Un geste chirurgical bucco-dentaire datant du Moyen-Âge

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 42-43)
Information dentaire
C’est dans le cimetière de l’église Saint-Pierre de Chennevières-sur-Marne (Val-de-Marne) qu’a été découvert le crâne d’un individu daté de 1168 à 1266 après Jésus-Christ, dont le maxillaire s’est révélé surprenant.

Tout a débuté en 2013 lors d’un premier diagnostic effectué à l’extérieur de l’église Saint-Pierre de Chennevières-sur-Marne [1], poursuivi par un second en 2016 lors d’un sondage à l’intérieur de l’édifice, mettant en évidence la présence d’un cimetière. Ce dernier s’était mis en place dès le XIIIe siècle (sur le parvis et à l’intérieur de l’église) et s’était développé sur trois niveaux jusqu’au XIXe siècle. Outre l’observation de l’état sanitaire, notamment les lésions infectieuses, des populations du Moyen-Âge puis de l’époque moderne, le sondage effectué par le service archéologie du Val-de-Marne [2] a permis de découvrir un cas exceptionnel. Il s’agit d’un crâne faisant partie d’une série de plusieurs individus retrouvés précisément dans l’unité stratigraphique 2022…

Le spécimen est composé du seul calvarium (fig. 1 à 4). Il appartient à un individu robuste, de sexe masculin (insertions musculaires fortes, bords rugueux et bosselés, apophyses mastoïdes fortes, chignon occipital). Le crâne est également hyper-brachycéphale (longueur maximale : 172 mm, largeur maximale : 152 mm, indice crânien horizontal : 88,3). Son intérêt réside au niveau de son maxillaire. Ce dernier a perdu toutes ses dents ; celles tombées ante mortem sont situées au niveau des blocs prémolaires et molaires. A gauche, la résorption alvéolaire est subcomplète, celle des prémolaires est complète. A droite, la résorption est incomplète. Toutefois, le phénomène infectieux (maladie carieuse, abcès, kyste, granulome…) qui est la cause de cette chute dentaire est différent sur ce côté opposé. Ici, l’atteinte infectieuse s’est généralisée, comme à gauche, sur l’ensemble des séries prémolaires et molaires, mais la destruction a touché le mur alvéolaire externe sur toute sa longueur, détruisant par là même les séparations alvéolaires inter-dentaires et laissant place à une surface spiculée à pertuis hyper-vascularisés. Cette dénudation à partir de ce phénomène ostéolytique s’est développée aux dépens des parois externes, détruisant ainsi la corticale. Le diagnostic rétrospectif se rapproche d’une ostéite (probable ostéomyélite chronique), abcès ou kyste parodontal pour le diagnostic différentiel.

Au niveau des blocs incisivo-canins et prémolaires, un autre phénomène s’est produit, dont on ignore si une relation existe avec l’infection du côté opposé. Les régions alvéolaires correspondant à l’incisive latérale et à la canine à gauche et à la première prémolaire à droite ont été volontairement découpées pour l’arrachage des dents infectées. En effet, de part et d’autre des faces latérales du maxillaire, des portions régulières de forme rectangulaire de bas en haut ont été soigneusement découpées, comme en témoignent les traces de découpe laissées sur le bord supérieur des alvéoles. On retrouve une découpe nette sur le côté gauche avec notamment une autre trace sur le bord disto-vertical. Le fond des alvéoles concernées montre une infection probablement apicale. Il s’agit là d’un geste chirurgical opéré soigneusement et urgemment sur un individu dont l’état de santé bucco-dentaire s’est aggravé sérieusement si l’on tient compte de la série jugale atteinte par l’ostéite. Malheureusement, rien ne vient soutenir cette hypothèse.


Cet individu, dont un fémur a probablement également été retrouvé, a été daté par carbone 14, l’âge étant estimé entre 1168 et 1266 après Jésus-Christ.
L’intervention chirurgicale, somme toute assez ancienne, suggère une opération de grande précision datant du Moyen-Âge du sud-est parisien. Ce geste chirurgical de la médecine bucco-dentaire semble exceptionnel au regard d’une période bien antérieure au corps des experts de l’Art dentaire (Édit royal de 1699). La date de 1266 correspond à la période de corporation des Barbiers-Chirurgiens dont les témoignages archéologiques ne sont guère nombreux, ce qui donne au sujet de Chennevières-sur-Marne un intérêt tout singulier.

Pour plus d’informations
www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad

Références
1. Ardouin S et Hadjouis D, 2014. Chennevières- sur-Marne. Eglise Saint-Pierre, 55 rue du Général de Gaulle. Rapport final de diagnostic, Service Archéologie, Conseil général du Val-de-Marne, 192 p.
2. Gohin et al. En cours d’élaboration.

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