Per-Ingvar Brånemark

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Information dentaire

Génie de l’ostéointégration

Per-Ingvar Brånemark, une approche scientifique et humaniste de l’implantologie dentaire

Dix ans, c’est insuffisant, nous attendrons d’avoir quinze années de recul pour enseigner notre méthode. » Cette réponse de Per- Ingvar Brånemark à Paul Tessier lui demandant en 1977 de nous initier à la technique d’ostéointégration montre dans quel état d’esprit a travaillé le Professeur Brånemark pour mettre au point sa méthode et l’appliquer sur des patients.
À compter du moment où il découvre le phénomène qu’il nomme ostéointégration, il n’a de cesse d’analyser sa découverte, de contrôler ses résultats, de s’assurer de l’efficacité et de l’innocuité de ses techniques avant d’en faire profiter en priorité les édentés complets, les déficients auditifs, les visages mutilés et même des amputés, jusqu’à ses dernières années où il soignait des handicapés dans le Centre qu’il avait fondé au Brésil.
Conscient des bouleversements que sa découverte allait apporter, il prit soin de faire précéder sa mise en œuvre chez l’homme de plusieurs années d’expérimentation chez l’animal et de s’entourer de tous les spécialistes dentaires et autres (physiciens, biologistes, radiologues) pour l’aider dans ses recherches, compléter ses analyses et valider ses résultats.
Conscient également des enjeux économiques d’une telle découverte dans le domaine odontologique et de la nécessité de tenir ses travaux confidentiels, il créera son propre laboratoire et publiera ses résultats dans des revues d’orthopédie et de chirurgie plastique. Il s’assurait ainsi, autant qu’il le pouvait, du contrôle de la diffusion de ses découvertes et, indirectement, du bon usage futur de sa méthode. Cette attitude se résumait dans le conseil qu’il aimait donner : « No contamination ! »
Per-Ingvar Brånemark a révolutionné la dentisterie restauratrice avec un souci constant du primum non nocere qui fait de lui une grande figure de la médecine et un maître dont nous devons nous inspirer.

Le grand mérite et le génie de Per-Ingvar Brånemark, c’est d’abord d’avoir compris, en tant que chercheur biologiste, les propriétés anticorrosives du dioxyde de titane et son pouvoir d’adhésion pour les ostéoblastes, après avoir développé un titane hautement purifié et décontaminé de toute impureté chimique.
Ensuite, c’est d’avoir orienté sa carrière vers la chirurgie réparatrice et la chirurgie dentaire : il a transformé la vie de dizaines de millions de patients à travers le monde et, plus particulièrement dans le domaine dentaire, il leur a apporté un confort de vie inespéré sur le plan fonctionnel et esthétique, après tant d’années d’échecs et d’ostéites en implantologie dentaire.
On peut affirmer qu’il y a un avant et un après Brånemark. Pour moi, le changement est survenu lorsque Jean-François Tulasne m’a proposé en 1983 de partir à Göteborg pour suivre un cours d’implantologie ; j’ai refusé catégoriquement, avant de me plonger dans la lecture des publications de l’équipe suédoise… et de changer d’avis. Six mois plus tard, après deux stages en Suède, nous posions nos premiers implants. Notre collaboration s’est étendue ensuite aux grandes reconstructions faites par Paul Tessier qui, pour la première fois, ont permis aux patients de retrouver des dents fixes (figures ci-contre). Per-Ingvar Brånemark eût mérité un Prix Nobel dans la recherche médicale, mais comme le veut l’adage, nul n’est prophète en son pays… Nous lui devons toute notre admiration et notre reconnaissance : il a complètement transformé notre profession.

Un peu d’histoire…

En 1982, Jean-Luc Pruvost, orthodontiste très impliqué dans la chirurgie orthognatique pratiquée pour ses patients par le Professeur Tessier et le Docteur Jean-François Tulasne, me fait rencontrer ce dernier. Celui-ci organise une rencontre avec Paul Tessier qui me demande à brûle-pourpoint ce que je pense des implants dentaires : ma réaction est immédiate, je ne veux pas en entendre parler ; je lui dis qu’il s’agit de techniques empiriques qui mènent la plupart du temps à l’échec, avec parfois en plus des ostéites sévères. Il sourit et enchaîne : « Avez-vous entendu parler du Professeur Brånemark ? » Bien sûr que non, car il est totalement absent dans toute la littérature américaine que je reçois mensuellement depuis 1969.
Paul Tessier était au courant des travaux de Brånemark depuis le début des années 70 par son ami Bengt Johansson, chef du service de chirurgie plastique de Göteborg. Ce dernier opérait à l‘université de Göteborg, dans un service voisin de celui de Per-Ingvar Brånemark qui, lui, de son côté, opérait des patients édentés totaux depuis 1965, suivis selon une étude randomisée très stricte.
Paul Tessier nous confie une pile énorme d’articles publiés par Per-Ingvar Brånemark depuis des années dans des revues de chirurgie maxillo-faciale. Séduits et perplexes tout à la fois, Jean-François Tulasne et moi partons pour la Suède participer à l’un des tout premiers cours de formation, grâce à l’appui de Paul Tessier auprès du Professeur Brånemark.
Le premier jour, nous nous retrouvons en tout petit comité, 12 praticiens étrangers : le luxe ! Cette conférence très privée est dirigée par Per-Ingvar Brånemark et son équipe, dont Ulf Lekholm et Ragnar Adell. Il détaille l’historique avec la recherche fondamentale, le développement de la méthode, le design et les tout premiers usinages de différents prototypes dans l’atelier de l’un de ses fils, ingénieur, pour ne traiter que les édentés totaux au départ.Le deuxième jour, nous assistons à une chirurgie mandibulaire de 6 implants, une chirurgie maxillaire de 6 implants également, et, en fin de journée, une chirurgie de deuxième temps opératoire avec mise en place, à l’époque, de piliers cylindriques…Le troisième jour, Torsten Jemt décrit la méthodologie prothétique, limitée à très peu de composants mis à sa disposition pour construire des prothèses transvissées. L’objectif majeur étant avant tout la fonction. C’est alors qu’en fin d’après-midi commence à défiler toute une série de patients traités à partir des années 1965/1975. C’est tout simplement époustouflant de découvrir la rigueur suédoise dans le contrôle bisannuel avec suivi radiologique et parodontal.
Ce « Basic Course » sera suivi en mai 1984 d’un « Advanced Course », tout aussi passionnant. Nous quittons l’Université de Göteborg tellement éblouis et impressionnés que sur le chariot à bagages de l’aéroport, nous signons un contrat d’achat pour un package de : 2 trousses de chirurgie, premier et deuxième temps, 1 trousse de prothèse, 180 implants et 180 pièces prothétiques pour un montant équivalent à 360 000 francs, à la grande joie de Goran Weismann, le premier directeur de Nobelpharma ! Nous reviendrons ensuite en 1984 et 1985, et encore bien plus tard pour notre formation. Que dire de plus, sinon notre profonde reconnaissance et notre admiration pour Per-Ingvar Brånemark qui nous a tant donné…

Comme beaucoup d’auteurs de ce numéro, j’ai vu Per-Ingvar Brånemark pour la première fois dans les années 80. Encouragé par Jean-François Tulasne que j’assistais régulièrement au bloc opératoire, je suis parti à Göteborg en 1986 pour la grand-messe. Les participants à ces cours venaient des quatre coins du monde et devaient envoyer un dossier pour être admis. Le professeur Brånemark introduisait et faisait la conclusion de ce cours de trois jours. Les autres conférenciers s’appelaient Lekholm, Jemt, Friberg, etc.
Évidemment, tout le monde repartait conquis, mais surtout abasourdi par une rigueur peu connue à une époque où la dentisterie se prévalait d’être un art plutôt qu’une science.
Je dois avouer qu’il m’a fallu quelques années pour appréhender et digérer le message que voulait faire passer Per-Ingvar Brånemark lors de chacune de ces interventions. L’ostéointégration n’est qu’un moyen au service d’une mission : traiter le handicap que représente l’édentement. La recherche fondamentale avait été faite en amont pendant de longues années. La technique et les protocoles étaient présents pour aider les édentés à surmonter leurs souffrances. Il fallait donc se concentrer sur les indications et traiter le plus grand nombre de patients possibles.
Bien entendu, les prothèses n’étaient pas très esthétiques, les composants prothétiques étaient en petit nombre. Tout avait été conçu pour traiter l’édentement complet. Mais il est vrai que pour les équipes suédoises la perte d’une incisive centrale n’avait pas le même impact médical que l’édentement complet. Beaucoup se sont alors engouffrés dans le train de l’ostéointégration pour apporter des améliorations réelles ou supposées à la méthode Brånemark. Il faut reconnaître que les travaux réalisés en parallèle par le Professeur Schroeder ont permis d’affiner les protocoles. En même temps, la radiologie a fait des progrès énormes. La multiplication des composants prothétiques a permis de traiter de plus en plus d’indications avec de bons résultats esthétiques et fonctionnels. Mais petit à petit, l’objectif premier de Per-Ingvar Brånemark a, me semble-t-il, été perdu de vue. On s’est mis à inventer pour inventer. Il faut comprendre que rapidement les cliniciens ont perdu le pouvoir de proposer des améliorations au profit des compagnies commerciales qui ont pris une part de plus en plus importante dans l’évolution de cette spécialité. Je ne peux pas m’empêcher de croire que des problèmes ont été créés pour justifier des nouveautés techniques. Je pense en particulier à ce fameux millimètre d’os crestal péri-implantaire. Combien de chiens sacrifiés, combien d’études faites sur des nombres limités de patients sélectionnés pour tenter de montrer que tel col, tel profil, telle surface permettait de gagner 0,3 mm après un an ! Je suis persuadé que ces discussions devaient paraître incongrues aux yeux de Per-Ingvar Brånemark qui œuvrait pour traiter des patients pris dans leur globalité.
Cette observation prend toute sa signification avec les implants zygomatiques. Cette idée du professeur Brånemark d’aller ancrer de longs implants dans l’os malaire a permis de traiter « simplement » des patients au maxillaire atrophié pour lesquels les greffes osseuses avec leur cortège de difficultés n’étaient pas la meilleure indication. Mais il n’a pas fallu longtemps pour voir des patients présentant de simples édentements partiels recevoir des implants zygomatiques, quand une élévation de sinus apportait une solution rapide, efficace et assortie d’une faible morbidité.
J’ai l’impression que le professeur Brånemark, tel les explorateurs qui partaient conquérir des mondes nouveaux, était le seul à cerner son objectif et à avoir une vision globale de ses travaux. Quelques-uns ont pu comprendre la direction à prendre, mais beaucoup se sont focalisés sur la taille des cordages ou la couleur du bateau, jusqu’à penser que là était l’important.
La disparition de Per-Ingvar Brånemark est triste pour sa famille et ses proches, mais c’est une immense perte pour le monde de la dentisterie.

I met with Per-Ingvar Branemark and started working with him in 1967, only 5 years after his discovery of osseointegration. What I was impressed with already then was his commitment and conviction of future clinical success, despite some clear clinical problems with the first patients. He decided to change the design of the implants, prolonged the unloaded time from 3 weeks to 3-6 months and altered some surgical parameters all at once and alas, positive clinical results followed. He always was at his best when things around him were negative. The continued attacks from Swedish dentistry that went on until 1977, only made him work harder and stronger. When some years later, Nobel decided to close down their business due to poor sales Per-Ingvar took the initiative to travel to the Swedish investment bank that saved the company with their contribution of what corresponded to 4.5 million euros. Then followed the Toronto conference in 1982 and the rest is history with an immense importance for patients all over the world. The importance of his work with osseointegration may be indicated by the enormous use of oral implants in the world today. We all know that treatment with osseointegrated implants has had a strong input to clinicians in Europe and the US, but also in countries such as Iran (where they place more than 1 million oral implants in one year) and Brazil where annually 2 million implants are placed. All this demonstrates the importance of his contribution.

Traduction :

J’ai rencontré Per Ingvar Branemark et commencé à travailler avec lui en 1967, cinq ans seulement après sa découverte de l’ostéointégration. D’emblée je fus impressionné par son implication et sa certitude de la réussite clinique à venir malgré de réels problèmes cliniques survenus chez les premiers patients.

Il opéra une transformation de la forme des implants, prolongea le temps de mise en charge de 3 semaines à 3 à 6 mois et modifia les protocoles chirurgicaux, ce qui aboutit enfin à des résultats cliniques satisfaisants. Il savait toujours donner le meilleur de lui même dans des situations négatives. Les attaques continuelles de la dentisterie suédoise jusqu’en 1977 n’ont fait que renforcer sa puissance de travail. Quand, quelques années plus tard, face aux mauvais résultats des ventes, Nobel décida de cesser l’activité, Pier Ingvar pris l’initiative de se rendre à la banque d’investissement suédoise qui sauva l’entreprise en engageant l’équivalent de 4 millions et demi d’euros actuels.

Suivit en 1982 la conférence de Toronto, et la suite appartient désormais à l’histoire, avec une importance immense pour les patients à travers le monde. La pratique considérable de l’implantologie au niveau international aujourd’hui montre l’importance de son travail dans le domaine de l’ostéointégration. Nous sommes tous conscients que l’impact le plus marqué des traitements implantaires a eu lieu chez les praticiens en Europe et aux Etats-Unis, mais également dans des pays comme l’Iran (1 million d’implants posés en un an) ou le Brésil (2 millions annuels), ce qui démontre l’importance de sa contribution.

Quality of life

It is impossible to verbalize the impact that Professor Per- Ingvar Brånemark has had on the quality of life for millions of individuals. Maybe the quote from a single patient : « I feel like a whole person again » at the follow-up appointment following rehabilitation including osseointegrated implants, captures the concept of added quality of life to patients.
Quality of life aspects were however not limited to patients, but included all of us having had the opportunity to work with Per-Ingvar, his philosophy and his osseointegration concept. Per-Ingvar added quality of life also to our personal and professional lifes.
In August 2014 I met Per-Ingvar Brånemark in person for the last time. We celebrated his 85th anniversary, the jubilee of his wife Barbro, their 20-year marriage and 40-year long professional co-operation. When leaving the celebration a first autumn storm swept the area. It was evident that it also was the autumn of Per-Invar Brånemarks remarkable life.
For ever I will treasure his words : « Philosophical surgery is the key to success » and I will do my very best to bring his philosophy and concepts also to future generations of professionals and patients.

Déjà presque trente ans ! Comment les jeunes praticiens, qui n’ont à la bouche que le mot implant (parfois à l’excès) lorsqu’il s’agit de remplacer une dent, peuvent-ils imaginer la déflagration qu’a constitué la publication du numéro spécial de L’Information Dentaire du 30 janvier 1986 ? À cette époque, en France, les implants étaient synonymes de graves échecs infectieux à terme, que l’administration répétée d’antibiotiques n’arrivait plus à masquer. Et si quelques implants résistaient au temps, on était incapable d’en comprendre la raison. Les pertes osseuses étaient parfois calamiteuses et sources d’une vraie infirmité. Comme le faisait remarquer dans sa préface Paul Tessier, le père de la chirurgie cranio-faciale, jusqu’alors « le refus de poser des implants dentaires équivalait […] à un critère de moralité pour les chirurgiens-dentistes ». L’Information Dentaire publie alors, crânement, « Une révolution en Dentisterie. Les Prothèses ostéo-intégrées en réhabilitation orale. Vingt ans d’expérience suédoise, sous la direction du Professeur Brånemark ».

À l’époque, Jean-Louis Saffar et moi-même étions conseillers scientifiques du journal. Lorsque Jean-François Tulasne vint présenter le projet de faire connaître tout l’intérêt de ces « fixtures », ainsi que le Professeur Brånemark les nommait pour ne pas utiliser le terme « implant » si négativement connoté, la qualité clinique et scientifique de notre interlocuteur fut un argument solide. Par ailleurs, alors que les travaux du Professeur Brånemark ne nous étaient pas directement connus, j’avais lu, dans le cadre de ma revue de presse, des propos enthousiastes du Professeur George Zarb, dont les travaux en histologie faisaient autorité. Nous avions aussi été invités par Jean-François Tulasne à assister à une intervention, qui nous a fascinés par sa rigueur. La lecture de l’ouvrage princeps « Tissue-integrated Prosthesis » finit d’éliminer toute réticence. Il faut aussi souligner l’audace de la direction de L’Information Dentaire, de soutenir cette parution iconoclaste, convaincus de sa valeur scientifique.
Les réactions ne se firent pas attendre. Taisons les noms de ces dangereux empiristes qui pressentaient sans doute leur propre obsolescence. Ils ont aujourd’hui disparu. Il fallut une sévère mise au point de Jean-Louis Saffar, et des réponses circonstanciées de Paul Tessier, Jean-François Tulasne et Guy Huré, pour clore ce débat.
Les travaux du Professeur Brånemark ont été ensuite suivis avec beaucoup d’intérêt. Citons le reportage réalisé avec Michel Pompignoli et Nadine Bouriel publié à la suite de l’exceptionnelle conférence d’octobre 1986 organisée par la Société Française de Parodontologie à Paris, ainsi que d’autres manifestations d’ampleur, à Marseille ou à Deauville ; cette dernière ayant fait l’objet d’un autre numéro spécial.
Au-delà de la petite histoire que nous venons d’évoquer, j’aimerais rappeler combien cet événement fut une rupture dans notre profession.
Rupture parce que l’on pouvait enfin remplacer les racines de façon prédictible, progrès dont on mesure aujourd’hui l’ampleur. Rupture dans l’approche scientifique, puisqu’était présentée une méthode qui avait fait l’objet d’études cliniques à long terme (quinze ans) sur un nombre élevé de patients (371), et ce, avant toute diffusion. Rupture, puisque c’est bien une méthode, c’est-à-dire un ensemble de procédures cohérentes, qui était présentée et non un quelconque tour de main ou un gadget technologique.
Après presque trente ans d’expérience clinique et d’enseignement tant pré- que post-doctoral en implantologie, les valeurs développées dans la préface de Paul Tessier sont restées pour moi des lignes de conduite. Ainsi sont proposées les raisons du choix de ce système d’implants : succès attesté par des études cliniques à long terme, faible mutilation en cas d’échec. Ces critères sont toujours d’actualité.
Il est absolument remarquable de constater que l’article d’Adell et coll. publié dès 1981* et traduit dans nos colonnes en 1986 faisait état de la survie des implants et des prothèses (meilleure puisque beaucoup pouvaient perdurer avec un implant support en moins) et plus encore du maintien de la hauteur osseuse, comme valeurs de références.
Ce dernier critère, toujours reflet évident et mesurable de la tolérance biologique, reste encore rarement présent dans les publications. Combien d’états de surfaces, de formes d’implant ou de connexions prétendus comme progrès décisifs nous sont aujourd’hui proposés avec un tel recul clinique, si tant est qu’il y en ait le moindre ?
Je fais partie de ces praticiens pour qui la connexion à hexagone externe n’a jamais été prise en défaut et qui ne sont pas forcément convaincus du progrès apporté par ces nouvelles surfaces, alors que les implants usinés du début sont quasiment tous parfaitement fonctionnels.
L’exemple de cette publication d’Adell et coll., originale à tous les points de vue, devrait rester comme référence.
En 1986, la diffusion des travaux du Professeur Per-Ingvar Brånemark, faisait passer l’implantologie d’un empirisme dévastateur à une méthode scientifiquement validée. Hélas cependant, les connaissances fondamentales sont encore bien imparfaites pour décrire le phénomène d’ostéointégration et prédire les facteurs de son maintien. C’est pourquoi rien ne peut remplacer les études cliniques à long terme. Leur raréfaction nous fait craindre de tomber dans un autre travers que la pression de la concurrence tend à rendre dominateur : le mercantilisme. Il y aurait alors tout à craindre.

* Adell R, Lekholm U, Rockler B, Brånemark PI. « A 15-year study of osseointegrated implants in the treatment of edentulous jaw ». Int J Oral Surg 1981 ; 10 : 387-416.

By 1994, Bauru (a small city inside São Paulo, Brazil) had received two extraordinary gifts: Per-Ingvar Brånemark and the modern dental implant design. PI’s passion for Centrinho (Cleft and lip palate rehabilitation center) and my town was such that he established the first post-graduation course on Implantology with an Associated BOC at University of Sagrado Coração, was awarded an honorary citizen title, helped to start the most important scientific Brazilian periodical in Implant Dentistry nowadays, and finally founded the PI Institute Bauru ten years later in 2005 showing us the new zygoma possibilities for immediate loading.
Due to its stubborn personality (as he claimed himself) and respect to the suffering of human beings, many had the chance to be under his supervision and definitely changed for better. Although blessed by a restless mind that could had simply overestimated the maladies of mankind, instead he preferred to be among those who needed more.
The creation of a simple device that even fresh clinicians can easily understand and use with proper knowledge, still demonstrating similar long-term success rates all over the world is a great achievement that deserves to be above all registered human records.
Certainly, as Albert Pike once said, « If you work to benefit other people you will be an immortal ».
PI will be missed forever.

Based on my 32 years of collaboration with Professor Brånemark, I believe that the sustaining Brånemark legacy to the healthcare profession is much more than providing clinical procedures in oral-facial rehabilitation.
Professor Brånemark introduced the benefits of international « cross-fertilization » of ideas from diverse disciplines in medicine, dentistry, material sciences and engineering which have improved the quality of life for millions of patients. He was unrelenting in his insistence for providing safe and predictable treatment based on data gathered from long-term observations. Brånemark’s emphasis on placing the patient’s well-being at the center of the healthcare system has led to the « philosophy of osseointegration » which encompasses responsible and compassionate care for our fellow beings.

Le professeur Per- Ingvar Brånemark n’est plus, mais il nous laisse un formidable héritage. Il fait partie de cette catégorie d’hommes exceptionnels qui ont marqué l’histoire des sciences. À partir d’une longue démonstration scientifique initiée en 1954 par l’observation de la propriété du titane d’induire un phénomène cicatriciel qu’il définit comme « ostéointégration », il imagine son application clinique : fixer des racines dentaires artificielles pour supporter des prothèses.
Autour d’une équipe pluridisciplinaire de biologistes, d’ingénieurs, de bio-mécaniciens, de cliniciens, il réalise une première application clinique en 1965 et publie ses premiers résultats au milieu des années 70.
Quel choc ce fut pour le jeune praticien que j’étais à la lecture de la première publication de ses travaux en France. Il prenait le contre-pied de ce que nous avions appris alors sur les bancs de l’université. Pour bien montrer la différence avec ce que l’on appelait de manière péjorative les implants, il baptisera cette racine artificielle fixture.
Le Professeur Brånemark, au-delà du résultat de ses travaux, décrit un protocole strict garant de la pérennité, de la fiabilité et de la reproductibilité des résultats obtenus.
Il énonce les règles nécessaires à l’application de ces traitements : suivre une formation initiale rigoureuse, maîtriser la connaissance des structures anatomiques, mettre en place les procédures d’asepsie chirurgicale. Sur la base d’une analyse préchirurgicale, appliquer une méthodologie rigoureuse avec une instrumentation chirurgicale spécifique, respecter les temps de cicatrisation, assurer une coordination nécessaire et indispensable entre la prothèse et la chirurgie.
Que nous dit encore le professeur Brånemark ?
L’application clinique d’un traitement doit s’appuyer sur des bases scientifiques démontrées.
Des protocoles précis sont indispensables à chaque étape de traitement, de l’analyse pré-implantaire à la prothèse en passant par la chirurgie. Le suivi, le contrôle et l’évaluation de nos traitements font partie intégrante du traitement.
Dès notre retour de la clinique Brånemark à Göteborg, prenant la mesure du message, nous avons appliqué ces protocoles sans jamais y déroger, quitte à paraître parfois « dogmatiques ». Ces protocoles sont, pour la plupart, toujours valables. C’est sur cette base fondamentale et clinique que Luc Gillot et moi-même avons bâti notre enseignement. L’enseignement délivré par la Sapo Implant depuis quinze ans est basé sur l’héritage du Professeur Brånemark qui nous dit qu’il n’y a pas de vérité qui ne soit vérifiée, qu’il faut démontrer les choix pour justifier scientifiquement chaque geste.
Merci Monsieur le Professeur Per-Ingvar Brånemark de nous avoir montré la voie, merci pour votre message, merci de votre générosité et de votre clairvoyance. Merci de nous avoir permis de changer la vie de nos patients, de leur permettre de la croquer à pleines dents.
Nous ne serions pas tout à fait les mêmes sans vous. Nous continuerons à transmettre votre héritage scientifique et humaniste.
Grâce à vous, nous prenons toute la mesure de la responsabilité, mais aussi du bonheur d’enseigner.
Merci PI (Pi Aï), comme nous disions affectueusement.



Thank you Professor Brånemark for your philanthropy

A nova was born in the southern part of Sweden 85 years ago, and for half a century it brightened the dark ways of countless oral invalids. The nova became a supernova just before Christmas in 2014. There are so many bright stars that have been influenced by Professor Brånemark, not only regarding the clinical procedure but also regarding essential ethics in the dental profession. Thousands of the stars now shine a light on their patients all over the world.
May his soul rest in peace and watch over us forever.

When the message reached me that PI had passed away I was sitting down thinking on the importance that his pioneer work within the field of osseointegration has had and still has on the daily running dental practice.
I met PI the first time in the early 70’s and started to collaborate with him, clinically as well as scientifically, in the early 80’s. When restoring a partially edentalous jaw we could now offer the patients something new, i.e. a fixed partial denture instead of a partial removable one. This was a fantastic revolution within the field of restorative dentistry almost as terrific as being able to offer the edentulous patient a fixed complete denture. Our interest in the partially dentate patient resulted 1986 in a publication which today is looked upon as a classical one.
The osseointegration phenomenon has of course not only been applied in the jaws but also in several other parts of the human body in order to anchor prosthesis.

Le géant s’est éteint… Tous, praticiens de la première heure de la grande aventure de l’ostéointégration comme ceux découvrant cette technique nouvelle, nous nous sentons orphelins aujourd’hui. En ces moments de tristesse et de recueillement me reviennent à l’esprit les images de mes échanges avec cet homme exceptionnel.
Nous pensions, il y a trente ans, que l’ostéointégration était magique, et elle l’était, mais parfois les recettes n’étaient pas claires, Per-Ingvar Brånemark étant le grand magicien. Un jour, ayant à traiter un cas complexe, et ne sachant comment faire, je pris tout simplement le téléphone et l’appelai. Un peu surpris, car il n’était pas habitué à tant d’audace il me répondit gentiment en me disant quelques-uns de ses secrets. Ce brin de folie l’avait séduit et ce fut le début d’une grande, longue et sincère amitié. Un jour, il me dit : « Je t’aime bien, car tu es aussi fou et impertinent que moi… »
Certains ont une, voire quelques bonnes idées dans leur vie… Brånemark en avait dix nouvelles par semaine et toutes n’avaient qu’un objectif : le bien-être de ses patients.
Lorsqu’il me fit l’honneur de m’accepter au sein des Brånemark Center, groupe totalement indépendant de quelques praticiens du monde entier, ayant toute sa confiance, il me dit : « Je vais venir à Marseille… manger une bouillabaisse. »
J’eus le privilège de donner une conférence avec lui. Il eut ce soir-là la délicate attention de présenter une mappemonde avec les différents Centres Brånemark, Marseille était placée au centre du monde. J’eus par la suite le privilège de donner des conférences avec lui en Suède, en Angleterre, aux États-Unis (Los Angeles), au Japon (Tokyo, Kyoto, Yokohama). Et c’était pour moi à chaque fois l’occasion de savourer ces instants et également d’intégrer ses paroles :
– « think first than cut… »
– « have a connection between the brain and the hand – respect Mother Nature ».
Sa santé se dégradant, malheureusement, j’établis un code pour l’évaluer. À chaque coup de fil, parfois plusieurs fois par mois, je lui posais la même question : « How do you feel, medium or medium rare or rare ? » Il oscillait entre medium et medium rare au cours de ces dernières années en terminant chaque discussion par « could be worse ».
Lors du dernier meeting des Brånemark Center en juin, puis lors de la dernière party donnée en son honneur en août, je me doutais malheureusement que le géant allait bientôt s’éteindre…
Il s’en est allé, mais restera toujours dans nos cœurs. Personnellement, je lui dois tout. Nous devons perpétuer la mémoire et les idées de cet homme qui a tout inventé…

J’ai connu Per-Ingmar Brånemark à la fin des années 80 et depuis l’année 1990 j’ai eu le privilège de collaborer pendant plus de quinze ans avec les Brånemark Osseointegration Center en participant au développement de nouvelles technologies comme le concept NOVUM. Cette technique étant l’une des plus ingénieuses, précises et précieuses pour la réhabilitation fixe immédiate de l’édenté complet mandibulaire.
Aussi, le Zigoma Fixture comme un excellent ancrage pour l’atrophie maxillaire sévère.
La découverte de l’ostéointegration par le professeur Brånemark représente la première démonstration qu’un matériaux alloplastique comme le titane peut interagir d’une manière symbiotique avec l’os vivant et être utilisé comme un ancrage prévisible pour des prothèses.
Cette découverte a changé l’histoire. Il ne fait aucun doute qu’il y aura deux ères dans l’histoire de la réhabilitation orale et maxillo-faciale : avant l’ostéointégration (a.PIB) et après (d.PIB).
Derrière le scientifique ou l’académicien, je voudrais mentionner la personne.
Per-Ingvar Brånemark était une personne absolument passionnée avec une capacité intellectuelle et de synthèse hors du commun. Persévérant et ingénieux, il avait un caractère indomptable qui pouvait provoquer des réactions totalement contradictoires et avait l’absolue conviction de changer l’histoire au bénéfice du patient.
Tous ceux qui ont eu le privilège de recevoir ses enseignements ont le devoir de perpétuer son esprit au travers des générations futures.
Maestro, vaya Usted con Dios…

More than 30 years ago we met Prof. Brånemark for the first time. We were dental students and freshmen at the Department of Anatomy and at that moment we were studying live microcirculation in a microscope. Professor Brånemark passed by, stopped for a few minutes and asked : « Are you the new odontology veterinarians ? » His second question was about Köhler, a guy we had not yet met, but we soon realized that he was asking about the Köhler adjustment (how to align the optics in a light microscope !).
This first encounter was followed by many others and during the years PI has become more than a tutor and mentor – a friend and discussion partner without limitations when it came to subjects. Music, literature, science or gastronomy everything was subject to discussions over a cup of coffee.
During the years we have tried, and will continue trying, to adapt to his first advice : « Try to meet at least one patient a day and offer this patient as much help and comfort as you can. »
This is what we bring with us for the future and something we also try to transfer to younger colleagues and students as a « hommage à Per-Ingvar Brånemark ».

Just before Christmas we all received a very sad message that professor Per-Ingvar Brånemark had passed away. This became even more substantiated when opening today´s newspaper to find his obituary notice.
My first contact with professor Brånemark was in spring 1970, when he was my examinator in anatomy. Imagine if I could then understand the enormous impact that man would have on my future dental career.
Due to his stubbornness, visions, and inquiring mind, professor Brånemark completely changed dentistry in the rehabilitation of « oral invalids ». We have so much to thank him for.

Traduction :

Juste avant Noël, nous avons tous appris la triste nouvelle du décès du Professeur Per-Ingvar Brånemark, confirmée par l’annonce nécrologique dans la presse.

Mon premier contact avec le Professeur Brånemark date du printemps 1970. Il était alors mon professeur d’anatomie. Comment aurais-je pu imaginer alors l’énorme impact qu’il aurait sur ma carrière de chirurgien-dentiste ?

Par son obstination, son esprit visionnaire et son esprit analytique, le professeur Brånemark a complètement changé la prise en charge des « invalides buccaux ». Pour cela, nous ne lui serons jamais assez reconnaissant.

L’homme qui nous permet chaque jour de dire à nos patients handicapés par la perte d’une, de plusieurs dents, voire de toutes les dents : « Ne vous inquiétez pas, nous savons désormais remplacer les racines dentaires perdues par des racines artificielles en toute sécurité », Per-Ingvar Brånemark, nous a quittés un 20 décembre 2014.
Il a rejoint, dans notre destinée commune, ces innombrables vies qui depuis les débuts de l’humanité ont transité sur cette planète, le plus souvent sans laisser aucune trace de leur passage. Lui savait qu’il laisserait une trace. Et quelle trace ! La trace de l’énergie incroyable générée par sa découverte de la relation entre des tissus humains, l’os ainsi que son environnement, et un métal, le titane. Ce véritable « big bang » au sein de l’odontologie moderne a pratiquement bouleversé, et parfois rendu caduques, tous les paradigmes de l’odontologie prothétique. Cette énergie initiale a induit une quantité inimaginable de nouvelles recherches, de nouvelles découvertes, de nouvelles applications cliniques, de nouvelles nécessités pédagogiques, de nouveaux comportements dans les cabinets, de nouveaux matériels et matériaux  ! Energie initiale dont les conséquences se prolongeront encore longtemps et dont on ignore encore quelles seront les conséquences futures !
Très jeune praticien, en 1971, j’avais compris que je ne passerais pas ma vie à mutiler des dents pour faire des bridges, à faire des prothèses mobiles réellement mobiles et la plupart du temps iatrogènes. Je parcourais ainsi les formations dans cette discipline nouvelle qu’était l’implantologie. Mes premiers implants furent les implants de Raphaël Cherchève, j’ai encore un patient en vie qui en a bénéficié. Je suivais Jean-Marc Juillet, mais surtout Léonard Linkow à New York, qui avait déjà organisé la totalité de son exercice autour de cette discipline. Dès 1971, nous avions créé avec des amis très proches le Collège Méditerranéen d’Implantologie Orale qui a formé des milliers de praticiens à la discipline. Tout cela pour dire que l’implantologie était devenue mon monde.
Il faut bien reconnaître que les résultats étaient parfois surprenants dans leur réussite, mais souvent décevants.
Mais, privilège de l’Universitaire que j’étais, et du fait de vivre dans ce monde « implanto-passionné », je dévorais la littérature (rare) relative à l’implantologie. Cette littérature était souvent faite de publications soit de cas cliniques, soit de recettes cliniques. Un auteur se distinguait par son approche réellement médicale et scientifique, il publiait depuis Göteborg, en Suède, dans des revues médicales, des articles parfois complexes pour nous, dans lesquels un nouveau mot apparaissait : « ostéointégration ». Ainsi, je connus Per-Ingvar Brånemark, avant qu’il ne soit réellement connu et reconnu. Un autre mot nous frappait et parfois nous agaçait, le Professeur Brånemark ne parlait plus d’implants, mais de « fixtures ». Tout naturellement, quand il vint à Paris, à l’invitation de Jean-François Tulasne et Guy Huré, en 1986, j’étais parmi ses auditeurs. Comme beaucoup, je fus conquis par son discours, sa démonstration, sa rigueur. Je fus fasciné par ses nouveaux concepts et même un peu culpabilisé par mes anciennes pratiques en implantologie.
Mes amis Patrick Palacci et Pierre Michelon démarrèrent avant moi avec les techniques chirurgicales de Brånemark, je restais encore quelque temps avant de changer mon système implantaire. C’est avec Pierre Michelon, de Toulon, que je fis un premier cas d’édenté total bimaxillaire en 1985, lui à la chirurgie, moi à la prothèse… Pour le praticien, la révolution fut totale, passer d’une prothèse amovible à une prothèse fixée était déjà entré dans mes mœurs puisque j’utilisais les lames de Linkow, mais arriver à une telle fiabilité des résultats était proprement stupéfiant. Pour le Laboratoire de prothèse, l’évolution la plus difficile était de mettre en œuvre des armatures d’une grande précision (adaptation passive), avec des extensions distales, transvissées sur des piliers, et des dents fixées par de la résine dessus, sans oublier une fausse gencive en résine. Du jamais vu, car jusque-là, les prothèses sur implants que nous réalisions étaient des copies des prothèses sur dents naturelles, scellées et d’un aspect un peu discutable, car pour les grandes résorptions, l’absence de fausse gencive était vraiment préjudiciable. Les patients n’ont depuis cessé d’être enchantés, de revivre, Per-Ingmar Brånemark a changé leur vie !
L’implantologie moderne était née. Grâce à Per-Ingvar Brånemark !
En tant que praticien plutôt spécialisé en prothèse totale, mon orientation personnelle changea complètement, j’adoptais complètement les concepts de Brånemark et fis rapidement une formation à la Brånemark Clinic de Göteborg pour procéder moi-même aux actes chirurgicaux. Je créais en 1995 un Service spécialisé en Implantologie au sein du Centre de Traitements Dentaires de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, ainsi qu’un programme de formation pour les étudiants de 4e, 5e et 6e années, et un Diplôme Universitaire d’Implantologie.
L’Homme Brånemark était très attachant. D’abord par l’aura qui émanait de lui et nous rendait tous petits et timides en sa présence. Il y a deux ans, pour le Congrès d’Avignon, j’avais eu le grand privilège d’être son « interviewer », il voulait adresser un message aux congressistes, mais ne pouvait déjà plus se déplacer. Deux moments m’ont marqué. D’abord un discours d’une humanité et d’une bienveillance exceptionnelles plaçant réellement le patient au centre de nos préoccupations. Et puis, au plan plus personnel, lorsqu’il me dit : « Cela fait longtemps que l’on se connaît maintenant, appelle-moi PI et si tu veux bien, je t’appellerai Paul. » Cela avec sa main droite posée sur mon épaule. Je la sens encore.

I had the enormous pleasure of meeting professor Brånemark for the first time in 1995 when my father chaired the Spanish Society of Prosthodontics 25th anniversary meeting in Gran Canaria, Spain and invited him as keynote speaker. Back then I was only 16 and had hardly an idea that it was what I wanted to pursue as a career.
Despite my youth, his personality, his closeness and his extremely affectionate and caring ways touched me, even back then.
For the next two decades and already as a dentist I had the chance to spend time with him on numerous occasions, particularly at our Brånemark Osseointegration Centers (BOC´s) meetings that were held at least once a year. During this time, I was able to reinforce those initial thoughts of my first impression whilst at the same time build up a relationship based on admiration and in consciousness that I was having the opportunity to interact with an exceptional person.
We knew that PI – as professor Brånemark asked us to call him – was not doing very well health wise, as we also knew that he would not live eternally. But even so, the news of his passing away the past 20th of december was to all of us who knew him a hard hit, accompanied by a great feeling of loss.
Those of us that had the privilege of dealing with him know that we have lost one of the most brilliant individuals of our time: a giant intellectual and scientific with an equally large and compassionate heart.
It was frequent for him to greet us by saying; “How are your patients doing?” Obviously, we understood that with this greeting he was emphasizing and reminding us the most important piece of our profession: the patient.
Per-Ingvar Brånemark was an educator, a clinician, a visionary and a rigourous scientist. His discovery of osseointegration in the 50´s, did not leave the laboratory and animal experimentation until the 60´s, and only after 10 further years of clinical research did he show the world his procedure and his long term results.
He always regretted the rapid commercialization of basic research.
Today, we all have a sense of orphanhood for the loss of Per-Ingvar Brånemark, but at the same time we celebrate the honor and luck of having met him and the enormous fortune of having him share with us his scientific knowledge, and most importantly his philosophical one.

Le 1er février 1986, Jean-François Tulasne et Guy Huré faisaient à Paris, dans le cadre de l’ONFOC, une conférence au titre énigmatique : « Conservation et création des piliers en prothèse fixée ». Ils décrivaient leur expérience d’une technique implantaire suédoise, et exposaient leurs cas cliniques réalisés depuis un an. Pour la première fois de mon existence de praticien, une fissure apparaissait dans le mur du traitement prothétique par prothèse amovible de mes patients édentés complets, ou partiels de grande étendue. Jean-François Tulasne avait apporté des bulletins d’inscription au cours qu’il avait lui-même suivi en 1984 à la clinique Brånemark.
Notre groupe d’amis de longue date décida de s’inscrire pour la session du Nobelpharma Implant System – Training course prévue au mois de mai 1986, en chirurgie pour Martine Assémat-Tessandier et Jean-Pierre Irurzun, en prothèse pour Gilbert Amzalag et moi-même, en technique de laboratoire pour Jean-Jacques Sansemat. Nous entraînions dans notre aventure deux jeunots : Frank Renouard (aide opératoire de Jean-François Tulasne) en chirurgie et son ami Joe Bunni (collaborateur de George Amzalag) en prothèse.
À notre arrivée à Göteborg le 20 mai, nous recevions un énorme classeur résumant le cours de quatre jours que nous allions suivre, et le fameux livre de 350 pages de PI Brånemark, G Zarb et T Albrektsson (« Tissue-Integrated Prostheses. Osseointegration in Clinical Dentistry »). Le cours comprenait une partie théorique commune aux chirurgiens, praticiens prothésistes, assistantes opératoires et prothésistes de laboratoire, avec environ 800 personnes présentes dans un grand auditorium. L’ensemble des participants était médusé par le travail de trente ans de recherche scientifique et de vingt ans de recherche clinique mené par l’équipe de Per-Ingvar Brånemark, ce qui était absolument sans équivalent à l’époque. L’aura de Brånemark, sa rigueur et son charisme, sa présence au pupitre pendant ses communications, et la vénération que lui portait son équipe (T. Albrektsson, U. Lekholm, B. Friberg, T. Jemt…) ont rapidement conquis l’auditoire. Notre équipe gauloise, réticente et critique au départ, a été vaincue dans ses doutes par la consultation des patients à la clinique Brånemark, patients traités depuis six à quatorze ans par des prothèses implanto-portées.
De retour en France, notre équipe de sept personnes s’est soudée autour de la traduction du livre de Brånemark, cinq mois de travail à raison de douze heures par semaine, la difficulté venant de la nécessité de transcrire des notions inconnues qui étaient décrites par des mots inventés par les auteurs. La disponibilité du Professeur Brånemark pour expliquer les concepts résumés dans les mots anglais imaginés par lui était incroyable. Son écoute et son attention aux efforts auxquels notre équipe s’astreignait pour ne pas trahir son travail nous ont surpris. Mais Per-Ingvar Brånemark était une personne attentive aux autres, avec une mémoire phénoménale lui permettant de se souvenir de vous au long des années.
Les praticiens français ont découvert PI Brånemark les 17 et 18 octobre 1986, à la Domus Medica de Paris, au cours de sa conférence : « Prothèses ostéointégrées », pour la Société Française de Parodontologie. J’ai retrouvé le même engouement dans la salle comble que celui vécu cinq mois plus tôt à Göteborg.
Le professeur Per-Ingvar Brånemark nous a quittés, il nous laisse ce qui lui tenait le plus à cœur : des possibilités efficaces et sûres de la restauration du handicap que représente la perte des dents. Il a profondément et pour longtemps révolutionné notre exercice, ne l’oublions pas.

L’implantologie est une révolution ? C’est pour moi plus une prise de conscience.
Les jeunes nés dans les années 70-80 ont grandi à l’ère des implants. Nous les avons toujours connus.
Ce n’est pas le cas des générations antérieures, qui ont vu l’implant apparaître durant leur pratique d’expérience. Ces praticiens n’ont pas attendu l’implantologie pour trouver des solutions prothétiques concrètes et pragmatiques aux problèmes de l’édentement. Ils devaient faire face aux principes de rétention, de biomécanique, de surfaces d’appui de manière plus complexes. D’ailleurs, ils ont sans aucun doute un lien émotionnel avec la prothèse conventionnelle.
Honnêtement, je n’ai plus besoin de bien connaître la prothèse amovible ou la prothèse fixée pour gagner ma vie.
Néanmoins, pour tout avouer, plus je pratique l’implantologie, plus j’apprends à distinguer les cas simples des complexes. Si bien que j’ai à revenir d’autant plus sur les concepts de la dentisterie conventionnelle. Là où je pensais m’éloigner de la dentisterie conventionnelle, l’implantologie m’en a rapproché. Et c’est là que le problème se pose. J’y vois mes lacunes.
Peut-on en conclure que l’implantologie a mené à l’appauvrissement de mes connaissances non liées à l’implantologie ?
Idéalement, je dirais que vouloir intégrer cette nouvelle discipline qu’est l’implantologie à mon arsenal thérapeutique devait naturellement intégrer le fait la maîtrise de toutes les techniques que je pratiquais avant. Cela me paraissait plus simple. Plus logique.
D’autant plus qu’en commençant l’implantologie, j’ai découvert que les disciplines auxquelles elle est connectée devaient être maîtrisées et bien connues. Je parle de la parodontologie pour ce qui est de l’environnement implantaire, de la phase de temporisation et de la mise en place de la prothèse implanto-portée qui réclament des prérequis en prothèse fixée ou en prothèse amovible.
Tout en conservant à l’esprit que l’implant avait une durée de vie plus longue. Ce qui signifiait aussi dans un certain sens que la période de temps pendant laquelle les problèmes pouvaient survenir s’allongeait également…
L’implantologie a été le lien qui, selon moi, a relancé l’exigence abordée dans toutes les disciplines, notamment en parodontologie, chirurgie et prothèse. Vouloir croire que l’implantologie permettait de s’affranchir des problèmes inhérents aux autres pratiques était croire que l’implantologie, comme toute alternative, ne présentait pas de risque. C’était une erreur.

Respect et profonde admiration
Recruté en 1986 par l’ingénieur Bo Rangert pour le département R & D de la société Nobelpharma (aujourd’hui Nobel Biocare), j’ai rapidement fait la connaissance du Professeur Per-Ingvar Brånemark, le père de l’ostéointégration, dans son institut à Göteborg.
J’ai gagné sa confiance et j’ai donc pu l’aider dans la conception et le développement de ses produits.
Au cours de mes différentes missions professionnelles internationales, j’ai eu l’opportunité de le rencontrer à plusieurs reprises, avec toujours un immense respect et une profonde admiration.
Aujourd’hui de retour au cœur de l’ostéointégration en tant que Président de Brånemark Integration AB et accompagné par son fils, le Docteur Richard Brånemark, nous avons pris l’engagement de poursuivre la recherche et le développement des applications débutées par le Professeur Per-Ingvar Brånemark.

Mikael Escobar Bach
Brånemark Integration AB

Un pionnier…
Nous regrettons profondément la perte du père fondateur de l’ostéointégration, le Professeur Per-Ingvar Brånemark, qui nous a quittés après 85 ans.
Pionnier dans son domaine, il a toujours su rester avant-gardiste dans le secteur de l’implantologie moderne.
Nous le remercions d’avoir fait partie de nos vies et de continuer à nous apprendre sans relâche la philosophie PI.
Zimmer Dental


Son travail a changé le monde

J’ai rencontré P-I à plusieurs reprises chez lui. La première fois remonte à mai 2011, peu de temps après que j’ai rejoint la société Nobel Biocare. Je dois avouer que je n’avais alors pas totalement saisi la profondeur et la signification de ses paroles. Mais nos conversations ultérieures m’ont éclairé sur la portée et la nature remarquable de sa découverte. Le fait qu’il ait découvert que le titane pouvait être accepté par le corps comme s’il en faisait partie intégrante n’est rien d’autre qu’une découverte médicale révolutionnaire, et le fait qu’il en ait rapidement réalisé le potentiel, en termes de traitement médical, relève d’une très grande créativité et, en réalité, cela tient du génie. Il a su appliquer cette découverte, non seulement aux solutions implantaires dentaires, mais également à d’autres dispositifs médicaux, pour soigner des patients des hanches aux genoux, jusqu’au visage. Il paraît aujourd’hui évident de constater que son travail a réellement changé le monde et continuera de le faire dans le futur.
Il a compris mieux que quiconque que les implants ne sont pas une création naturelle, mais une intervention médicale qui doit être pratiquée avec la plus grande précaution. Son engagement continuel pour une qualité de très haut niveau et son ultime respect pour la biologie ont finalement permis aux patients, où qu’ils soient, d’avoir l’opportunité de recevoir une solution de traitement qui leur change la vie et dure toute leur vie.
L’œuvre de P-I sera toujours le fondement spirituel de Nobel Biocare. Nous sommes déterminés à poursuivre le travail de sa vie.
Nos plus profondes et sincères condoléances vont à sa famille. Il nous manquera à tous.
Richard Laube, CEO, Nobel Biocare

Hommage de l’ITI à Per-Ingvar Brånemark
L’International Team for Implantology honore la mémoire de Per-Ingvar Brånemark, un chercheur, un enseignant, et un clinicien passionné qui a consacré sa vie à explorer et à repousser les limites du champ de la dentisterie implantaire. Le nom de Per-Ingvar Brånemark est synonyme d’ostéointégration, terme qu’il a lui-même inventé, et d’un vaste cortège d’études et de recherches qui remontent sur plusieurs décennies. Ces recherches initiales sur le rôle du sang dans la cicatrisation osseuse l’ont amené à une découverte fortuite, lorsqu’il observa la cicatrisation de l’os autour de ses fenêtres optiques encadrées de titane. Le titane avait fusionné avec l’os et ne pouvait pas être enlevé. Sa géniale inspiration fut d’entrevoir les possibilités d’utilisation du titane pour remplacer les racines dentaires absentes. Sa technique fut d’abord appliquée à la mandibule édentée puis au maxillaire édenté et enfin aux édentements partiels. Cela prit plusieurs décennies avant que son concept soit accepté comme une évidence scientifique. La patience et la rigueur qu’il mit à étudier et à valider ses propres concepts ne peuvent être que saluées tant elles sont devenues peu communes aujourd’hui. Une fois établi, son concept d’ostéointégration a été à l’origine d’une large gamme d’applications dans le corps humain, particulièrement en orthopédie.
Et c’est tout naturellement qu’au cours de sa vie, Per-Ingvar Brånemark reçu un grand nombre de distinctions honorifiques.
Aujourd’hui, de nombreux patients continuent de bénéficier de son travail de pionnier, repris par des chercheurs et des cliniciens du monde entier.
Si l’ITI s’est bâti autour des travaux du professeur André Schroeder, il n’a pu que constater la convergence de certaines évidences scientifiques avec les travaux du professeur Brånemark. Les chemins ont fini par se rejoindre, à tel point qu’en 2013, le professeur Daniel Buser, alors président de l’ITI, fut récompensé par un Brånemark Osseointegration award.
Nous sommes attristés par la disparition de Per-Ingvar Brånemark et tenons à exprimer nos condoléances à sa veuve Barbro, ses trois enfants Annika, Richard et Christian, ainsi qu’à ses quatre petits-enfants.
Au nom de la section ITI France, de son Président, Paul Rousseau de son Education Delegate, Hervé Buatois, et de son Section Officer, David Bourdin


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