Mon patient est inquiétant et veut rester anonyme !

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 40-42)
Information dentaire
Le secret médical est l’un des fondements de la médecine dont la violation est réprimée par le Code de la santé publique (CSP) et le Code pénal. L’article L. 1110-4 du CSP dispose que « (…) ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé (…) ». Mais lorsque le praticien est face à un patient dangereux, ou dans une situation liée à un délit, il est souvent difficile de rester lié à son secret. Jusqu’où porter le principe éthique du secret ?

Situation
« Il est tard. Ma journée de travail est terminée et je ferme les volets de mon cabinet quand un patient se  présente accompagné d’un ami. Visiblement nerveux, il désire être reçu en urgence. Son insistance autoritaire doublée du sang qui s’écoule abondement de sa bouche m’oblige à le recevoir.
Lorsqu’il est installé sur le fauteuil, je découvre que sa lèvre inférieure est coupée en deux. Son ami me signale qu’il refuse d’être hospitalisé et exige que je lui procure les premiers soins pour stopper l’hémorragie. Je comprends qu’ils viennent de participer à une rixe brutale. Dois-je appeler la police sans leur accord pour dénoncer cette situation ? Faut-il accepter d’intervenir alors que je ne connais même pas son nom ?
L’urgence de la situation élimine l’abstention, car mon patient souffre.
Une fois ces deux inconnus partis, je me questionne pour savoir comment agir en citoyen, en praticien, en homme épris de justice et d’humanisme. »


Réflexions du Docteur Alain Zerilli

Maître de conférences des Universités – Praticien Hospitalier
Ancien Doyen de la faculté d’Odontologie de Brest

Dans le cas d’espèce, il convient tout d’abord d’analyser finement les différents éléments de la situation.
– De toute évidence, la victime est venue chercher les services d’un professionnel, pour des motifs relevant de son domaine de compétence, et sur son lieu même de travail.
– En dehors de toute autre considération, il s’agit bien d’une urgence vraie. En odontologie, les seules situations considérées comme de réelles urgences sont les hémorragies, associées ou non à un trauma, et l’infection. En l’occurrence, la situation d’urgence est bien réelle. En effet, toute hémorragie, quelle qu’en soit la raison, peut s’aggraver à tout moment. Elle peut être la conséquence de lésions internes potentiellement graves qu’il est capital de diagnostiquer au plus vite, ou tout au moins d’orienter la victime vers une structure adéquate s’il s’avère que la situation clinique dépasse les compétences du praticien ou ses capacités d’intervention. Et cela sans aucune autre considération que médicale, dans l’intérêt suprême du malade. Le praticien intervient en qualité d’officier de la santé publique et ne doit avoir d’autre souci que la santé et la sécurité de la personne qu’il prend en charge.
La deuxième partie de la réflexion est le comportement a posteriori : faut-il ou non dénoncer ? La réponse est claire et non ambiguë : c’est non. Le professeur L. Portes, président du Conseil de l’Ordre des Médecins, déclarait : « Il n’y a pas de médecine sans confiance, de confiance sans confidence et de confidence sans secret. » C’est bien parce qu’un malade ou une victime sait qu’un praticien digne de ce nom ne le dénoncera pas que ce patient viendra consulter, en toute confiance.
Le nécessaire secret qui doit exister autour de la relation privilégiée entre malade et praticien est encadré par des textes à très forte portée réglementaire, comme le Code de déontologie et le Code pénal (CP). Ces textes imposent cette notion à tout professionnel, et plus particulièrement aux professionnels de santé, et lui confèrent un caractère absolu en sanctionnant très fortement tout manquement (CP, art. 226-13).
Certes, il existe des dérogations.
Une seule dérogation légale (CP, art. 226-14) s’impose réellement à tout praticien dans l’exercice de ses fonctions : celle de déclarer toute violence, de quelque nature que ce soit, faite sur des mineurs de moins de 16 ans ou des personnes vulnérables. Ce même article autorise également la dénonciation de personnes considérées comme dangereuses, pour soi-même ou pour autrui, et la détention d’armes, ou la prévision de détention. Car il ne saurait être question pour ce professionnel d’effacer sa propre sécurité au profit de sa mission. Cependant, en cas de discussion ou de contestation, il conviendrait alors à ce dernier d’apporter la preuve que cette dangerosité était réelle et présentait un risque certain pour sa sécurité.
La dénonciation de violences sur adulte n’est possible qu’avec l’assentiment express de la victime (CP article 434-1)
Quant aux obligations faites à tout citoyen de dénoncer des crimes, commis ou en prévision (CP, art. 434-1), et de témoigner en faveur de l’innocence d’une personne condamnée (CP, art. 434-11), ils comportent un alinéa dispensant les personnes soumises aux dispositions de l’article 226-13.
Les multiples évolutions sociétales et technologiques (Internet, exercice en équipes de plus en plus étendues et de composition de plus en plus variée) imposent quotidiennement une adaptation de ce principe qui reste en France, et c’est heureux, intangible.

Réflexions de Marc Baudet (et de l’IGPN, Cabinet de l’analyse, de la déontologie et de la règle)
Contrôleur général de l’Inspection générale de la Police nationale

Le principe du secret médical, qui s’impose à tous les professionnels de santé, est prévu à l’article L1110-4 du Code de la santé publique. Ce texte précise que toute personne prise en charge médicalement a droit « au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ». L’article R4127-206 du même code énonce que le « secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du chirurgien-dentiste dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».
Il s’agit donc d’une règle qui n’est pas seulement décidée ou adoptée par le praticien, mais que la loi lui impose sous peine de poursuites pénales. Mais un tel principe, qui permet d’assurer la protection de l’intimité du patient et de créer une relation de confiance entre le malade et son médecin, peut-il céder en tout ou partie dans certaines circonstances ?
Le secret médical est un principe général et absolu. Il est d’ordre public et sa violation peut donner lieu à des sanctions pénales (article 226-13 du Code pénal), civiles (article 1382 du Code civil) ou disciplinaires. Il répond à un domaine qui est défini par les textes et la jurisprudence.
Le secret professionnel est avant toute chose subordonné à la relation « patient / professionnel de santé », dans le seul cadre de l’exercice de soins médicaux ou d’une consultation à des fins thérapeutiques.
Il suppose la connaissance de la qualité du professionnel et de la nature médicale de l’acte accompli. N’en relèvent donc pas les informations susceptibles d’incriminer pénalement une personne qui les aurait révélées à un praticien, sans connaître sa qualité et en dehors de tout acte de soin (le praticien étant alors assimilé à un simple particulier).
Il ne s’impose pas pour les infractions dont serait victime un praticien, même dans un cadre professionnel (leur auteur n’ayant plus la qualité de patient, mais celle de mis en cause). Au fond, cette exemption pourrait se résumer simplement, le statut de victime d’infraction primant alors celui de praticien.
Par ailleurs, la loi prévoit expressément des dérogations à cette obligation du secret.
Selon leur teneur, certaines informations peuvent être transmises au malade lui-même, aux autorités sanitaires, mais également aux autorités administratives (préfet…) ou judiciaires.
Ainsi, l’article 226-14 du Code pénal autorise la levée du secret médical dans les trois cas suivants :
– privations, sévices ou atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable ;
– violences physiques, sexuelles ou psychiques, avec l’accord de la victime (l’autorisation de la victime n’est pas requise si celle-ci est mineure ou vulnérable) ;
– dénonciation d’une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui, dont on sait qu’elle détient une arme ou a manifesté l’intention d’en acquérir une.
Dans notre cas d’espèce, il est donc impossible au professionnel de santé de révéler au procureur de la République l’existence de blessures par arme ou causées à la suite d’une rixe, sauf si la victime est mineure ou particulièrement vulnérable, ou si la victime majeure lui donne son consentement.
En se retranchant derrière le secret médical, le praticien doit toutefois prendre toutes mesures conservatoires appropriées en vue de l’information ultérieure des autorités judiciaires (comptes rendus médicaux ou postopératoires, préservation des projectiles extraits du corps du patient, conservation pendant quelques jours de ses vêtements, etc.).

Remerciements à Marie-France Moneger, directrice générale de la Police nationale.

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