Quels experts cette rencontre a-t-elle réuni ?
Une petite centaine d’experts, européens, mais aussi d’Amérique du Nord, étaient présents lors de cette conférence organisée par la Fédération européenne de parodontologie représentée par le Pr Mariano Sanz (Madrid) aidé des Prs Maurizio Tonetti (Honk-Hong), Tord Berglundh (Göteborg), Soren Jepsen (Bonn), et par l’Osteology Foundation représentée par Christer Dahlin (Göteborg) avec William Giannobile (Ann Arbor), Ronald Jung (Zurich) et Frank Schwarz (Francfort). La France y était représentée par deux participants, Pierre Layrolle, directeur de recherche à Nantes (Inserm U957), et moi-même.
Nous avons travaillé en quatre groupes en fonction des thématiques.
La première concernait plus spécialement l’aspect fondamental de la biologie de la cicatrisation, l’utilisation de facteurs de croissance et des cellules souches dans la croissance osseuse, les nouvelles ouvertures qu’offre l’ostéoimmunologie dans la compréhension des mécanismes du maintien du niveau osseux. Enfin, l’exceptionnelle capacité de cicatrisation spontanée des alvéoles d’extraction a été largement mise en avant.
En effet, chez l’homme, la perte alvéolaire après extraction varie de 29 à 63 % dans le sens horizontal et de seulement 11 à 22 % dans le sens vertical. Elle est plus importante en vestibulaire qu’en palatin/lingual et plus modérée dans les secteurs postérieurs qu’antérieurs. Cela souligne l’importance des techniques de préservation osseuse lors des extractions dans le secteur incisif maxillaire.
Ces techniques de préservation osseuse reposent le plus souvent sur l’utilisation de biomatériaux. Avez-vous travaillé sur ce sujet ?
Il s’agissait en effet du thème abordé par le deuxième groupe. Il traitait des matériaux et biotechnologies utilisés dans la région cranio-maxillo-faciale. Les membranes utilisées en régénération osseuse guidée (ROG) sont aujourd’hui bien documentées et remplissent pour la plupart le cahier des charges demandé à un biomatériau de régénération. La donnée nouvelle est qu’elles sont bioactives par elles-mêmes et participent activement à la régénération de l’os sous-jacent.
Des efforts sont faits pour les utiliser comme porteur et leur incorporer des facteurs de croissance et des cellules souches afin d’optimiser leur efficacité. Les Bone Morphogenic Proteins (BMP), essentiellement BMP-2, et les concentrés autologues de plaquette, lorsqu’ils sont utilisés comme agents bioactifs, semblent efficaces pour améliorer la régénération osseuse. Néanmoins, le niveau de preuve est faible car les essais cliniques sont de faible puissance et les coût-efficacité n’ont pas été explorés sérieusement.
L’incorporation de cellules de moelle osseuse à un biomatériau utilisé lors des comblements de sinus ou les augmentations osseuses horizontales semblent entraîner des résultats supérieurs à ceux obtenus avec le biomatériau seul. Cela reste au niveau de la recherche pour l’instant, mais les pistes semblent intéressantes.
La question que se posent souvent les praticiens qui doivent extraire une dent et la remplacer par un implant est celle de l’indication de l’extraction/implantation immédiate ou précoce. Un groupe a-t-il travaillé sur le sujet ?
En effet. Il est certain que l’implantation immédiate est très appréciée par les patients (une seule intervention). Malheureusement, l’essentiel des travaux a été fait sur des dents unitaires et il est difficile d’extrapoler à des situations où plusieurs dents sont à extraire. Ainsi, le moment de l’implantation reste encore une décision clinique fondée sur l’expérience du praticien.
L’examen de la littérature permet néanmoins d’identifier les situations à risque suivantes : présence d’une infection, absence de stabilité primaire, impossibilité de placer l’implant dans une bonne position prothétique, perte osseuse vestibulaire importante nécessitant une reconstruction osseuse complexe, phénotype parodontal fin associé à une ligne du sourire haute chez des patients à forte demande esthétique, affections systémiques et facteur de risque intervenant négativement sur la cicatrisation (diabète mal contrôlé, maladies auto-immunes, addictions).
En substance, le profil idéal de l’implantation immédiate est la présence d’une alvéole intacte, d’un phénotype gingival épais et d’une dent postérieure chez un sujet à faible demande esthétique. En résumé, une situation clinique finalement peu fréquente.
Mais qu’en est-il du patient édenté de longue date et en demande d’implant dentaire ? Il faut souvent régénérer l’os perdu.
La situation clinique est évidemment différente de la précédente. L’un des groupes travaillait sur la régénération des défauts de la crête alvéolaire. En ce qui concerne l’augmentation osseuse préimplantaire, à la lumière des revues systématiques, il apparaît que les techniques d’augmentation osseuse latérale et verticale sont fiables, mais associées à un taux élevé de complications.
La régénération dans les lésions péri-implantaires n’a fait l’objet que d’un nombre limité d’essais cliniques randomisés. Néanmoins, on peut observer une amélioration de gain osseux dans ces lésions mais pas d’amélioration clinique. La fiabilité à long terme des comblements sinusiens est confirmée.
Quelle est votre conclusion à la suite de cette conférence ?
Nous souhaiterions plus de certitudes sur lesquelles appuyer nos décisions cliniques. L’absence de preuve de son efficacité ne signifie pas qu’un matériau soit mauvais, il signifie simplement que le chirurgien fait prendre le risque à l’opéré qu’il soit mauvais. Notre rôle n’est pas de faire prendre des risques aux malades, il est au moins de leur garantir qu’ils n’en prennent pas, même si le risque nul n’existe pas.
La recherche en santé n’est donc pas destinée aux chercheurs mais aux malades. Notre profession n’a pas besoin de bons vendeurs pour les soigner mais de bons chercheurs et de bons cliniciens pour instaurer la confiance entre soignant et soigné. Ce type de conférence procède de cette approche et est destinée à aider les cliniciens dans leur démarche thérapeutique.
Pour rebondir sur vos propos, pensez-vous que la présence de l’industrie dans ce secteur soit une difficulté ?
Certainement pas, car sans la recherche et le développement des industriels, les avancées fondamentales seraient moins rapides et les produits plus lents à être commercialisés. Cependant, la difficulté majeure à laquelle se heurtent nos confrères est le tri qu’il faut faire entre les niveaux de preuve, c’est-à-dire entre l’avancée scientifique et l’applicabilité clinique.
Le rôle d’un universitaire devrait toujours être d’aider les praticiens à y voir clair dans une forêt d’informations où parfois se glissent des « fake news » pour utiliser un terme tristement à la mode. L’objet de ces conférences est d’établir un consensus entre experts afin de délivrer une information honnête et juste.
Certains experts ne sont-ils pas justement financés par l’industrie, soit à titre personnel, soit au niveau de leurs crédits de recherche ?
Oui, mais tous ne le sont pas à la même enseigne et les inévitables liens d’intérêt qui font l’objet d’une déclaration préalable souvent se neutralisent. Nous y veillons avec la plus grande attention, même si, dans un domaine aussi sensible aux marchés qu’est celui des implants dentaires, le 100 % d’objectivité est difficile à obtenir.
Disons que 80 experts qui se surveillent sont plus fiables que deux conférenciers qui s’écoutent… Ce n’est pas parfait mais c’est le moindre mal. Pour organiser ce type de rendez-vous, il faut aussi un sponsor et s’assurer de l’indépendance des conclusions. Je n’ai à ma connaissance jamais vu un sponsor peser sur les débats. Ce serait contre-productif pour lui.
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