Histoire de changer les idées
Le mot Viking désigne, non pas le nordique que l’on croit, mais son passe-temps favori. À bien lire les runes, ce serait en effet une activité nautique, permettant de se ravitailler à bon prix. Pratiquer le viking en drakkar, ça vous a quand même une autre allure que faire ses courses en caddie ! Voilà l’une des révélations de cette exposition passionnante, qui remet les boussoles à l’heure d’après les plus récentes découvertes scientifiques et a déjà attiré plus de 1,3 million de visiteurs dans le monde. On pensait bien ne pas tout savoir de ces Nordmen, nourrir même quelques préjugés à leur égard : tous pillards, barbares, soiffards, etc. Pour résumer, et par doux euphémisme, on disait que de 793 environ à 1066, d’honorables commerçants (craints par tout leur village, quand même) s’absentaient pour des emplettes à l’étranger, sur de frêles esquifs ornés d’un dragon appelé dreki – d’où drakkar. Selon l’accueil, ils s’attardaient plus ou moins, visitant le pays et en rapportant quelques souvenirs, voire quelques spécimens. Face à cette innocente manie, des conservateurs locaux s’ingéniaient à cacher toujours plus loin les pièces intéressantes, tout en effrayant les enfants par des récits exagérés. Par commodité, on avait fini par laisser un bout de terrain aux visiteurs qui y firent souche, ce qui fait qu’on ne les nomme plus pirates. Eh bien, c’est fini ces histoires, tout comme les vieilles celtitudes brachylocéphales versus dolicocéphales. Place aux certitudes nouvelles : les Vikings, paisibles fermiers pour la plupart, étaient des gens très bien, branchés sur le dialogue Asie-Amérique, organisateurs d’originales régates funéraires, artistes et tout.
Pirates, bon ; brutes épaisses, non
Les 550 splendides pièces archéologiques dûment et dynamiquement présentées en témoignent. De fameux marins, ça oui, du type amphibie, remontant les fleuves comme personne, coupant les méandres par voie de terre et raflant des chevaux pour surprendre l’ennemi. Mais d’abord des navigateurs infiniment renseignés sur les mers et les terres, ayant approché les cultures les plus éloignées et enrichi la leur, bien avant et après les bornes assignées à l’ère Viking. Et, à la base, d’exceptionnels constructeurs navals dont les nefs, alliant performance technique et force symbolique, abordaient sans crainte tous les rivages, y compris ceux de l’au-delà. N’en déplaise à Wagner, leurs casques n’avaient pas de cornes ; celles-ci servaient plutôt à boire, ornées d’argent chez les plus riches, parmi un service complet attestant un usage des bonnes manières à table.
On savait aussi s’habiller à l’heure du thing (assemblée locale) et se parer avec un raffinement étendu aux moindres objets du quotidien. Les femmes dirigeaient d’une même poigne de fer exploitation, maisonnée, budget et même destin, qu’elles savaient prédire ou manipuler. Les hommes ne trouvaient pas tiré par les cheveux de les rapprocher des Völvas magiciennes et des aimables Walkyries. On laissait les enfants jouer avec les amulettes, tout en leur apprenant à respecter non seulement les dieux (jusqu’à leur crépuscule annoncé, en tout cas) mais encore le « forn sir », code des vieilles pratiques et socle de la société sur tous les plans : idées, croyances et connaissances, lois, rites et devoirs.
Une civilisation se révèle ici dans toute sa richesse effacée. Les vestiges compensent partialité des sources écrites et évanescence des sources orales, poésie vague des sagas et fantaisie manichéenne des fictions. Exhumer en Scandinavie des pièces de monnaie arabes ou un bouddha du VIe siècle, lire dans les traits d’un dreki les influences qu’il a croisées, déduire d’une cartographie des jalons toute une géopolitique, voilà ce qui fait revivre l’épopée Viking. Et qu’importe si le mot drakkar est récent : à Nantes on peut en voir et même en construire. Walhalla, ça vaut le voyage !
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