Quand le patient cache des informations sur sa santé…

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Information dentaire
Le chirurgien-dentiste doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état. En retour, le patient est tenu à une loyauté envers son praticien. Pourtant, nombre de patients ont tendance à mentir. Selon Jacques-Alain Miller, si le patient “ment”, c’est dans le sens où il croit connaître ses désirs et la cause de ses problèmes, alors que leur sens véritable, dissimulé dans l’inconscient, lui échappe. Le patient peut avoir peur de parler, avoir honte de se dévoiler ou avoir intérêt à cacher une information. La relation de confiance doit alors être recréée avec tact pour permettre une parole entière et une écoute totale.

Situation

Je soigne M. et Mme  Martin depuis de nombreuses années. Au cours d’une séance de soins, Mme  Martin, très en colère me révèle qu’elle et son mari sont séparés et vont divorcer. Elle ajoute que son conjoint est alcoolique depuis plusieurs années et qu’il a failli mourir à la suite d’une prescription d’antibiotiques de son médecin. Il y était allergique. Je suis étonné et je lui réponds que je compléterai son questionnaire médical à son prochain rendez-vous. Je suis très surpris, car le dossier médical de M. Martin ne fait rien apparaître. Or des avulsions dentaires sont programmées prochainement. Au rendez-vous suivant, alors que je tente de le faire parler sans citer “mes sources”, M. Martin ne révèle rien de plus sur son état de santé. Comment puis-je lui prescrire des antibiotiques ? Comment lui faire confiance s’il me cache des informations sur sa santé ? Dans son intérêt, dois-je lui révéler les dires de son épouse, afin de l’inciter à m’informer ? Puis-je considérer que les informations de Mme Martin sont sans fondements ? Que se passerait-il en cas de complication à la suite de ma prescription d’antibiotiques ?

Réflexions du Docteur Annick Devillers

Maître de conférences à la Faculté de Chirurgie Dentaire de Lille


La qualité et la sincérité représentent la clé de voûte de la relation patient-praticien. Certains parlent de « colloque singulier ». Or, c’est le secret professionnel, parce qu’il est impératif, qui garantit cette relation de confiance. Sauf quelques dérogations très précises (maltraitance sur mineur par exemple), le secret professionnel, bien que souvent partagé par les professionnels de santé, avec l’accord du patient, est opposable, sauf pour le patient lui-même qui a droit à la vérité sur son état de santé.

Dans la situation proposée, les informations sont portées à notre connaissance par une tierce personne, à savoir la “future ex-épouse” du patient concerné.

Ces propos peuvent être entendus, sans être commentés par le praticien. En effet, on peut se demander si ce n’est pas sous l’emprise de la colère, voire de la rancœur, ou à la suite d’un différend difficile à régler que cette information a été donnée.

Cependant, ces révélations doivent interpeller notre curiosité dans le but d’améliorer la prise en charge thérapeutique de M. Martin. Au prochain rendez-vous du patient, notre investigation et notre questionnement devront être plus empathiques, sans présence collatérale, pour recevoir éventuellement des confidences. Le terme interrogatoire médical a d’ailleurs toujours semblé mal à propos.

Si M. Martin ne révèle rien de plus sur son état de santé et ses règles de vie, nous pouvons penser subjectivement que les dires de son épouse ne sont pas forcément fondés ou que les aveux sont trop difficiles à exprimer.

Il serait judicieux d’observer les signes externes d’une éventuelle « exogènose », qui ne sont, bien entendu, que des indications.

Il paraît judicieux de donner à notre discours un ton narratif et/ou pédagogique plutôt qu’interrogatif. Par exemple, notre souci de connaître des simples allergies irritatives jusqu’au choc anaphylactique tant redouté. Poser ensuite la question sur ses éventuels antécédents allergiques. Pourquoi pas, rappeler que nous souhaitons prescrire une antibioprophylaxie, mais que le choix de l’antibiotique efficace sur la sphère oro-faciale nécessite certaines précautions.

Il peut être rappelé que la prise des antibiotiques contre-indique celle de boissons alcoolisées.

L’information ayant ainsi été donnée, la responsabilité, le cas échéant, serait partagée.

Il est aussi possible de demander au patient s’il a bénéficié récemment d’un examen biologique sanguin, d’un bilan hépatique, d’une évaluation de temps de coagulation, des transaminases, du volume globulaire, par exemple.

Il faut faire comprendre que cet examen complémentaire est demandé pour le bien du patient et la sécurité des soins.

Ainsi, dans un souci de bienveillance vis-à-vis du patient, à partir de données objectives biologiques, la conversation pourra être étayée et permettre une précision sur les informations reçues autorisant une décision thérapeutique partagée et bénéfique pour le patient. Il justifie également que l’acte chirurgical soit différé.

Il est possible, avec l’autorisation du patient, de prendre un contact avec son médecin traitant pour évaluer, par exemple, les résultats d’un bilan sanguin récent et/ou vérifier si des informations particulières lui ont aussi été confiées.

Il apparaît judicieux, si nous voulons garder un esprit éthique, d’abord d’entendre et de ne pas juger, de rester vigilant mais dubitatif par rapport aux confidences d’un tiers.

Il faut ensuite faciliter la confidence, voire l’aveu, dépasser la honte, lever les réticences, les résistances, la pudeur, la gêne du patient.

Enfin, si l’alcoolisme de M. Martin se trouve avéré, sans le juger ni le réprimander, il peut lui être conseillé de reprendre contact avec son médecin ou une association d’aide aux personnes dépendantes.

Si, en revanche, les dires de Mme Martin sont non fondés, nous ne lui en ferons pas la remarque, pas plus que la connaissance d’un bilan biologique effectué. Même entre conjoints qui poursuivent un chemin de vie apaisé, nous ne devons pas rompre les exigences du secret professionnel.

Cependant, si rien ne confirme ni n’infirme les allégations de Mme  Martin, la prudence en matière de soins représentera une sécurité pour le patient et pour le praticien. Est-ce là le principe de précaution ?

Réflexions du docteur François Paysant

Maître de conférences des Universités, Médecine légale, Faculté de Médecine de Grenoble


• La place de l’information recueillie auprès d’un tiers.

Le professionnel doit toujours s’interroger sur la véracité des données, ce d’autant qu’elles sont apportées par un tiers. L’analyse des informations s’attachera à savoir si elles sont circonstanciées ou non, si l’histoire clinique rapportée est cohérente, s’il y a volonté de bienfaisance ou de nuisance (situation de séparation) de la part de l’épouse. Il paraît alors indispensable d’essayer de conforter cette donnée ; on peut certes le faire auprès du patient en ciblant spécifiquement son interrogatoire. Si, malgré tout, il n’évoque rien, il s’agit soit d’une fausse information, soit d’une volonté de cacher la donnée.

Peut-on alors évoquer l’échange avec l’épouse ? À mon sens non, car le secret couvre les échanges entre le professionnel et sa patiente. Donnerla source de l’information peutatteindre la confiance de l’épouse dans le professionnel.

Peut-on alors essayer de validercette information auprès du médecin traitant ? Normalement, les échanges ne doivent se faire l’insu de l’intéressé.

De toute façon, que doit-on faire de cette information si le patient s’enferre dans une dénégation ? Cette absence de contre-indication à l’emploi d’un antibiotique selon le patient doit être tracée dans le dossier. En tout état de cause, une donnée non vérifiée, révélée par un tiers, ne peut être inscrite au dossier.

Dans ces conditions, le praticien n’a pas d’autre choix que de ne pas tenir compte de l’éventuelle allergie et de prescrire l’antibiotique suspecté tout en apportant l’information sur les effets indésirables et les risques possibles.

• La responsabilité du professionnel dans ces situations.

Le contrat entre le patient et le chirurgien-dentiste doit être fondé sur la confiance. Il est synallagmatique, créant des obligations aux deux parties.

Si le choc à l’antibiotique survient, la responsabilité du praticien pourra être discutée sur ces bases :

– si le praticien a recherché consciencieusementles contre-indications, on ne pourra pas retenir la moindre faute ni pénale ni civile. Le patient ne pourra pas se prévaloir d’une omission volontaire pour demander réparation. En effet, depuis l’arrêt Mercier 1936, le praticien doit à son patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données de la science. Dans ce cas d’omission volontaire du patient de donner une information, le praticien aura respecté les exigences de l’arrêt précité, puisque les soins sont consciencieux attentifs et conformes aux données de la science par rapport aux informations validées en sa possession ;

a contrario, si le chirurgien-dentiste, se basant sur une information obtenue de façon officieuse, ne prescrit pas l’antibiotique et qu’une infection se développe, dans cette situation la réclamation du patient a toutes les chances d’aboutir. L’indication de traitement existait, et c’est sur une information recueillie de façon chaotique et possiblement non fondée que la prescription n’a pas été rédigée. La défense du praticien paraît fragile sur cet argument.

Pour résumer, les tiers ont une place annexe dans la relation praticien-patient (si le patient est bien entendu en pleine possession de ses capacités de jugement) et seules les informations apportées avec les patients peuvent être formalisées dans le dossier. Ce cas proposé est une nouvelle fois l’occasion d’insister sur l’importance de l’échange entre le professionnel et son patient, que cela porte sur l’interrogatoire, sur l’information donnée ou sur le consentement à l’acte.


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