Dans son rapport annuel publié le 18 mars, la Cour des Comptes épingle à nouveau les ordres des professions de santé. A nouveau, car entre 2016 et 2020, la Cour a procédé au contrôle de cinq des sept ordres des professions de santé : chirurgiens-dentistes en 2017, médecins, pharmaciens, kinés et infirmiers.
Les magistrats, qui avaient soulevé à l’époque les désordres de gestion et de gouvernance des différentes institutions, ce sont intéressés cette fois aux compétences des ordres ayant trait à la sécurité des patients. « Les ordres assurent de manière inégale leurs missions administratives visant au contrôle du respect, par les professionnels, des règles déontologiques ou à l’évaluation de leurs capacités professionnelles, parfois au détriment de l’intérêt des patients », note la Cour. En outre, « le bilan de la justice disciplinaire, est ambivalent, notamment du fait de disparités dans le traitement des plaintes et de la relative clémence des sanctions ». Le rapport formule plusieurs critiques et recommandations précises.
Gestion du tableau
« Globalement correctement exercée », il subsiste un manque d’utilisation des outils informatiques qui permettraient, en dématérialisant l’inscription, de la rendre encore plus effective. Ainsi notent les magistrats, « les interdictions d’exercer prononcées contre les praticiens n’apparaissent pas dans les systèmes de gestion du tableau, ce qui permettrait pourtant de désactiver sans délai la carte professionnelle et d’éviter qu’un praticien, condamné dans une région, continue d’exercer dans une autre ».
Contrôle du DPC
A l’exception de l’Ordre des pharmaciens, les ordres ne se sont pas dotés d’outils permettant de recueillir et traiter les données relatives aux formations suivies par les praticiens. « Ils ne connaissent ni le nombre de praticiens ayant chaque année actualisé leurs connaissances, ni le type de formation suivie, et ne sont donc pas en mesure d’identifier ceux d’entre eux dont l’exercice pourrait représenter un risque pour les patients », indique le rapport. La Cour recommande donc de mettre en place un dispositif national de suivi et de relance des déclarations de DPC permettant de s’assurer du respect par les professionnels de leurs obligations.
Sanctions disciplinaires trop clémentes
Lorsque les mêmes faits font l’objet de poursuites devant les juridictions pénales et disciplinaires, « les décisions des juridictions ordinales sont souvent moins lourdes que celles prononcées par les juridictions pénales, constate la Cour. Plusieurs cas ont été relevés, auprès de l’ordre des chirurgiens-dentistes, de praticiens, condamnés par le juge pénal à de lourdes peines de prison et à une interdiction définitive d’exercer, mais peu ou pas sanctionnés par la chambre disciplinaire ». La procédure disciplinaire, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, « ne semble donc pas toujours en mesure de prémunir suffisamment ses justiciables contre un risque de traitement inéquitable ». Le rapport propose donc de rendre obligatoire la publication des mesures nominatives de radiation ou de suspension d’exercer, pour permettre aux patients d’identifier si le praticien qu’ils consultent est concerné par l’une de ces mesures.
Plaintes et doléances
Alors que le Code de la santé publique ne connaît que les « plaintes », les ordres professionnels effectuent une distinction entre « plaintes » et « doléances », « dépourvue de fondement juridique, qui aboutit à ne pas donner suite à une bonne partie des signalements, considérés, parfois abusivement, comme de simples doléances », indique le rapport. Conséquence de cette distinction : une partie seulement des courriers de patients signalant le comportement potentiellement fautif d’un professionnel de santé sont qualifiés de plaintes et traités comme telles. La Cour recommande à cet égard de clarifier, dans le Code de la santé publique, les notions de plainte et de doléance ainsi « que la procédure applicable à chacune ».
Entre-soi
Si l’introduction de la parité en 2015, puis l’interdiction de cumul de mandats ordinaux simultanés, ainsi que la fixation à 71 ans de l’âge limite pour se présenter à une élection ordinale, en 2017, devraient entraîner un rééquilibrage important de certains conseils de l’ordre, « le défaut de renouvellement et l’insuffisante représentativité des instances dirigeantes constitue un terrain favorable à un exercice insuffisamment soucieux d’impartialité de certaines missions : les ordres sont trop fermés sur eux-mêmes ». Solution selon les magistrats : l’introduction de non-professionnels dans la gouvernance des ordres, notamment des représentants d’associations de patients, qui « permettrait à la fois de limiter les risques d’une confraternité mal interprétée et de mieux prendre en compte l’intérêt des patients ».
Manque d’impartialité
« Il n’appartient pas aux ordres de prendre parti sur des sujets de nature politique ni d’entraver la concurrence entre acteurs de santé. Ainsi, quand l’Ordre des chirurgiens-dentistes apporte un soutien financier important à un syndicat dentaire pour l’organisation d’une manifestation à Paris, en 2014, ou met en œuvre des mesures de boycott des réseaux de soins dentaires, il outrepasse son rôle », soulignent les magistrats faisant référence à la récente condamnation de l’ONCD par l’Autorité de la concurrence.
Réponses de l’Ordre des chirurgiens-dentistes
Face aux recommandations des magistrats de la rue Cambon, l’ONCD formule plusieurs remarques en annexe du rapport. Il rappelle ainsi que le conseil national est assisté par un membre du Conseil d’État, « avec voix délibérative, présent à toutes les sessions du conseil et invité à toutes les commissions. La chambre disciplinaire de première instance et la chambre disciplinaire nationale sont présidées par un magistrat. Cet élément exogène à la profession est une garantie d’impartialité à laquelle l’ONCD tient ».
L’instance souligne également que les conseillers ordinaux sont dans l’obligation d’établir une déclaration publique d’intérêt et qu’elle est soumise au dispositif public d’appel d’offres des marchés. S’agissant du DPC, l’Ordre constate que « ce n’est que depuis juillet 2020 que l’Agence nationale du DPC (ANDPC) permet à l’ensemble des chirurgiens-dentistes, quels que soient leurs modes d’exercice, d’ouvrir un compte appelé « Mon DPC » comprenant leur document de traçabilité » qui permettra de « tracer » les actions de DPC.
Enfin, s’agissant de la recommandation de la Cour consistant à rendre publiques, de manière qu’elles soient connues de tous les patients, les mesures de suspension et de radiation prononcées à l’encontre d’un praticien, l’ONCD constate « que les textes ne prévoient une notification de la décision rendue qu’à des personnes prévues limitativement : patient auteur de la plainte, le chirurgien-dentiste poursuivi, l’Ordre, le Défenseur des droits, l’ARS, le ministère… »
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