Situation
« Mon assistante me transmet un appel urgent d’une personne qui se plaint de douleurs dentaires importantes. Je ne l’ai jamais soignée et ne possède aucun dossier médical la concernant.
Insistante, elle désire connaître les raisons de sa souffrance et dit ne pas pouvoir se déplacer à mon cabinet. Ses questions sont nombreuses et l’attente de cette personne me met dans l’embarras, car il s’agit d’une consultation téléphonique pour laquelle il faudrait établir un diagnostic, un plan de traitement
et un devis sans avoir réalisé un examen en bouche.
Je sais qu’un simple conseil peut soulager, mais je doute de sa pertinence, car cette conversation ne peut se substituer à une consultation avec le praticien traitant.
Dois-je répondre à l’attente de cette personne en souffrance ? Puis-je refuser ses demandes car aucun contrat de soin ne nous lie ? Suis-je tenu de lui venir en aide ? »
Réflexions de Michael Allouche
Externe du service d’odontologie de l’hôpital Albert Chenevier Chercheur au laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de l’Université Paris Descartes
LCette situation présente un paradoxe central : la personne souffrante appelle un chirurgien-dentiste afin d’obtenir une consultation assez complète alors qu’elle affirme ne pas pouvoir se déplacer. L’enjeu repose sur une bonne utilisation du téléphone – seul outil à disposition – et de ses compétences pour aider la personne. Si le téléphone est un outil limité et limitant, il permet de communiquer oralement, donc d’écouter, de conseiller et d’organiser la prise en charge ou la continuité des soins.
Il s’agit d’abord, pour le praticien, d’évaluer le degré d’urgence du besoin en soins. En l’absence de danger pour le patient, le praticien peut différer ses réponses, orienter le patient vers une structure ou un réseau de soin lui permettant d’être soigné. Si l’interlocuteur présente un péril imminent, le praticien peut se rendre à son domicile, appeler les secours, organiser lui-même la prise en charge d’urgence.
Ensuite, il y a la douleur qui n’autorise pas le praticien à laisser son interlocuteur, sans agir… du moins, sur le plan de l’éthique.
De surcroît, le fait que le chirurgien-dentiste réponde au téléphone au patient établit un « précontrat de soin ». Dès qu’il prend l’appel, le praticien doit mettre en œuvre les dispositions pour soulager le ou la patiente de ses douleurs, tenant compte de la situation.
En l’espèce, cette situation fait appel à trois niveaux de compétences du chirurgien-dentiste : ses compétences techniques pour poser un diagnostic probable et informer la personne ; ses connaissances du système de santé pour exposer à la personne les moyens efficaces d’accès à un praticien que sa douleur, sa peur, ou sa situation l’empêchent d’envisager ; son humanisme médical pour rassurer l’interlocuteur, grâce à une écoute et des mots adaptés. Pour ce faire, le praticien devra évaluer :
– si la demande est réellement sérieuse ou s’il s’agit d’une demande déguisée de second avis… Pourquoi la personne ne peut-elle pas se déplacer ? Et pourquoi le contacte-t-elle plutôt que son chirurgien-dentiste ou son médecin habituel ?
– les caractéristiques des douleurs et les symptômes associés ;
– l’état de santé général de la personne ;
– les éventuels médecins ou pharmaciens proches du domicile du patient pouvant intervenir pour une prescription médicale urgente, les établissements ou structures de soins permettant de soigner rapidement ;
– les personnes et structures pouvant l’aider à se déplacer (famille, amis, services publics…).
Si le téléphone permet d’établir une connexion, les compétences du praticien doivent l’aider à créer une relation de confiance. Il pourra alors informer l’interlocuteur des raisons probables de ses douleurs, le rassurer en lui expliquant qu’une prise en charge l’aidera à aller mieux, éventuellement le soulager par la prise d’antalgiques qu’un médecin ou un pharmacien pourraient délivrer et, enfin, organiser son déplacement au cabinet ou vers une autre structure de prise en charge. L’exposition d’un plan de traitement et la présentation d’un devis en dehors de l’urgence douloureuse ne peuvent être exposées par téléphone puisqu’ils nécessitent la réalisation d’examens que le téléphone ne permet évidemment pas d’effectuer.
Les outils de télécommunication modernes permettent au patient d’avoir un accès facilité au chirurgien-dentiste et conduit à des modèles de prise en charge innovants. Afin que leur utilisation constitue un progrès, il est nécessaire de garder à l’esprit leur finalité pour un acte donné, dans un contexte médical précis, reconnu par les autorités publiques et permettant une valorisation du travail et des compétences du praticien.
Rassurer l’interlocuteur par une écoute attentive et par des mots apaisants suffit souvent à calmer le patient, à le faire patienter et à trouver avec lui un temps plus propice pour une prise en charge adaptée.
Pour autant, la connaissance des limites techniques et éthiques que dresse une prise en charge interposant des outils de connexion entre le patient et le praticien doit circonscrire les actes de télésanté afin qu’ils puissent épauler les modèles classiques sans mettre en péril la qualité de prise en charge et la relation médi
Réflexions de Maître Sophie Hocquet-Berg
Professeur de droit privé et de sciences criminelles – Université de Lorraine, Avocat au barreau de Metz
Le chirurgien-dentiste qui accepte de donner des soins à un patient s’oblige à lui à assurer des soins conformes aux données acquises de la science. Le principe énoncé par l’article R. 4127-233 du Code de la santé publique est rappelé avec constance par la Cour de Cassation lorsqu’elle est saisie d’une demande en indemnisation émanant d’un patient qui se plaint de la qualité de la prestation accomplie par son chirurgien-dentiste*. En cas de litige, une expertise est généralement utile pour déterminer si le choix du traitement proposé, la réalisation et le suivi des soins correspondent aux bonnes pratiques en médecine bucco-dentaire.
Au regard de la situation décrite, deux risques sur le plan médico-légal sont susceptibles de se réaliser.
Si le praticien refuse de réaliser une consultation téléphonique, la patiente peut prétendre que celui-ci a commis un manquement à ses devoirs professionnels, en s’abstenant de la conseiller ou d’assurer la continuité de soins. Une telle prétention ne devrait cependant pas pouvoir prospérer. En effet, dans un litige analogue opposant une patiente à un médecin généraliste, la Cour de Cassation a précisé « qu’une consultation médicale ne s’opère pas par voie téléphonique, surtout à l’égard d’une personne que le médecin n’a jamais rencontrée »**. Cette solution, qui est parfaitement transposable par analogie au cas d’espèce, conduit à répondre qu’aucun reproche ne peut être adressé au chirurgien-dentiste qui refuse de réaliser une consultation par téléphone.
Si le praticien choisit de dispenser ses conseils par téléphone, en posant un diagnostic et en préconisant un traitement sans examen clinique ni connaissance de ses antécédents médicaux, il s’expose en revanche au risque de se voir reprocher son imprudence. Naturellement, comme pour toutes actions susceptibles d’être mises en œuvre par un patient insatisfait, sa prétention ne peut aboutir qu’à la condition qu’un dommage en soit résulté. Si les conseils – même erronés – du chirurgien-dentiste n’ont eu aucune incidence sur l’état de santé du patient ou sur son évolution, celui-ci n’est donc pas fondé à s’en plaindre au soutien d’une action en réparation.
Compte tenu du risque élevé de poser un diagnostic et de l’absence d’obligation d’accéder à une demande de consultation par téléphone, la prudence doit conduire ce chirurgien-dentiste à inviter cette personne à prendre rendez-vous pour être examinée dans son cabinet ou si, son état de santé fait véritablement obstacle à son déplacement, à faire appel aux services des urgences médicales.
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