Peut-on réaliser un traitement sous contrainte ?

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 34-36)
Information dentaire
La psychiatrie est la seule discipline médicale où l’on peut soigner quelqu’un contre son gré, et ainsi porter atteinte aux libertés individuelles. Les psychiatres sont d’ailleurs loin d’y être tous favorables. Le juge peut aussi prendre une telle mesure à l’encontre de personnes toxicomanes très dépendantes ou dans les cas de délinquance des alcooliques. Les patients criminels irresponsables pourraient aussi être soumis à un traitement coercitif et placés dans un établissement hospitalier spécialisé au lieu d’être incarcérés. En chirurgie dentaire, le traitement sous contrainte semble éloigné des pratiques actuelles. Pourtant, certains patients ne se laissent pas soigner. Peut-on – éthiquement, légalement – contraindre un patient à des soins ?

Situation
Vincent, âgé de 16 ans présente un état bucco-dentaire déplorable. Depuis dix ans, chacune de ses visites se solde par un échec, car il ne tient pas en place sur le fauteuil.
La peur des traitements, le manque de confiance et de motivation, et (depuis ces dernières années) l’absence de parents pour l’encourager ont eu raison de ma patience et de ma possibilité à le soigner. L’unique fois où un soin fut exécuté, et malgré une prémédication adaptée, trois personnes ont été nécessaires pour le maintenir fermement sur le fauteuil afin d’extraire une dent délabrée, infectée, et douloureuse. Il en garde un mauvais souvenir car la situation fut brutale. Mais sa dent fut retirée et il en fut soulagé. Je me suis alors senti bienfaisant. Il se présente aujourd’hui avec les mêmes craintes et une nouvelle dent doit être retirée sans que l’anesthésie générale puisse lui être proposée. Devrais-je recommencer malgré ce contexte risqué et lourd sur le plan émotionnel ?

Réflexions du Docteur Thomas Trentesaux
Maître de conférences à la faculté de chirurgie dentaire de l’Université de Lille – Praticien hospitalier
La question du soin sous contrainte et plus exactement, dans notre situation, du soin sous contention, interroge légitimement nos pratiques. Au-delà même de l’idée de contention, c’est toute la question du sens du soin qui est posée et de l’impact sur le long terme d’un acte de soin vécu comme violent.
La violence d’une contention peut parfois être minimisée face à la justification de l’urgence de la situation clinique. Lors de la première avulsion, le chirurgien-dentiste s’est ainsi senti bienfaisant, car il a pu apporter un bénéfice immédiat pour Vincent. Il a lui-même été soulagé. La fin a justifié les moyens… sur le court terme, car suite à cet acte, Vincent n’a pas continué ses soins. Si la contention peut s’entendre dans certaines conditions (notamment en pédiatrie, chez de très jeunes enfants dans l’incapacité de comprendre l’intérêt de l’acte), elle doit s’accompagner d’une réflexion éthique dans un but d’améliorer les pratiques. Il convient ainsi de ne réaliser cette contention que dans des situations exceptionnelles, qui nécessitent une intervention immédiate sans possibilité de la différer – en l’absence d’autres solutions, notamment sédatives. L’objectif essentiel consiste en la protection du patient et des soignants plutôt qu’un simple maintien forcé. Cette stabilisation protectrice ne peut être envisagée qu’après avoir informé, expliqué et recueilli le consentement, si ce n’est du patient, du responsable légal. La loi du 4 mars 2002 insiste ainsi sur le fait « qu’aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne* ». Dans notre situation, Vincent a 16 ans. C’est un mineur « capable ». Étant donné le souvenir douloureux de cette contention, il risque fort logiquement de ne pas l’accepter. La question n’est plus d’être dans la bienfaisance ou dans la malfaisance, ni même de satisfaire à un concept en vogue qu’est la bientraitance. La question est plutôt de savoir comment concilier acte technique et prise en charge psychosociale. Comment associer au « cure », l’acte technique, la notion fondamentale du « care », c’est-à-dire l’acte de prendre soin ? L’objectif est en effet de permettre à Vincent de reprendre confiance en l’équipe soignante et de poursuivre ses soins au-delà des actes d’urgence. Dans ces conditions, une approche globale nous conduira certainement à différer le traitement, à temporiser la situation, le temps d’une prise en charge psychosociale ou sédative, ou encore à réorienter vers une structure ressource. Par ailleurs, face à l’absence des parents, le recours à une personne de confiance peut se révéler extrêmement judicieux dans l’accompagnement de Vincent. À l’inverse, la réalisation d’un nouvel acte de soin sous contrainte risque de cristalliser un peu plus ses angoisses avec pour conséquence un évitement des soins. L’impact sur sa santé bucco-dentaire, et plus largement sur sa santé globale, qu’elle soit physique ou psychologique serait alors désastreux.
* Article L. 1111-4 du Code de la santé publique.

Réflexions du Professeur Antoine Pelissolo
Professeur des Universités. Chef du service de psychiatrie de l’Hôpital Albert Chenevier
Le cas de ce patient soulève plusieurs questions. La première est celle de l’âge car, mineur, il est placé sous la responsabilité de ses parents qui sont les seuls à pouvoir lui imposer des soins, sauf s’ils sont objectivement défaillants, auquel cas l’autorité parentale et les décisions doivent être confiées à un tiers. Mais, à 16 ans, il est peu envisageable éthiquement de ne pas tenir compte de la volonté de la personne concernée, et son opposition physique aux soins peut être aussi compliquée à gérer que celle d’un adulte. Bien sûr, on se dit que les parents auraient dû être plus attentifs dès le plus jeune âge pour éviter d’en arriver à cette situation très inquiétante, mais le mal est déjà fait malheureusement…
On peut envisager le même type de cas chez un patient majeur, refusant des soins dentaires pourtant essentiels pour sa santé. D’un point de vue légal, il est impossible d’utiliser la force pour prodiguer ces soins, en dehors d’une situation d’urgence vitale qui ne semble pas du tout se poser ici. S’il souffrait d’un trouble mental avéré, à l’origine d’une grave altération du jugement, on pourrait se poser la question d’une certaine coercition, dans le cadre d’une discussion multidisciplinaire associant les soignants et le représentant légal du patient, en tenant compte des risques pour sa santé. Le cas décrit ne semble cependant pas correspondre à celui d’une pathologie psychotique ou délirante (psychose infantile, schizophrénie, etc.), mais plutôt d’une peur extrême des soins et de la douleur, pouvant correspondre à une phobie ou une autre forme de trouble anxieux ou de la personnalité. Ces diagnostics ne justifient pas le recours à des soins sous contrainte, car ils ne perturbent pas réellement le contact avec la réalité et ne mettent pas en danger l’ordre public. En revanche, ils relèvent bien de soins et d’une prise en charge psychiatrique, dont on peut espérer qu’ils puissent secondairement faciliter les soins dentaires. Cette prise en charge est avant tout psychologique, avec des psychothérapies axées sur l’analyse des peurs et la recherche de méthodes pour mieux y faire face (relaxation, thérapies comportementales et cognitives, etc.). Des traitements médicamenteux complémentaires peuvent éventuellement être associés dans les formes sévères. Bien sûr, ces approches ne peuvent s’appliquer qu’avec la coopération du patient, ce qui impose l’établissement d’une relation thérapeutique de confiance, souvent longue à établir.
La meilleure réponse clinique et éthique au cas posé est donc une prise en charge en équipe, associant le chirurgien-dentiste, le médecin traitant et un psychiatre ou psychologue, afin de travailler sur ces objectifs de long terme.

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