Les caries radiculaires sont parmi les lésions dentaires les plus difficiles à aborder. Le départ de la lésion concerne classiquement une zone radiculaire exposée, située souvent en lingual ou en palatin de la dent affectée, mais la carie évolue ensuite sournoisement en profondeur dans la racine vers des zones difficiles d’accès tant pour l’éviction des tissus atteints que pour la restauration de la cavité par des matériaux insérés en phase plastique. Les patients âgés sont les plus concernés, d’abord parce qu’ils sont davantage prédisposés aux racines exposées suite à la perte du support parodontal, ensuite parce que leur niveau d’hygiène est moins efficace alors que la configuration des zones à nettoyer est plus complexe, enfin parce que des conditions générales ou locales (xérostomie, pathologies générales, prises médicamenteuses…) favorisent le développement de ces lésions. Ces dernières évoluent rapidement, jusqu’à compromettre la survie des dents concernées.
Les auteurs de cet article se sont intéressés à ce sujet avec l’ambition d’évaluer les différentes stratégies préventives et thérapeutiques, des moins invasives aux plus conventionnelles, ainsi que les matériaux disponibles. Ils ont ainsi réalisé (ou actualisé) une revue de littérature systématique spécifique pour chaque niveau de prise en charge et réalisé une méta-analyse quand cela était possible. Concernant l’approche préventive et non invasive tout d’abord, les auteurs concluent, après méta-analyse, que l’utilisation de dentifrices fluorés à 5 000 ppm ainsi que l’application de vernis fluorés ou à base de chlorhexidine se sont révélées plus efficaces que l’emploi de dentifrices aux fluorations standards concernant leur capacité à prévenir ou même à inactiver des lésions initiales sans perte de substance. Les techniques micro-invasives (sans éviction tissulaire) concernent exclusivement l’emploi de sealant potentiellement additionné d’une application d’ozone ou de fluorure d’amine. Mais la rétention des sealants se révèle médiocre dans ces régions et, bien qu’aucune méta-analyse ne fût possible pour cette stratégie, les études tendent à montrer qu’ils n’apportent aucun bénéfice supplémentaire par rapport aux techniques non invasives d’application de vernis.
À l’appui de la littérature étudiée, les auteurs rapportent que ces techniques dites atraumatiques présentent aussi un fort risque d’échec par décollement ou défauts marginaux. Concernant les techniques conventionnelles d’éviction carieuse et de restauration par matériaux insérés en phase plastique qui ont pu être comparés par des méta-analyses, le plus grand risque d’échec est attribué aux ciments verre-ionomère (CVI). Bien que leurs conditions de mise en œuvre soient très défavorables (difficultés d’isoler et de poser une matrice), les résines composites se révèlent généralement supérieures aux CVI et aux CVI modifiés par adjonction de résine (CVIMAR).
Une étude rapportée montre toutefois un taux de survie plutôt bon pour des CVI placés en région interproximale. Cependant, dans le traitement des caries radiculaires, tous les matériaux présentent un taux annuel d’échec plutôt élevé, ce qui montre toute la difficulté de traiter ce genre de lésion. En pointant le manque d’études cliniques randomisées suffisamment complètes et nombreuses sur ce sujet, les auteurs concluent d’ailleurs à leur incapacité à donner des recommandations thérapeutiques sur le traitement des lésions radiculaires.
QUESTIONS À
Jean-Pierre Attal
MCU-PH et directeur de l’unité de recherche biomatériaux innovants et interfaces à l’université de Paris, président de la Société Française de Biomatériaux Dentaires, rédacteur en chef de la revue Biomatériaux Cliniques
Quelles sont les spécificités des caries radiculaires et, selon les cas, les principales difficultés posées en matière de possibilité de traitement ?
J.-P. A. : La population de nos sociétés occidentales étant plutôt vieillissante, nous faisons de plus en plus face à des patients âgés avec des caries radiculaires pour plusieurs raisons :
– une réduction du flux salivaire (médication, irradiation, etc.) est souvent concomitante ;
– ces patients présentent une diminution de la dextérité nécessaire à un brossage efficace, et surtout dans les zones dont nous parlons ;
– enfin, ces patients ont tendance à consommer des pastilles sucrées à la menthe (pour améliorer leur haleine). Dans ce contexte, en plus de tenter d’agir sur ces trois paramètres, il faudra envisager soit d’obturer la perte de substance si les conditions d’accès à la lésion s’y prêtent, soit d’utiliser des moyens chimiques, avec ou sans obturation.
Les auteurs de cette étude ont mené un important travail de synthèse bibliographique, mais ne parviennent pas
à établir de recommandations thérapeutiques scientifiquement validées. Quelles recommandations ou conseils basés sur votre connaissance des matériaux et votre expérience clinique pourriez-vous tout de même donner face à ce type de lésion selon leur configuration et leur étendue ?
J.-P. A. : Les biomatériaux ne sont qu’un paramètre de la prise en charge de ce type de lésion. En fonction du volume cavitaire et de l’environnement (salivaire, inflammation gingivale, localisation de la lésion…), nous déciderons, ou pas, de traiter la lésion. Si le contexte est favorable et si un champ opératoire minimal est possible, je privilégierai les CVI Haute Viscosité (CVIHV) car autoadhésifs, tolérants à la mise œuvre et relarguant des ions fluor.
L’article pointe le déficit de pérennité des traitements restaurateurs une fois la perte de substance établie, quelles sont vos recommandations pour prévenir, diagnostiquer ou traiter ces lésions, si possible aux stades les plus précoces ?
J.-P. A. : Par définition, des restaurations réalisées dans des conditions difficiles ne peuvent pas présenter une pérennité satisfaisante. Ces résultats ne m’étonnent donc pas.
Si l’accessibilité à la lésion est très délicate, le traitement qui me semble le plus prometteur reste l’application de fluorure diamine d’argent (SDF), recouvert ou pas d’un CVI. Mais je profite de vos questions pour vous parler d’une proposition de Lazarchik et Haywood (2010) [1] qui expérimentent chez les personnes âgées avec des caries radiculaires des gouttières d’éclaircissement remplies de peroxyde de carbamide à 10 %. En effet, au contact de la dent, le peroxyde de carbamide se décompose en peroxyde d’hydrogène (antibactérien) et en urée (qui remonte le pH). Afin de mieux agir sur Streptococcus mutans, ces auteurs conseillent même d’associer ce traitement avec un bain de bouche à la chlorhexidine juste avant le coucher (Haywood, 2007 [2]). Au total, ils ont constaté une stabilisation des caries radiculaires sur ces patients avec une amélioration de l’état parodontal… et de l’esthétique en bonus ! Je pense que cette proposition mériterait d’être appliquée dans nos EHPAD, au moins dans le cadre d’une étude clinique contrôlée qui bénéficierait sans doute à ces patients particulièrement exposés.
Bibliographie
1. Lazarchik DA, Haywood VB. Use of tray-applied 10 percent carbamide peroxide gels for improving oral health in patients with special-care needs.
J Am Dent Assoc ; 141 (6) : 639-46.
2. Haywood B. Bleaching and caries control
in elderly patients. Aesthetic dentistry today 2007 ; 1 (4) : 42-4.
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