Prise en charge d’un patient atteint d’une maladie rare

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 20-22)
Information dentaire
Une maladie est rare si elle touche moins d’une personne sur 2 000. Plus de 7 000 maladies sont ainsi répertoriées et font qu’au total, une personne sur 20 est concernée directement ou indirectement.
Le plus souvent, le patient se trouve alors isolé face à la maladie et à l’insuffisance de l’information. Les anomalies du développement dentaire font partie du tableau clinique. Le chirurgien-dentiste traitant a donc un rôle indispensable de dépistage, d’information, d’orientation ou de traitement de ces patients.
Face à “l’inconnu”, sa prise en charge doit répondre au bien-être du patient et au respect de sa dignité.

Situation

Les parents de mon patient venant de Lyon, atteint d’hypophosphatémie, me racontent le parcours long
et difficile de leur enfant avant d’avoir pu poser le diagnostic de sa maladie. Il a consulté de nombreux médecins et souffert d’erreurs de diagnostic. Dernièrement, ils se sont vu refuser par leur chirurgien-dentiste des sealents pourtant préconisés à leur enfant par le centre de référence pour cette maladie rare, situé à Paris.
S’ils ont d’abord fait des aller-retour à Paris, les parents
me demandent de bien vouloir pendre en charge leur enfant selon les préconisations du centre de référence pour
cette maladie.
Je veux l’aider, mais je ne connais pas cette maladie et je crains de m’engager dans un traitement qui puisse m’orienter dans des complexités mettant en cause ma responsabilité. Il faut aussi éviter aux parents et à cet enfant des déplacements inutiles. Comment le prendre en charge pour lui apporter la prévention dont il a besoin ? Puis-je le soigner sans parfaitement maîtriser cette maladie rare ? Dois-je suivre les demandes du centre de référence, alors que je reste autonome dans le choix du traitement ? Dois-je l’adresser malgré tout à un confrère plus compétent à Paris ?

Réflexions du Professeur Catherine Chaussain
Professeur des Universités – Praticien hospitalier
EA 2496 UFR Odontologie Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité et Hôpital Bretonneau
Référente odontologique du Centre des maladies rares du métabolisme du phosphore et du calcium

De nombreuses maladies rares ont des conséquences sévères, directes ou indirectes, sur la formation des dents (anomalies de nombre, de forme, de structure) ou de l’os craniofacial (fentes, dysmorphoses dont craniosténoses…). Ces patients demandent donc une prise en charge dentaire et maxillo-faciale spécifique, souvent par le biais d’un centre de référence. Cependant, une prise en charge de proximité par un praticien de ville apporte un bénéfice réel pour le patient et sa famille et accroît considérablement sa qualité de vie. Plutôt que de conduire ces deux prises en charge sur deux droites parallèles, il est dans l’intérêt du patient qu’une interaction se crée entre l’équipe hospitalière et le praticien libéral. Les soins courants peuvent en effet parfaitement être réalisés au cabinet dentaire, car ils ne demandent bien souvent aucun équipement ou technologie supplémentaire.
Une visite annuelle ou parfois bi-annuelle avec le chirurgien-dentiste du centre de référence permet de vérifier que les signes cliniques en rapport direct avec la maladie rare n’évoluent pas défavorablement. À l’occasion de ces visites, ce praticien familier de la maladie du patient peut demander au praticien libéral de réaliser tel type de soin, parfois non conformément à ce qui est recommandé dans la population générale. Ainsi, au centre de référence des maladies rares du métabolisme du phosphore et du calcium, nous demandons fréquemment aux praticiens de ville d’obturer par des résines fluides tous les sillons des molaires temporaires des enfants avec un rachitisme génétique, ce qui n’est absolument pas indiqué chez les autres enfants. En effet, les enfants atteints présentent une hypominéralisation très sévère de la dentine et une fragilisation secondaire de l’émail et sont de fait sujets à des nécroses dentaires spontanées. Ces nécroses peuvent fréquemment engendrer des complications loco-régionales, l’os des maxillaires étant aussi mal minéralisé. Il est donc primordial, chez ces enfants, d’éviter le passage des bactéries vers la pulpe en étanchéifiant la surface de la dent par une résine. Dans la plupart des cas, les praticiens suivent nos recommandations, voire sollicitent notre avis avant d’initier toute prise en charge thérapeutique (par exemple orthodontique). Mais il arrive parfois que les patients se voient refuser la pose de résine sur les dents temporaires sous le prétexte que cela ne se fait pas et n’est pas recommandé. Ils se trouvent alors en porte-à-faux entre leur praticien libéral et le praticien du centre de référence et sont souvent contraints soit de changer de praticien libéral, soit de venir réaliser ces soins basiques au centre de référence, généralement très éloigné géographiquement de leur domicile. Cet exemple souligne donc l’importance d’une communication fluide et d’une information régulière entre le chirurgien-dentiste libéral et celui du centre de référence, tout cela dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie du patient et de sa famille.

Réflexions du Professeur Agnès Linglart
Professeur des Universités – Praticien hospitalier
INSERM U986 Université Paris 11 Endocrinologie-diabétologie pédiatrique Hôpital Bicêtre

Coordinatrice nationale du Centre de référence des maladies rares du métabolisme du phosphore et du calcium
Le phosphore est un composant essentiel des tissus minéralisés, donc de l’os et des dents. Les patients atteints d’hypophosphatémie présentent un défaut majeur de la minéralisation de ces deux tissus qui se manifeste par une déformation des jambes de type « Lucky Luke » dès que l’enfant se met à marcher et des abcès dentaires répétés en l’absence de caries, touchant les dents temporaires et définitives. Ce témoignage soulève plusieurs points que nous devons fréquemment affronter dans cette maladie.
Le parcours des patients atteints de maladie rare est long, le sentiment d’isolement des familles est permanent. S’y ajoute très souvent une ambiance “accusatrice” des soignants : « Vous ne donnez pas la vitamine D », « arrêtez de lui donner des sucreries si vous ne voulez pas de caries ». C’est là que les Plans Nationaux Maladies Rares I et II financés par le ministère de la Santé ont toute leur place. En créant des réseaux organisés autour des centres de référence, ils ont pour objectif d’améliorer la visibilité des soignants spécialisés dans les maladies rares et de raccourcir le délai diagnostique. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, de concert avec les associations de patients.
Il faut aussi considérer que l’image corporelle est fortement atteinte dans cette maladie, il est impossible de ne pas remarquer cet enfant qui a les jambes très déformées, marche en se dandinant, les deux pieds rentrés vers l’intérieur (« mais comment fait-il pour ne pas tomber ? »). Cette image est encore aggravée par le nom même de la maladie : « rachitisme hypophosphatémique ». En effet, les signes cliniques, radiologiques et biologiques sont ceux du rachitisme ; cependant, le contexte négatif véhiculé par cette dénomination (« l’enfant rachitique ») n’a aucune place ici, l’hypophosphatémie n’étant associée à aucune carence ni d’état de faiblesse.
Même lorsque le diagnostic est connu – et cela est très visible dans le témoignage –, l’atteinte dentaire est particulièrement méconnue par les équipes médicales qui prennent en charge ces patients. Alors que l’hypophosphatémie est connue depuis le milieu des années 50, les premières publications décrivant les atteintes dentaires ont débuté à la fin des années 1990. Il n’est pas rare que personne n’ait fait le lien entre les problèmes dentaires et la maladie rare. C’est le rôle du centre de référence de cette maladie d’améliorer la connaissance des praticiens, médecins et chirurgiens-dentistes, quant à cette pathologie. Plusieurs moyens sont possibles. Tout d’abord, nous devons parler, communiquer et diffuser. En distribuant des plaquettes d’information, en écrivant dans les journaux, nous avons le devoir de rendre l’information facilement accessible pour tout praticien qui doit prendre en charge un patient atteint. D’autre part, nous devons améliorer la formation des soignants et… des patients. Dès la faculté, il faut sensibiliser les chirurgiens-dentistes aux maladies rares. Sans les connaître toutes, reconnaître les principales avec atteinte dentaire peut participer à raccourcir les délais au diagnostic, être prêt à adapter les soins est primordial pour ces patients. J’ai mentionné la formation – l’information – des patients. C’est en communiquant entre nous, soignants-patients, que nous avons progressé dans cette maladie. Voici deux exemples : nous avons obtenu des autorités, en 2011, la remise sur le marché du traitement qui avait été brutalement retiré, et aujourd’hui nous préparons ensemble l’essai d’un nouveau traitement. En expliquant sa pathologie, en fournissant de la documentation sur les spécificités dentaires, le patient devient un véritable acteur du soin.
Quelle place pour le praticien ? Le centre de référence doit rester un recours. Son objectif n’est pas de traiter tous les patients atteints d’hypophosphatémie, mais d’agir sur la formation et l’information comme décrit plus haut. En donnant des avis à distance, il apporte la connaissance sur la pathologie ; en aucun cas il ne peut se substituer à l’examen clinique, à l’analyse de la situation par le praticien. Ce dernier reste le décisionnaire des soins à apporter, tout en incorporant les informations qu’il a acquises par le patient, le centre de référence ou sa propre expérience de la maladie (très souvent elle touche plusieurs personnes dans la famille). Enfin, n’oublions pas qu’avoir une maladie rare n’empêche pas d’être un enfant comme un autre avec des problèmes dentaires “courants”. Les soins par le praticien de proximité n’ont pas pour objectif de limiter les déplacements sur Paris ; il est primordial pour nous de développer des réseaux locaux de soignants proches des familles et impliqués.

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