Situation
Mon patient a 37 ans. Il est en bonne santé générale et je dois extraire ses dents de sagesse.
Je participe aussi à un réseau de praticiens qui collecte des dents à des fins de recherche biomédicale en vue d’étudier les cellules de la pulpe dentaire.
A qui appartient cette dent extraite ? Dois-je demander le consentement du patient pour recueillir sa dent ? Représente-t-elle un déchet anatomique, auquel cas je n’ai pas besoin de lui en parler ? Faut-il l’informer de cette étude ? A quel moment ? Serait-il préférable qu’une autre personne le renseigne sur le devenir de sa dent afin que mon action reste uniquement dans le cadre du soin ? Comment le protéger, sans le stresser, tout en continuant à faire progresser la recherche odontologique ?
Réflexions d’Alix Le Breton
Interne au service d’odontologie de l’hôpital Bretonneau – APHP Paris
Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale – Faculté de médecine – Université Paris Descartes
Les recherches sur les cellules de la pulpe dentaire requièrent l’utilisation de dents saines récupérées à la suite d’extractions réalisées dans le cadre de soins nécessaires dans le seul intérêt du patient.
Les recherches sur les cellules de la pulpe dentaire répondent aux articles L.1235-2 et L.1245-2 du Code de la santé publique qui précisent que les résidus opératoires prélevés lors d’une intervention chirurgicale peuvent être utilisés à des fins thérapeutiques ou scientifiques, excepté si le patient, après avoir été informé des finalités de cette utilisation, s’y oppose.
Le plus souvent, le patient ne souhaite pas garder sa dent et pense qu’elle sera jetée. Cependant, ce n’est pas parce qu’il ne souhaite pas conserver sa dent que l’on peut présumer qu’il consent à son utilisation pour la recherche. Le Code civil affirme d’ailleurs la non-patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits, et les échantillons biologiques dont ils sont issus n’appartiennent pas plus à l’équipe médicale qu’à celle de la recherche. Cette dernière n’en est que le dépositaire.
Pour autant, le patient doit consentir à l’utilisation de sa dent à des fins de recherche.
Ce consentement doit reposer sur une information claire et loyale, bien comprise par le patient.
Il permet de reconnaître le patient en tant qu’individu. C’est également le moyen d’améliorer la relation de soins tout en permettant au patient de se sentir acteur de la recherche et de contribuer à sa façon aux progrès de la science.
Une règle de bonne pratique consiste donc à fonder cette communication sur un entretien oral, avec le support d’un document d’information remis au patient, à la suite duquel il signera un formulaire de consentement dont un exemplaire lui sera remis, et un autre conservé dans son dossier.
Est-ce le rôle du praticien ? Même si une relation de confiance existe entre le chirurgien-dentiste et son patient, l’avantage de l’intervention d’une tierce personne (l’investigateur de la recherche) minimiserait les risques d’un conflit d’intérêts entre la recherche et le soin, et le patient pourrait s’opposer ou consentir plus librement. De plus, il est légitime de penser qu’un membre du laboratoire serait plus à même d’informer le patient de manière claire et loyale à propos de la recherche.
Reste à déterminer le moment le plus propice à cette information : aborder le thème de la recherche avant l’extraction impliquerait pour le patient de faire comme si “la dent était déjà sur la table”. Il pourrait penser que l’indication d’extraction a été posée pour la recherche et non pour le soin, et craindre la réaction du chirurgien-dentiste en cas de refus de donner sa dent.
Le chirurgien pourrait aussi être tenté de modifier son acte opératoire s’il était informé du consentement de son patient à l’utilisation de sa dent pour la recherche.
En outre, avant l’intervention, le patient est-il vraiment apte à recevoir l’information ?
Pour le patient, l’extraction est souvent un acte opératoire stressant et, avant l’intervention, il doit déjà recevoir l’information liée au soin. Il semblerait donc que le meilleur moment pour informer et recueillir son consentement soit après l’extraction, c’est-à-dire le moment où il est le moins vulnérable.
Mais certains patients, encore anesthésiés et sous l’emprise d’un relâchement après l’intervention chirurgicale peuvent ne pas être en état de décider librement.
Toutes les attitudes restent donc critiquables. Il convient alors de se placer en posture de protection de la personne en délimitant parfaitement les contours du soin et ceux de la recherche.
C’est donc à l’équipe médicale d’adapter ces recommandations en fonction du fonctionnement du service, et en fonction de chaque patient.
Réflexions du Professeur Jacques G. Ruelland
Professeur à l’Université de Montréal – Canada
La dent est un organe notamment destiné à broyer des aliments, non un déchet biologique. Le don d’une dent se distingue du don d’un autre organe. Lorsqu’un cœur est transplanté dans un autre corps et continue d’y assurer des fonctions vitales, le lien entre donneur et receveur, même anonyme, requiert un encadrement bioéthique et juridique particulier. Mais lorsque la dent donnée ne sert qu’à la recherche sur l’étiologie de maladies bucco-dentaires ou à l’histologie de la pulpe, ce lien n’existe pas et son cadre bioéthique et juridique est différent. Les prescriptions bioéthiques prévues par les conventions nationales ou internationales relatives aux dons d’organes ne s’appliquent donc pas toutes au don d’une dent.
Le corps du donneur est le résultat de l’évolution humaine depuis des millénaires. L’homme reçoit la vie en don de la nature (ou de Dieu, diront les croyants), un don absolu, gratuit, irrévocable, inaliénable par un tiers. Ce constat fonde à la fois l’argument éthique et l’argument juridique sur la question, la loi protégeant et garantissant intégralement la sécurité de chaque personne, de son corps vu comme un tout aussi bien que des organes qui le composent.
Le prélèvement sur un vivant est distinct du prélèvement sur un mort. Dans le cas du don d’une dent, le consentement du donneur, qui doit être lucide, bien informé et volontaire, doit être obtenu par écrit et ce donneur doit être tenu au courant, même sommairement (plus amplement si désiré), des résultats des recherches faites grâce à son don. Du fait de l’absence de receveur de cette dent si celle-ci est destinée à la seule recherche, la loi relative aux dons d’organes ne s’applique pas intégralement. Le don d’une dent doit être gratuit, irréversible et irrévocable, puisque les dents, pas plus que le corps humain, ne sont pas des biens patrimoniaux au sens juridique. Les mêmes règles s’appliquent avec une personne décédée, lourdement handicapée ou mineure, l’interlocuteur du chercheur étant alors un membre de la famille ou le curateur du donneur.
Le chirurgien-dentiste sollicitant lui-même son patient pour recevoir un don de dent se place dans une situation potentielle de conflit d’intérêts. Le secrétariat d’une fondation ou d’un laboratoire de recherche odontologique devrait solliciter et gérer les dons de dents et informer les patients et le public. Lorsque le patient a signé son consentement, le bureau lui apprend, par un moyen indépendant du chirurgien-dentiste traitant, que la dent retirée ou qui lui sera retirée à sa prochaine visite – si son ablation est planifiée – sera envoyée par ce praticien au laboratoire de recherche odontologique. Les marques de respect et de reconnaissance accordées aux donneurs d’autres organes doivent être adressées aux donneurs de dents afin de valoriser leur collaboration à l’avancement de la recherche médicale bucco-dentaire.
Médecine et chirurgie peuvent largement bénéficier de l’étude histologique des tissus dentaires. Les maladies bucco-dentaires doivent encore être étudiées afin que soient mises au point des thérapies susceptibles d’enrayer toute forme d’odontalgie. Mais cela ne peut se faire que par une recherche scientifique liée à un approvisionnement régulier en dents, pratiqué par les chirurgiens-dentistes traitants, en collaboration avec un laboratoire d’odontologie. L’élaboration d’un code d’éthique relatif au don des dents, fondé sur les principes éthiques et juridiques énoncés ici, est un préalable nécessaire à la structuration de cette recherche.
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