La connexion implanto-prothétique constitue, de fait, le centre névralgique de la relation implant-prothèse. C’est aussi le lieu de différents types d’échecs dont les plus graves peuvent conduire à une fissuration du col implantaire, une altération de la partie interne de la connexion ou encore une fracture de la partie engageante du pilier, mais dont les plus fréquents concernent le dévissage ou la fracture de la vis sous l’effet des contraintes répétées. Quels sont les facteurs qui influencent l’intégrité et la stabilité des pièces en rapport au niveau de la connexion implantaire ? L’équipe japonaise auteure de cette étude tente d’apporter des éléments de réponse en s’intéressant à l’influence du matériau employé pour le pilier prothétique (zircone ou titane) au sein de la connexion interne d’un implant en titane pur (grade 4).
La zircone s’est progressivement imposée en prothèse fixée comme une alternative suffisamment fiable aux alliages métalliques pour la réalisation des infrastructures prothétiques, du fait de ses propriétés esthétiques et de sa grande biocompatibilité, vis-à-vis de la gencive marginale notamment. Ces mêmes raisons ont conduit à l’employer pour la réalisation de piliers implantaires en secteur antérieur afin d’éviter l’effet grisé produit par un pilier titane au travers d’un parodonte fin.
En suivant un protocole expérimental défini par une norme ISO, les auteurs comparent des piliers implantaires en zircone (Y-TZP) et en titane de grade 4 soumis à des contraintes cycliques par une force de 300 N orientée à 30° directement centrée sur le pilier ou excentrée de 4 mm grâce à un dispositif expérimental spécifique pour simuler les contraintes reçues et transmises par une incisive ou une canine maxillaire lors des contacts de glissement occlusaux sur ses crêtes marginales. L’orientation de 30° correspond à celle d’un implant antérieur par rapport à la direction des forces occlusales, 300 N correspondent aux forces occlusales maximales au niveau antérieur. Le protocole expérimental est conduit dans un milieu d’eau distillée à 37° pendant un million de cycles appliqués à une fréquence de 2 Hz (cycles par seconde), ce qui représente à une période de service estimée de 40 mois (plus de 3 ans). L’étude est conduite sur le système implantaire à connexion interne de GC. Les paramètres étudiés sont la force nécessaire au dévissage de la vis avant et après l’application des contraintes (mesure indirecte de la perte de serrage), l’adaptation marginale entre le pilier et l’implant au niveau du col implantaire et l’état des surfaces du pilier et de l’implant au niveau de leur connexion.
Les résultats présentés et discutés dans l’article révèlent une perte de serrage supérieure pour les vis du groupe des piliers en zircone (TZP) que pour celles du groupe des piliers en titane (Ti). Concernant l’ajustage marginal, l’étude montre un hiatus marginal moyen initial plus important pour les piliers TZP (0,71 µm) que pour les piliers Ti (0,30 µm). Toutefois, sous l’effet des cycles de contraintes axiales et excentrées, ce hiatus augmente pour les piliers Ti (respectivement jusqu’à 0,36 et 0,40 µm), alors qu’il diminue pour les piliers TZP à l’issue du cycle de contraintes axiales (0,71 µm) et diminue encore davantage pour le groupe des contraintes excentrées (0,57 µm). Néanmoins, le hiatus reste toujours plus important avec les piliers TZP lorsqu’ils sont soumis à des cycles de contraintes centrées ou excentrées. Au niveau des surfaces, aucun changement de configuration n’est observé au niveau des piliers et des implants en titane pur associés, alors que des marques d’usure (effacement des traces d’usinage et arrondissement des arêtes) sont relevées au sein des connexions implantaires associées aux piliers en zircone qui ne présentent quant à eux aucune modification.
L’analyse de surface révèle des traces de titane sur les parties positives antirotationnelles des piliers en zircone insérés dans la connexion. Les auteurs expliquent ces observations par une probable déformation plastique de la connexion implantaire en titane pur, ductile, sous l’effet des contraintes transmises par le pilier en zircone bien plus dur qui « s’enfoncerait » alors dans l’implant. Cela expliquerait la diminution du hiatus, les déformations observées dans la connexion et les traces de titane retrouvées sur le pilier en zircone. Les auteurs concluent en suggérant que les piliers en zircone présentent au final un désavantage clinique par rapport aux piliers en titane.
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Cet article montre qu’au-delà des bénéfices esthétiques et biologiques des piliers en zircone, il est nécessaire de considérer l’impact mécanique de ce matériau particulièrement dur et résistant au sein du complexe implanto-prothétique. On apprend ainsi que les contraintes mécaniques transmises par la zircone usent et déforment les parties les plus saillantes de la connexion à l’intérieur de l’implant en titane pur, beaucoup plus tendre. Ces conséquences sont d’autant plus problématiques que si le pilier est aisément remplaçable, ce n’est pas le cas de l’implant ostéointégré dont la déformation permanente de la connexion peut conduire à une instabilité irréversible de la liaison implanto-prothétique, mais aussi à d’autres conséquences d’ordre biologiques non évoquées par les auteurs. Ces derniers commentent toutefois le hiatus plus important entre les piliers en zircone et les implants en évoquant un risque biologique péri-implantaire dû à une percolation bactérienne supérieure susceptible d’induire une réponse inflammatoire dans les tissus péri-implantaires, mais la réalité est bien plus complexe.
En effet, les phénomènes tribologiques (usure par frottement) qui ont lieu quand deux biomatériaux subissent des contraintes de frottement ou de microfrottements dans un environnement biologique mettent en jeu des phénomènes mécaniques, biologiques et électrochimiques qui peuvent agir de manière synergique. Les surfaces en jeu, leurs comportements et leurs propriétés peuvent s’en trouver fortement modifiés. Ces phénomènes complexes peuvent soit favoriser et aggraver les phénomènes d’usure, soit les freiner. De plus, des microdébris générés et libérés autour du col implantaire pourraient expliquer l’origine de certaines péri-implantites en dehors d’une étiologie infectieuse évidente. Dans leur étude, les auteurs rapportent peu de modifications sur les surfaces connectées dans le couple implant-pilier en titane de grade 4 (titane pur).
Cependant, si la plupart des implants sont en effet en titane de grade 4, les piliers sont le plus souvent en titane de grade 5 (alliage de titane plus dur Ti6Al4V) pour des raisons de résistance mécanique, créant un différentiel de dureté au sein de la connexion implanto-prothétique. Ces considérations d’interaction entre les matériaux dans un environnement associant contraintes mécaniques et biochimiques sont encore trop peu connues et nécessitent davantage de considération dans le choix, mais aussi dans le développement des nouveaux biomatériaux destinés aux dispositifs médicaux. Les lecteurs souhaitant approfondir ce sujet trouveront dans le prochain BMC un article de Corne et Geringer* expliquant mieux ces phénomènes tribologiques, leurs conséquences et leurs enjeux dans les dispositifs médicaux, dont les implants dentaires.
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