoute et d’échange sera nécessaire pour envisager la possibilité, ou pas, d’une poursuite du suivi en soins de ce patient à la suite des perturbations émotionnelles engendrées par cette situation. Dit autrement, sera-t-il possible à l’assistante de rétablir une juste distance dans la relation soignant-soigné ? Pour avancer dans ce contexte, un rapprochement auprès d’un Centre Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de violences Sexuelles (CRIAVS) peut être suggéré.
Réflexions de Benoît Le Dévédec
Doctorant à l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris (Université Panthéon-Assas Paris II), Juriste au, Centre ressources pour intervenants auprès des auteurs de violence sexuelle IDF, Membre du Comité d’éthique des Hôpitaux de Saint-Maurice.
Primum non nocere. Tous les professionnels du soin connaissent ce mantra. S’il n’est pas toujours simple de savoir comment l’appliquer en pratique, il est encore plus compliqué de savoir comment réagir lorsque, à l’inverse, la nuisance provient du patient et qu’elle atteint le soignant. Ainsi en est-il lorsqu’un patient est l’auteur d’une infraction et son soignant la victime, comme dans le cas exposé ici d’une exhibition sexuelle lors d’une consultation.
Si l’acte est malveillant (et donc conscient), il est légitime que le soignant puisse souhaiter se récuser et ne plus prendre en charge la personne, voire se tourne vers la justice pour obtenir réparation.
La situation est plus délicate lorsque l’auteur de l’acte souffre d’un handicap mental (qui est supposé expliquer le geste). Le praticien n’a pas à s’interroger comme le ferait un juriste sur l’éventuelle irresponsabilité pénale. Après s’être assuré auprès du médecin traitant, dans une logique de parcours de soin, que son patient a un suivi approprié pour ce trouble du comportement, il se doit de le prendre en compte pour comprendre son patient et adapter sa prise en charge.
Mais la bienfaisance ne doit pas être tournée uniquement vers le patient, elle doit l’être aussi vers les membres de l’équipe soignante. Même lorsque l’agression n’a pas été physique, et sans exclure la voie judiciaire, il peut leur être nécessaire de discuter de l’événement, pour expliquer, comprendre, rassurer et apaiser, le cas échéant avec le patient, voire ses proches si c’est envisageable. Cela permettra également de penser les mesures nécessaires pour contenir tout nouveau débordement et assurer au patient un cadre de soins auquel il a légitimement droit, sans subir davantage les conséquences de son trouble. À titre préventif, une telle procédure peut être appliquée à tout patient fragile. En dernier recours, si le praticien et son équipe ne se sentent pas en mesure de prodiguer les meilleurs soins, ils peuvent, en conscience et dans l’intérêt du patient, faire le choix de l’adresser à un confrère plus assuré.
Réflexions de Denis Vaginay
Docteur en psychologie clinique, psychanalyste
Cette situation est malheureusement assez classique : l’accent est mis sur la présence d’un handicap mental dont il est bien spécifié qu’il est modéré. Alors que la première singularité est que cet homme de 54 ans est, pour un soin banal, encore accompagné par sa mère. Ce qui n’est pas exceptionnel pour un couple mère-fils handicapé de cet âge, mais qui dénote une interdépendance dont ni l’un ni l’autre n’ont pu sortir, sans doute faute d’alternative satisfaisante du côté des professionnels ou des institutions spécialisées.
Une telle situation n’est favorable ni au développement de l’autonomie ni à celui d’une vie intime et privée qui devrait comprendre une dimension sexualisée. Les propos rapportés de la mère confirment qu’elle a fait ce qu’elle a pu : son fils est « bien élevé ». Il est gentil, ne fume pas, ne boit pas… Mais, malgré cela, il a gardé des comportements imprévisibles et inadaptés de type exhibitionniste. Autrement dit, il est « élevé », mais pas totalement « éduqué ». Comme si le handicap recelait en lui une part irréductible qui pouvait toujours ressurgir à l’occasion (ce qui est faux).
Or cet homme, toujours selon le témoignage maternel, ne déborde que dans certaines circonstances : chez un médecin ou assimilé. Rare occurrence où la nudité peut être licite en dehors du déshabillage érotique. Vraisemblablement, cet homme utilise les derniers interstices qui lui paraissent accessibles pour vivre maladroitement des bribes d’érotisation à quoi se résume sa sexualité opportuniste. Ses « troubles du comportement » indiquent par leur dimension restreinte et circonscrite qu’il est psychiquement structuré. Parce qu’il ne se déshabille pas n’importe où et dans n’importe quelle circonstance, il montre qu’il a compris que tout ne se faisait pas, que les interdits existent. Il tente seulement sa chance, caché derrière son handicap censé excuser sa déviance.
La réponse du praticien, basée sur la reconnaissance qu’elle s’adresse à un sujet humain, doit être simple et directe : « Monsieur, vous ne pouvez pas imposer votre nudité à mon assistante ni à moi. Votre nudité est réservée à votre intimité ; elle ne permet pas les soins que je ne pourrai poursuivre que si vous vous comportez normalement. »
Quant à l’assistante, on peut espérer que, passée l’émotion première, elle soit à même de se remettre de la confrontation avec des organes génitaux. Pour autant, l’exhibition (qui ne relève pas pour autant de la responsabilité du praticien) doit être, auprès d’elle, condamnée et l’assurance doit lui être donnée que tout sera fait pour qu’une telle situation ne se reproduise pas.
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