Dominique Pon est directeur général de la clinique Pasteur de Toulouse et responsable stratégique de la transformation numérique en santé en tant que collaborateur du ministre des Solidarités et de la Santé. Découvrez son parcours et sa vision de l’e-santé en France.
1/ En 2001, vous débutez dans l’e-santé, lors de votre arrivée à la clinique Pasteur. Quelles ont été les grandes étapes depuis cette date ?
Lorsque je suis entré comme responsable informatique à la clinique Pasteur de Toulouse en 2001, nous avons commencé par le volet professionnel de l’e-santé, en créant notre propre dossier patient informatisé. Nous sommes allés sur le terrain à la rencontre des soignants, des médecins et des infirmiers, et nous avons travaillé avec eux en étroite collaboration. Le dossier sur mesure que nous avons produit, DOPASYS, a été bien adopté par les praticiens. C’est pourquoi il a servi en 2004 comme démonstration de ce que pouvait être le dossier médical partagé (DMP), dont le principe venait d’être lancé par Philippe Douste-Blazy qui était alors ministre de la Santé. Le succès de DOPASYS nous a également conduits à créer une start-up pour le développer et le déployer dans d’autres établissements de santé. La start-up ayant également bien réussi, nous l’avons vendue à Siemens. L’étape d’après était la création de l’incubateur Hi-LaB dédié à l’innovation médicale, afin de lancer encore d’autres start-up. Peu à peu, le numérique est entré dans les gènes de tous les cliniciens, de tout le personnel de la clinique Pasteur, et nous avons numérisé tous les processus. Cela a pris quinze ans.
Depuis cinq ans, la révolution digitale se situe au niveau de la relation entre la clinique et nos patients. Les patients ont accès à leur dossier médical ; ils préparent en ligne leur hospitalisation, leur préadmission. Le suivi postopératoire est digital, comme le sont les outils d’éducation thérapeutique.
2/ Quelles leçons tirez-vous de ces expériences ?
La principale leçon est qu’au départ, les praticiens me disaient qu’il était impossible d’informatiser la médecine parce que c’était un art, mais aujourd’hui vous ne pouvez plus les séparer de leurs logiciels ! Seule l’informatique leur permet d’accéder 24 h/24 à toutes les informations, de travailler à distance. C’est devenu l’outil incontournable et incontestable. Les cliniciens participent à l’amélioration permanente de cet outil.
3/ Quel effet la pandémie a-t-elle eu sur l’outil numérique dans votre clinique ?
La pandémie a notamment favorisé le développement de la téléconsultation. Nous avions déjà un outil de téléconsultation à la clinique, mais il était utilisé seulement par de rares médecins avant-gardistes. Aujourd’hui, la téléconsultation s’est généralisée à tous nos cliniciens.
4/ Concernant la transformation numérique du système de santé français, qu’est-ce que le clinicien peut retenir ?
Depuis 15 ans, nous avons collectivement échoué à établir un outil numérique en santé cohérent et qui permette aux professionnels d’échanger de façon sécurisée. Les logiciels ne sont ni interopérables, ni ergonomiques, ni homogènes. C’est comme une ville sans règles, où chacun a créé sa maison, sa route, son pont, et où personne n’est connecté sur le même réseau d’électricité. Le citoyen français n’a pas accès à ses données de santé en format numérique, alors que beaucoup de pays ont bien avancé sur ce sujet. La cause est le manque de volontarisme politique. L’État ne s’est pas saisi de ce sujet de façon ferme pour imposer sa vision et poser des règles claires. Cela fait des ruptures dans le parcours de soins, dans l’échange entre l’hôpital et la ville, entre pharmaciens et Ehpad.
Ce que nous proposons, c’est que l’État reprenne son rôle régalien de régulateur. L’État ne doit pas construire des services à valeur ajoutée, mais il doit mettre en place les règles et le socle technique. Nous investissons deux milliards pour mettre à jour tous les logiciels. Un logiciel ne sera plus valable s’il n’est pas conforme aux normes. Nous allons travailler avec les éditeurs de logiciels et accompagner les usages.
Il faut un identifiant numérique unique pour chaque Français. Puis, tous les logiciels doivent s’appuyer sur l’identifiant pour que nous parlions toujours du même patient.
Nous allons proposer aux citoyens français de redevenir maîtres de leurs données de santé. Chaque citoyen, en France, aura depuis sa naissance son propre espace numérique de santé, un coffre-fort numérique renfermant ses données personnelles. Chacun disposera également d’une adresse de messagerie santé sécurisée afin de recevoir les données. Enfin, il y aura un catalogue d’applications numériques de santé “tamponnées” par l’État.
5/ Les projets informatiques prennent souvent du retard. Allez-vous tenir votre planning ?
En avril 2019, nous avions annoncé 26 actions s’échelonnant jusqu’en 2022. Au mois près, nous tenons notre calendrier. Nous sommes déterminés.
Mais, attention, il n’y aura pas de “big bang” ; l’évolution se fait logiciel par logiciel. Dans les priorités du Ségur de la santé figure le partage des comptes rendus d’hospitalisation, des résultats de biologie, des comptes rendus d’imagerie, du résumé médical du médecin généraliste.
À titre d’exemple, dès 2021, nous allons travailler avec les radiologues et leurs éditeurs pour que le compte rendu d’imagerie soit communiqué au dossier patient via le DMP. Dans un deuxième temps, il y aura des liens pour pouvoir accéder aux images elles-mêmes. Nous allons travailler pour cela avec les professionnels et leurs représentations syndicales.
6/ Vous dites qu’il y aura un avant et un après cette transformation du système de santé. Lesquels ?
Oui, c’est un pari, mais je pense que d’ici mi-2022, nous pourrons dire qu’il s’est passé des choses dans la santé numérique en France. Je n’aurai servi qu’à impulser une dynamique, relayée par ceux qui adhèrent à la même vision. Je le sens depuis une bonne année. Cela fait vingt ans que je travaille à l’informatisation et que je rencontre des professionnels dubitatifs, circonspects. Ce qui compte, c’est de continuer à avancer.
7/ Quelle source d’information recommanderiez-vous au clinicien qui veut en savoir plus ?
Je recommande le site www.esante.gouv.fr de l’Agence du numérique en santé.
Commentaires