Lotfi Benslama (photo), chirurgien stomatologiste et maxillo-facial, praticien hospitalier, enseignant et auteur très impliqué dans la diffusion de recommandations étayées et fiables dans le domaine de la chirurgie maxillo-faciale et de la médecine bucco-dentaire, intervenait sur un thème sensible qui interpelle particulièrement les praticiens impliqués dans la chirurgie orale et l’implantologie. Le sujet des « Ostéonécroses maxillaires et mandibulaires » a connu un regain d’intérêt avec la généralisation des prescriptions médicamenteuses d’anti-résorptifs ou d’anti-angiogéniques. Mais ces prescriptions ne constituent pas l’unique étiologie des ostéonécroses de la mâchoire(ONM) : certaines infections bactériennes, virales ou fongiques, des métastases, ou encore une radiothérapie des voies aérodigestives supérieures (VADS), entre autres, peuvent aussi entraîner des ONM. D’autres étiologies sont possibles et peuvent être d’origine traumatique, toxique (cocaïne) ou chimique (arsenic). D’où la nécessité d’une démarche diagnostique rigoureuse.
La première partie de la conférence a permis au Docteur Benslama de définir les ONM et d’illustrer leurs manifestations cliniques et radiologiques en illustrant son propos par des cas cliniques concrets suivis dans ses exercices hospitalier et privé. Les atteintes sévères décrites ont mis en évidence l’importance d’une détection et d’une prise en charge précoces. Dans le cas des ostéonécroses bactériennes, la notion de terrain est essentielle comme avec la stomatite nécrotique aiguë qui débute à partir d’une atteinte parodontale sur fond de dépression immunitaire. Plus rare mais redoutable, la mucormycose, au pronostic sombre, conjugue une infection opportuniste fongique et une immuno-dépression dans un contexte de diabète mal équilibré.
En oncologie, les ONM sont observées surtout au décours de radiothérapies mais peuvent aussi être l’expression de métastases osseuses de myélome, de cancer du poumon, du sein… La biopsie se révèle donc indispensable pour un bon diagnostic. Pour lever les ambiguïtés qui planent sur la prise en charge du patient ayant subi une irradiation des VADS à visée thérapeutique et sollicitant une réhabilitation implanto-prothétique, le conférencier a clairement rappelé les risques en présence. Une ostéoradionécrose peut survenir plusieurs dizaines d’années après l’irradiation du site concerné. Ce risque permanent contre-indique de manière absolue la mise en place d’implants en secteur directement irradié à doses thérapeutiques (65 grays). Les apports de l’oxygénothérapie hyperbare ne sont pas prouvés. Dans le cas d’une irradiation n’intéressant pas directement le maxillaire ou la mandibule, il est indispensable d’établir, en concertation avec le radiothérapeute, la cartographie de la dose délivrée (courbes isodoses) pour estimer la faisabilité de la réhabilitation implantaire. S’il existe un taux de succès non négligeable de l’option implantaire pour les cas indiqués, le risque d’ostéoradionécrose persiste et impose de faire réaliser le traitement en secteur hospitalier pour pouvoir gérer une éventuelle ostéoradionécrose.
Dans la deuxième partie de son exposé, le Docteur Benslama, qui a initié et participé à la rédaction des recommandations pour la pratique clinique (RPC) « Implantologie et Bisphosphonates »* en 2012 (étendues en 2013 à l’ensemble des actes de chirurgie orale), a développé les instructions fondamentales destinées aux praticiens confrontés à un patient soumis ou candidat à un traitement par bisphosphonates (BPs) et sollicitant ou ayant conduit une réhabilitation implanto-prothétique. Ces préconisations orientent le professionnel de santé bucco-dentaire, en premier lieu, vers une évaluation du risque de survenue d’une ONM chez un patient sous BPs et aspirant à suivre une restauration implanto-prothétique. En second lieu, le praticien doit apprécier si le pronostic de l’implant dentaire est affecté par la prise de BPs.
Enfin, il doit respecter une conduite à tenir précise avant, pendant et après la pose de l’implant et bien convenir des modalités de suivi avec son patient. Le conférencier a rappelé que l’efficacité des BPs a été démontrée non pas dans la prévention de l’ostéoporose mais en prévention d’une deuxième fracture dans le cadre d’une ostéoporose installée (stade 4). Sans remettre en cause l’intérêt des BPs, il a interpellé l’assistance sur la « bombe à retardement » que représente l’accroissement du nombre de prescriptions parfois non justifiées de ces molécules susceptibles d’entraîner des ONM. Dans ce domaine lié à la médication comme dans d’autres impliquant la demande d’examens biologiques, le Docteur Benslama souhaite éveiller les consciences et remettre le principe de la preuve scientifique au cœur de nos décisions thérapeutiques. Et en homme de partage, tel qu’ont pu l’apprécier les participants de cette soirée, il promet de livrer prochainement les conclusions de ses recherches sur certaines habitudes de prescriptions infondées.
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Emmanuel Gouët
Hadi Antoun
*Promoteurs : Société Française de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-Faciale, Fédération Française de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-Faciale, Association Française pour le Développement de la Stomatologie. Consultables en ligne.
La prochaine soirée du CFLIP se déroulera le 17 mai à l’hôtel Napoléon (Paris 8e).
Patrick Missika et Patrice Delobel présenteront la conférence « Comment recréer ou “repulper” les papilles ». Renseignements : http://cflip.fr
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