Cet été 2024 sera celui des grandes compétitions sportives avec, parmi les événements les plus emblématiques, l’Euro de football qui fait l’actualité puis les Jeux olympiques de Paris qui mettront en lumière une grande diversité de disciplines sportives. La santé et la sécurité des pratiquants font partie des préoccupations principales des fédérations et instances sportives, en particulier lorsqu’il s’agit des risques de commotions cérébrales, longtemps minimisées dans les sports de combat ou de contact. Désormais, des « protocoles commotion », avec contrôle et suivi médical parfaitement établis, régissent la pratique de certains sports comme le rugby, pendant et après les matchs. Dans une revue de presse précédente, nous avions évoqué les différents types de protection intrabuccale (PIB) et leur importance dans les sports de contact, y compris pour la prévention des commotions cérébrales.
Les auteurs japonais de la première étude rapportée ont essayé d’évaluer l’association entre le port d’une PIB pendant la pratique des sports de contact et l’incidence des commotions cérébrales (CCS) à l’aide d’une enquête contrôlée conduite sur une population de jeunes sportifs étudiants de l’Université Santé et Sciences du Sport d’Osaka. 115 sujets pratiquant intensivement un sport de contact ou de collision (karaté, nippon kempo, football américain, football, basketball ou handball) ont répondu début 2020 à un questionnaire développé par l’Académie Japonaise de Dentisterie et Sports portant sur leur pratique et vécu de l’année 2019 en termes de port de PIB et de CCS. Dans les résultats présentés, 21 participants seulement ont déclaré porter une PIB, parmi lesquels 14 utilisaient un dispositif personnalisé que seulement 10 d’entre eux portaient à chaque fois. Les 7 autres portaient une PIB standard « en vente libre », que 5 portaient à chaque fois. Parmi les sports pratiqués, le nombre de CCS rapporté est de 3 sur 12 joueurs de football américain, 14 sur 27 footballeurs, 10 sur 37 basketteurs, 3 sur 25 handballeurs, 2 sur 2 rugbymen, 1 sur 1 karatéka et 5 sur 2 pratiquants du nippon kempo. L’analyse du détail des résultats collectés fait dire aux auteurs que davantage de CCS surviennent quand une PIB n’est pas portée durant la pratique sportive et que les sportifs qui ne portent jamais de PIB sont plus fréquemment concernés. Avec une grande précaution, ils concluent que leurs « résultats suggèrent que les PIB peuvent avoir certains bénéfices dans la prévention des commotions cérébrale associées à une pratique sportive ».
Leur discussion éclaire leur prudence puisqu’ils expliquent d’emblée la complexité des facteurs d’incidence des CCS et celle de conduire une étude comparative robuste sur l’influence d’un système de protection pour des raisons éthiques évidentes. En effet, avec l’hypothèse qu’une PIB réduit le risque de CCS, il ne serait pas éthique d’exposer volontairement un groupe de sujet témoin à l’absence de cette protection tout en les exposant à un risque. Ainsi, dans l’étude conduite, les participants ont répondu sur une période antérieure au début de l’étude pendant laquelle certains n’ont pas porté de PIB de leur propre volonté et sans qu’aucune information ne leur soit cachée. Concernant la manière dont une PIB protège des CCS, les auteurs citent une étude expérimentale réalisée sur cadavre évaluant les conséquences intracrâniennes d’un impact sur la partie inférieure du menton. Ils rapportent alors une diminution de l’amplitude de la vague de pression intracrânienne et une diminution de la déformation des os du crâne.
Toutefois, les auteurs concèdent que la plupart des CCS ne sont pas seulement dus à un impact sur la mandibule (1,6 %), mais plus souvent liés à un impact direct sur la tête (74,8 %) et un contact sur le sol (11,1 %). Ainsi, l’enquête menée par les auteurs peut rapporter des CCS de toutes ces origines. L’influence du type de sport est aussi discutée avec l’exemple du nippon kempo où les pratiquants portent un casque qui les protège des coups directs et pour lequel les CCS seraient alors la conséquence de coups répétés sur le casque. Par ailleurs, le fait que la pratique réglementée de certains sports n’impose pas de PIB (basket et football), à l’inverse d’autres (football américain…), modifie aussi les résultats. En outre, la méthodologie basée sur une enquête rétrospective crée de nombreux biais évoqués par les auteurs. Par exemple, il leur est impossible de vérifier si une CCS rapportée était bien survenue avec le port d’une PIB car le participant peut mal se souvenir de son contexte exact, surtout s’il ne portait pas sa PIB systématiquement.
Par ailleurs l’échantillon des porteurs de PIB est très faible et donc difficile à extrapoler. Malgré toutes les limites discutées, les auteurs concluent que le port d’une PIB aiderait à la prévention des CCS, mais insistent sur le fait qu’elle ne suffit pas, seule, à offrir une protection suffisante, et donc que les PIB ne doivent pas être envisagées pour se substituer à d’autres systèmes de protection de la tête.
Le deuxième article rapporté présente un rôle des PIB portées dans la pratique sportive autre que celui de protection. Elles sont ici utilisées comme support d’un système de micro-capteurs capable de mesurer la direction et l’accélération de la tête d’un footballeur lorsqu’il effectue une tête pour renvoyer un ballon provenant de différentes distances à différentes vitesses. Cette étude répond à une problématique de santé publique très actuelle dans le monde du football puisque la pratique et la répétition des renvois du ballon de la tête dans ce sport sont aussi réputées source de commotions cérébrales ou de troubles neurodégénératifs à long terme. Il s’agit d’un véritable enjeu de santé publique au regard du très grand nombre de pratiquants de ce sport.
Les auteurs gallois de cette étude expliquent ainsi qu’au Royaume-Uni, les instances du football ont émis pour recommandation de ne pas excéder 10 têtes à haute intensité par semaine pour préserver la santé des joueurs. L’étude expérimentale conduite par les auteurs s’est donc attachée à collecter des mesures cinématiques captées par des accéléromètres placés dans une PIB portées par 7 joueurs de football amateurs universitaires réalisant chacun 10 têtes réparties sur une période d’une heure avec un ballon aux normes FIFA. Ce dernier est envoyé depuis un système de laboratoire calibré reproduisant 3 fois une passe courte (7,65 m ; vitesse 8 m/s), 3 fois une passe moyenne distance (15,5 m ; 13 m/s) et 4 fois une passe longue (23 m ; 16 m/s). L’analyse a montré que les valeurs relevées sont différentes selon que la balle est renvoyée de la tête sur la même trajectoire que la passe (moindres valeurs) ou si elle est déviée (valeurs plus hautes).
Si aucune des têtes réalisées n’a conduit à des valeurs dépassant le seuil considéré comme induisant une commotion, 5 têtes « longue distance » ont dépassé le seuil de 25 % de risque de mini-traumatisme cérébral. Mais les auteurs insistent sur le fait que le risque de dommage est basé sur l’accumulation de traumas sub-commotionnels tout au long d’une saison ou d’une carrière. Ils considèrent alors que l’effet cumulé de têtes à longue distance serait comparable aux données neurologiques observées chez les joueurs de football américain soumis à des impacts répétés. Les auteurs concluent leur article en appelant à continuer la recherche sur les conséquences neurologiques des têtes répétées dans la pratique du football pour obtenir des données plus robustes et pour mettre en place les mesures préventives adéquates.
Dans cet article, le port de la PIB employée comme support des capteurs n’est pas envisagé comme l’une de ces mesures de protection.
Commentaire
Si ces deux articles ont en commun la problématique des commotions cérébrales dans le sport et les protections buccales individuelles, ils exploitent deux aspects bien différents de ces dernières, mais tout aussi intéressant. Le premier article aborde le rôle de protection des PIB vis-à-vis des commotions cérébrales faisant suite à des coups ou contacts directs sur la mandibule. Les nombreux biais et facteurs limitants évoqués dans leur discussion par les auteurs montrent à quel point il est difficile de construire une étude comparative robuste sur les sujets du sport et de la prévention des blessures ou traumas. Le premier aspect évoqué qu’il convient de souligner est éthique : il n’est pas possible de construire une étude comparative avec un groupe qui serait volontairement privé d’un dispositif supposé assurer une protection. Par ailleurs, la multiplicité des actions et contraintes subies dans une pratique sportive associée à l’état de fatigue du sportif, la nature de son sport et de toutes les actions simultanées en jeu rend très difficiles l’appréciation et/ou la compréhension du rôle d’un seul dispositif. Une piste intéressante de recherche évoquée par les auteurs concerne toutefois la simulation, comme celle mentionnée dans l’étude réalisée avec un cadavre.
Le domaine de la bio-ingénierie et les progrès technologiques peuvent désormais permettre le développement de simulateurs de plus en plus proches des structures et systèmes biologiques en jeu sur lesquels de très nombreux effets ou contraintes externes peuvent être mesurés très précisément grâce à des capteurs électroniques. C’est précisément ce type de capteurs qui est intégré dans une PIB pour des mesures in situ dans la deuxième étude présentée. L’utilisation de ces capteurs biologiques ou biomécaniques est en plein essor dans les domaines des sciences biologiques et médicales. En médecine clinique, ils permettent déjà aux diabétiques de connaître leur glycémie en temps réel. Dans le sport, ils collectent de multiples données relatives aux distances parcourues, impacts reçus, accélérations (capteurs dans le dos des rugbymen) ou encore puissance délivrée (cyclistes). Ces données sont analysées pour mieux comprendre et améliorer les performances des sportifs. Au-delà d’un protocole de recherche comme celui de la deuxième étude, on pourrait aussi imaginer une intégration d’accéléromètres dans les PIB des sportifs pour mesurer en temps réel le nombre, la puissance et les effets cumulés sur la tête des coups reçus dans une démarche préventive et de protection des boxeurs ou combattants de sports de combat (taekwondo, MMA…). Ainsi, à l’instar des aides technologiques intégrées à l’arbitrage d’autres sport (Hawk Eye au tennis, VAR ou détection automatisée de hors-jeu au football), les données collectées pourraient être utilisées en temps réel pour l’arbitrage des combats motivant une décision de KO technique.
En recherche, en prévention ou en protection, le domaine d’application des PIB dans le sport est encore loin d’avoir exploré toutes ses possibilités.
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