L’avènement de la CFAO en dentisterie a entraîné avec elle tout un flux de solutions numériques applicables dans différents domaines de notre activité. L’utilisation de logiciels de traitement d’images numériques offre de multiples solutions pour établir et visualiser des projets esthétiques virtuels qui pourront ensuite être matérialisés lors de l’accomplissement du traitement. Les logiciels bien connus comme le Digital Smile Design (DSD) se sont ainsi affirmés comme des outils utiles d’analyse et de simulation des résultats de traitements, sur le plan esthétique tout particulièrement. Un visuel est ainsi établi à partir d’une série de photos normées très précises. Si ce résultat constitue un support de communication indéniable avec le patient et le laboratoire de prothèse en proposant des objectifs idéaux, la matérialisation exacte de ceux-ci à l’issue du traitement n’est pas toujours acquise, d’abord du fait des conditions et difficultés cliniques ou techniques de mise en œuvre, mais aussi parce qu’une image 2D ne représente pas toute la réalité des volumes, des espaces disponibles, ni l’effet esthétique réel du projet une fois matérialisé dans son contexte. L’image 2D présente en effet de nombreuses approximations liées aux conditions d’éclairage, aux problèmes de parallaxes et de profondeur de champs.
Mais le progrès ne s’arrête jamais et les technologies de simulation 3D proposent d’ores et déjà des solutions plus réalistes par la création d’un patient virtuel en trois dimensions. Une acquisition 3D du visage du patient doit alors constituer la base initiale de ce travail. Plusieurs technologies permettent désormais de faire une acquisition 3D d’un visage reconstruit par des logiciels capables d’en créer une modélisation très précise. Pour les auteurs de l’article rapporté, le scanner 3D britannique 3dMDface System, qui repose sur le principe de la photogrammétrie, est l’outil de référence dans le domaine, avec un niveau de précision de 0,2 mm et une acquisition quasi instantanée (1,5 à 2 ms) minimisant tout risque d’artefacts. Sa technique repose sur des mesures utilisant la parallaxe obtenue entre des images acquises selon des points de vue différents, tout comme la vision stéréoscopique humaine. Cependant, son coût très important, son encombrement et le volume énorme des données traitées constituent un frein considérable à son utilisation pour nos pratiques cliniques.
Pour répondre aux besoins de solutions financièrement plus accessibles, mais aussi plus faciles à manipuler, l’étude rapportée s’est intéressée aux solutions de capture 3D disponibles sur les smartphones les plus récents à l’aide d’une application dédiée. La technologie de la caméra TrueDepth développée par Apple et qui équipe ses iPhones pour la reconnaissance faciale depuis sa version X (2017) est ici retenue. Elle repose sur l’émission d’une lumière proche des infrarouges et permet une acquisition 3D selon le principe du balayage par lumière structurée sans recours à un objectif supplémentaire. L’étude conduite s’est donc attachée à évaluer les modélisations obtenues à l’aide de la caméra TrueDepth de l’iPhone 11 Pro avec l’application Bellus Face Camera Pro (Bellus3D Inc.) en les comparant à celles obtenues avec l’outil de référence 3dMDface System. Les visages de 29 adultes (6 hommes et 23 femmes) âgés de 25 à 50 ont été scannés à l’aide des deux systèmes après avoir été marqués sur 18 points anthropométriques standards. L’acquisition complète fut réalisée en 2 ms à l’aide du 3dMD avec le patient immobile assis sur une chaise, tandis que 14 s furent nécessaires avec l’iPhone fixé sur un support nécessitant une rotation de la tête du patient à 180°, sur un côté puis sur l’autre. Dix acquisitions ont été réalisées avec chaque méthode pour chacun des sujets. Les différences de positions entre les points marqués reproduits sur les deux reconstructions ont alors été comparées par superposition des fichiers. Les résultats analysés montrent un très haut niveau de précision obtenu avec l’iPhone, avec une déviation moyenne par rapport à l’outil de référence de 0,86 +/- 0,31 mm.
Les auteurs expliquent que ces données sont considérées comme hautement fiables dans un intervalle de déviation compris entre 0 et 1 mm et non fiables au-delà de 2 mm d’écart. Ils rapportent dans leur discussion que d’autres études ont montré des valeurs de précision encore supérieures, mais en utilisant des mannequins. Le moindre niveau de précision avec les smartphones est principalement attribué au temps d’acquisition plus long et aux inévitables mouvements des muscles faciaux chez le sujet vivant. De même, les écarts les plus importants observés sur les points les plus à distance du milieu s’expliquent par le mouvement de la tête pendant l’acquisition. Au niveau de la base du nez et de la lèvre supérieure, la grande mobilité des muscles péri-oraux explique aussi des écarts.
Parmi les limites de l’étude, les auteurs notent l’incapacité des systèmes à intégrer la présence de mèches de cheveux sur le visage car ils ne sont pas adaptés à une bonne acquisition. Ils soulignent aussi que la moindre résolution du smartphone (250 000 à 500 000 sommets par scan) ne permet pas une définition hyperprécise de formes complexes et à forte courbure comme les lèvres. Ils indiquent aussi que les fichiers obtenus ne sont pas fusionnables avec ceux des scanners intra-oraux pour créer un patient virtuel complet et précis utilisable en Digital Smile Design, mais les auteurs ne doutent pas que des solutions logicielles pourront sans difficulté leur donner cette capacité. Enfin, ils annoncent que l’éditeur de logiciel de Bellus3D utilisé dans cette étude a supprimé cette application, mais que d’autres, telles que ScandyPro, Capture ou Face2Gene, sont aussi capables de proposer des solutions économes et faciles à utiliser qui sont ou seront des alternatives fiables au plus performant système de stéréophotogrammétrie. Ils concluent donc que les applications qui reposent sur la caméra TrueDepth de l’iPhone produisent des modélisations 3D d’excellente qualité, que ses résultats ne souffrent pas trop de la comparaison au système de référence 3dMDface avec une très bonne reproductibilité.
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Comme toujours, les progrès techniques et les solutions qu’ils proposent pour certains domaines peuvent s’appliquer à d’autres. Ce sont donc les smartphones qui trouvent ici, à la lecture de cette étude, une application dans le domaine des restaurations dentaires en rivalisant avec un appareil professionnel aussi coûteux qu’encombrant. Désormais, certaines de nos solutions technologiques tiennent dans nos poches et sont disponibles pour tous. Ici, c’est donc l’aptitude des smartphones à réaliser une acquisition 3D qui est mise en avant, avec pour objectif de modéliser un projet de réhabilitation virtuel le plus réaliste possible. Certes, les performances obtenues en termes de précision ne sont pas égales à celle du gold standard du domaine, mais sans doute bien suffisantes pour reproduire les paramètres esthétiques utiles à l’établissement de notre projet : la forme générale et le positionnement des lèvres lors du sourire (ou même à différents niveaux de sourire), les espaces et volumes disponibles pour les dents dans les différents plans de l’espace, l’orientation de la ligne bi-pupillaire et l’axe de symétrie du visage.
Il n’est pas toujours nécessaire de rechercher le mieux et le plus cher pour bien faire. Trouver une technologie facile d’utilisation et bon marché peut être un excellent choix si elle fournit des services utiles à nos traitements. Les avancées dans tous les domaines sont telles que l’offre de solutions adaptables en dentisterie paraît inépuisable. Mais il ne faut pas se tromper. Dans l’article, c’est la technologie particulière dédiée à la cartographie et à la numérisation 3D de la caméra TrueDepth intégrée aux iPhones depuis 2017 qui est mise à profit. C’est elle qui a permis aux développeurs d’applications de créer des solutions de scan 3D efficaces. Chez la concurrence, même les appareils Android les plus chers et dotés des meilleurs objectifs photos ne sont pas toujours en mesure de rivaliser avec les capteurs des appareils iOS, car ils ne disposent pas de cette technologie-là. De plus, tous les appareils fonctionnant sur Android ne disposent pas des mêmes caractéristiques techniques, et cette diversité est un frein pour les développeurs d’applications de scans 3D. Depuis fin 2020, la façade arrière des iPhones pro possède une nouvelle lentille. Ce capteur LIDAR mesure des profondeurs en chronométrant le temps de vol d’une impulsion lumineuse émise, ce qui permet aussi de créer une image en 3D avec une autre technologie. Plus globalement, notre environnement quotidien est de plus en plus technologique et fourmille certainement de solutions diverses à détourner ou à exploiter dans notre activité professionnelle. Bientôt, c’est sûrement le patient virtuel 4D, en mouvement, qui sera disponible. Nous pourrons ainsi mieux visualiser la position des dents, et même leur fonction, avec une simulation du mouvement des lèvres et de la mandibule dans toutes les fonctions. Et tout ça tiendra sans doute dans notre poche.
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