Prise en charge des patients malvoyants

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 34-36)
Information dentaire
L’Organisation Mondiale de la Santé prévoit d’ici à vingt-cinq ans le doublement du nombre de malvoyants dans le monde, soit 250 millions de personnes. Il convient donc de connaître l’attitude adaptée pour répondre aux besoins de la personne déficiente visuelle, sans toutefois basculer dans l’assistanat ou la surprotection. Les non-voyants rencontrent notamment de grandes difficultés pour se déplacer à l’intérieur des locaux hospitaliers ou dans les cabinets. Les principes éthiques doivent guider les praticiens dans leurs attitudes, et la prise en charge des soins dentaires pour ces patients soulève de nombreuses questions.

Situation

Un patient malvoyant se présente à mon cabinet accompagné de son chien dressé pour lui servir de guide. Compte tenu des impératifs d’hygiène et de sécurité, les chiens ne peuvent ni approcher les malades, ni pénétrer dans les salles de soins ou d’examens.
Pourtant, comment vais-je faciliter l’accès à mon cabinet ? Par ailleurs, il me questionne sur les traitements que je peux lui apporter. À la fin de la consultation, il dit me faire confiance et se propose de payer sa consultation avec sa carte bleue dont il désire me révéler le code secret. Je suis gêné par cette situation inhabituelle, car je veux éviter toute discrimination et le prendre en charge avec respect.
Mais comment prouver l’information donnée ?
Puis-je lui faire signer des documents ?
Dois-je lui fournir des documents en braille ?
Doit-il être nécessairement accompagné par une tierce personne ?
Comment va-t-il consentir ?
Comment le faire participer aux soins sans pouvoir lui montrer les résultats esthétiques ?

Réflexions du Professeur Martine Hennequin
PU-PH, Faculté de chirurgie dentaire de Clermont Ferrand

Les études les plus récentes rapportent que, globalement, l’état de santé bucco-dentaire des personnes déficientes visuelles est équivalent à celui des personnes de la population générale d’âge égal, alors que certaines études plus anciennes avaient suggéré que ces patients étaient plus concernés par la maladie carieuse et les traumatismes bucco-
dentaires. Le problème qui a été le plus souvent soulevé lors de ces différentes enquêtes est le manque d’hygiène apparent des jeunes déficients visuels par rapport aux jeunes voyants, qui peut être lié, d’une part à leur déficience sensorielle et, d’autre part, au manque de suivi de l’hygiène orale qui est constaté dans les centres d’accueil. Ainsi, la prise en charge d’un patient malvoyant devra cibler plus particulièrement, outre les soins habituels, l’éducation à l’hygiène bucco-dentaire.
En fait, c’est surtout le fonctionnement social qui caractérise le mieux les besoins spécifiques des patients déficients visuels. En particulier, ces patients sont plutôt anxieux dans le contexte du cabinet dentaire et l’anxiété du soin est plus sévère chez les personnes qui ont une déficience visuelle profonde. Ce sont donc avant tout les particularités bio-psycho-sociales du patient mal ou non voyant qui vont définir le cadre de sa prise en charge.
D’une manière générale, la relation de soins entre un patient et un soignant doit se construire sur un principe de réciprocité, le patient exprimant une demande au praticien afin de traiter un problème qui le concerne. Ce principe implique l’établissement d’une alliance thérapeutique, au sein de laquelle le patient a le sentiment d’avoir un certain contrôle sur le soignant et où le soignant a le sentiment de préserver la confiance du patient. Dans le cas des patients déficients visuels, la relation de soins prend une dimension particulière dans la mesure où ces patients ont peu d’éléments pour interpréter les intentions du professionnel et anticiper sur les actions qu’il va entreprendre dans leur bouche. Ils n’ont pas accès aux informations qui sont transmises par l’attitude corporelle, l’expression faciale ou les échanges visuels avec le praticien. La communication est donc essentiellement fondée sur le sens des mots et sur la représentation que le patient peut avoir des situations que le chirurgien-dentiste lui expose.
Ainsi, la prise en charge de ces patients est caractérisée par un entretien beaucoup plus long que pour les patients de la population générale. D’une part, il s’agit de recueillir les informations nécessaires non seulement à l’anamnèse et au diagnostic, mais aussi au vécu d’éventuelles situations de soins antérieures. D’autre part, il s’agit d’informer le patient sur chacune des actions que le chirurgien-dentiste va entreprendre lors de l’examen ou du soin, en remplaçant les informations visuelles par des informations tactiles et sonores. Toute action ou geste sur le corps d’un patient déficient visuel doit être annoncé en termes d’effets proprioceptifs que cela va générer. Ainsi, avant d’inviter le patient à s’asseoir sur le fauteuil en l’accompagnant, il convient de lui demander s’il accepte qu’on le guide sur le fauteuil en lui prenant le bras. De même, il est inutile, voire contre-productif, d’annoncer que l’on va prendre une fraise pour soigner une carie, et il est plus adapté de solliciter le patient pour qu’il laisse le praticien guider son index sur la dent qui va être soignée, pour qu’il touche et manipule la fraise sur le contre-angle ou la turbine à l’arrêt, puis, s’il s’agit du contre-angle, qu’il fasse l’expérience de la vibration à basse vitesse sur son ongle ou l’émail sain d’une dent antérieure. Pour le praticien, il s’agit là d’un véritable exercice dont on peut aisément mesurer la difficulté chaque fois que l’on utilise, à des fins d’information du patient, l’expression « vous voyez… » ou « regardez… ». Pour améliorer la représentation que le patient déficient visuel peut avoir du soin prévu, le praticien ou son assistante peut utiliser des modèles en trois dimensions, tels que ceux utilisés pendant le cursus universitaire, et représentant des dents saines, des dents cariées ou fracturées, ou des dents coupées longitudinalement et permettant de toucher une cavité endodontique. Enfin, les problématiques esthétiques peuvent être résolues en sollicitant le patient pour qu’il se fasse accompagner par une personne de confiance, qui l’informera de sa propre perception des considérations esthétiques afin que le patient lui-même puisse exprimer ses préférences.

Réflexions du Professeur Gilles Renard
Professeur des Universités
Directeur administratif de la Société Française d’Ophtalmologie

La situation évoquée pose un triple problème : l’accès à un cabinet dentaire d’un chien guide d’aveugle, la transmission à un non-voyant d’une information concernant le résultat d’une intervention et le règlement par carte bancaire.
L’accès au secrétariat et à la salle d’attente d’un aveugle accompagné de son chien guide ne pose pas de problème et doit être encouragé. L’accès à une zone de soins est strictement interdit au chien. Celui-ci est suffisamment bien dressé pour accepter d’attendre son maître à l’extérieur de la zone de soins et le maître n’en a plus besoin puisqu’il peut être guidé par le personnel du cabinet.
Pour la transmission à un non-voyant d’une information d’ordre esthétique, il n’y a pas de réponse simple. D’une façon générale, les aveugles sont peu attachés à l’esthétique de la face. Ne la voyant pas, ils n’ont pas de repère pour estimer l’effet produit sur leur entourage. La forme et la couleur des dents ne sont qu’un élément de l’esthétique de la face et probablement pas la préoccupation principale des aveugles. Leur souci est le confort, pas l’apparence. Ils feront donc confiance au chirurgien-dentiste pour leur poser la prothèse la mieux adaptée en forme et en couleur. La seule solution est de passer par une tierce personne, personne de confiance pour le patient, qui appréciera à sa place le résultat et lui transmettra l’information.
Une information en braille n’est pas nécessaire, beaucoup d’aveugles ne maîtrisant pas bien ce mode de communication. C’est à nouveau l’intervention d’une personne de confiance qui permettra de lire au non-voyant le texte de l’information, de lui demander ses remarques et de l’aider à signer le document.
Pour le règlement par carte bancaire, tous les aveugles connaissent depuis longtemps le clavier de saisie du code secret qu’ils utilisent sans difficultés. Il ne faut pas accepter de le faire à leur place, car il n’y a pas de traçabilité de cette substitution.

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