Traduction Julie Poline
Vous êtes un chercheur expert dans le domaine des biomatériaux dentaires, quelle est l’avancée dont vous êtes le plus fier ?
Mes domaines de prédilection sont le développement de stratégies innovantes pour améliorer l’adhésion et les matériaux adhésifs de restauration dentaire à base de résine. Cela dit, ces cinq dernières années, je me suis beaucoup intéressé à la reminéralisation de l’interface résine/dentine par des approches biomimétiques/bioactives expérimentales.
La perméabilité dentinaire et le traitement de l’hypersensibilité dentinaire via des approches biomimétiques/bioactives me captivent également. C’est le Dr David Pashley (Université de Georgia, Augusta, États-Unis), qui m’a transmis son engouement pour ce sujet et qui m’a enseigné les principes fondamentaux de la conductance hydraulique à travers les tubuli dentinaires et les effets de la pression pulpaire hydrostatique sur l’hypersensibilité dentinaire, à l’interface résine-dentine. Je ne le remercierai jamais assez, ainsi que mes mentors, les Drs Francesco Mannocci et Timothy Watson (King’s College de Londres), qui ont fait le chercheur que je suis devenu aujourd’hui.
Vous avez récemment coécrit un article sur les nano-technologies.
Pouvez-vous nous dire quelles applications dentaires vous y voyez à court et long terme ?
Oui, j’ai collaboré avec des experts comme Gislaine Padovani, Victor Feitosa, Franklin Tay, Gabriela Durán, Amauri Paula et Nelson Durán, dans le cadre d’une étude détaillée sur les nano-matériaux et leurs applications cliniques en « nano-dentisterie ». Nous avons analysé les propriétés de ces nano-matériaux polymères, métalliques et inorganiques, et leur potentielle utilisation en dentisterie restauratrice. Cet article a été publié dans une revue à haut impact factor (Trends in Biotechnology ; IF 11,958).
L’une des caractéristiques les plus prometteuses de ces nano-matériaux est leur capacité à imiter les propriétés physico-chimiques naturelles, mécaniques et esthétiques de l’émail et de la dentine. C’est ce que recouvre le terme biomimétique, c’est-à-dire, des matériaux fabriqués par l’homme mais imitant la nature et les processus naturels. Certaines résines dentaires et certains composites utilisés aujourd’hui ont déjà reçu un « nano-traitement » qui consiste en l’incorporation de nano-particules de céramique ou riches en silice qui, en plus de mimer les propriétés optiques de la dent, affichent d’excellentes propriétés mécaniques et une résistance accrue à la carie. Il existe aussi des nano-matériaux à base de saphirs et diamants, vingt fois plus résistants que leurs homologues à base de céramique. Les biomatériaux dentaires devraient bénéficier à court terme des progrès des nanotechnologies, ce qui signifie l’arrivée de nouveaux matériaux à l’apparence encore plus naturelle, une durabilité améliorée et une manipulation facilitée.
Un autre champ de recherche est celui de la reminéralisation et de la régénération du tissu dentaire, dont la capacité naturelle de régénération chez l’adulte est très limitée. Les nano-matériaux utilisés conjointement à des cellules souches permettraient de régénérer la dentine, le cément et même l’émail. Cependant, soulignons bien que de plus amples études sont nécessaires pour déterminer la toxicité de ces matériaux, susceptibles d’affecter les cellules saines du tissu traité.
Leurs effets dans la cavité buccale, comprenant des paramètres tels que le pH, le pouvoir tampon de la salive, leur contact avec les muqueuses et leur diffusion dans les tissus dentaires, restent à évaluer. La plupart des études s’intéressant à leur toxicité se limitent à des tests in vitro. Davantage d’études cliniques se révèlent indispensables pour saisir leurs effets sur le long terme.
Vous avez créé le groupe Facebook « Biomaterials Dental Science – Research », quels sont ses objectifs ?
Son principal objectif est de permettre une communication active entre le cercle universitaire, les industriels et les praticiens en matière de science des biomatériaux dentaires.
Les sujets prioritairement traités concernent des données issues de la recherche clinique ou fondamentale, les nouvelles technologies en clinique et en laboratoire, les propriétés ou la performance des matériaux dentaires, ainsi que la réaction des tissus de l’hôte aux biomatériaux.
De plus, comme l’a récemment déclaré le Dr John Comisi, l’un des membres intervenants les plus actifs de ce groupe, « il est souvent difficile d’appréhender des sujets variés, ainsi, échanger dans ce forum aide à rester à jour et à s’informer sur les nombreuses thématiques qui nous intéressent ».
Un autre objectif, qui touche plus au rêve qu’à la réalité, est que ce groupe contribue à combler une partie du fossé entre la recherche in vitro et la recherche clinique, en incitant les chercheurs et les cliniciens à la recherche translationnelle et à l’innovation en dentisterie.
Comment comptez-vous procéder ?
Nous sommes simplement des passionnés de la recherche dentaire. Nous suivons les avancées les plus récentes et les plus importantes, émanant aussi bien de chercheurs individuels que de grandes équipes, comme celles de Franklin Tay, Bart Van Meerbeek et de beaucoup d’autres leaders d’opinion de la recherche en biomatériaux. Ensuite, nous discutons leurs résultats scientifiques, en espérant motiver d’autres chercheurs à approfondir ces sujets par d’autres recherches. Enfin, nous débattons de la possibilité et de la faisabilité d’appliquer en pratique quotidienne de nouveaux protocoles, testés in vitro et in vivo.
Les praticiens qui ne font pas de recherche sont-ils exclus ?
Absolument pas ! Même les étudiants sont invités à suivre nos discussions sur les protocoles cliniques innovants et/ou validés, par des preuves scientifiques. Nous sommes aujourd’hui plus de 10.000 membres. Rejoignez-nous !
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