Maladie parodontale et chiens de compagnie

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°13 - 29 mars 2023 (page 6-8)
Information dentaire
Article analysé
• Barbosa E, Pires PGS, Hauptli L, Moraes P. Strategies to improve the home care of periodontal disease in dogs: A systematic review. Res Vet Sci 2023 ; 154 : 8-14.

La parodontologie est un thème récurrent parmi les numéros spéciaux de votre Information Dentaire, toujours accompagné d’une revue de presse connexe. Pour cette nouvelle édition spéciale, nous avons choisi de nous renouveler en vous proposant un angle différent, mais déjà abordé fin 2019 : la santé dentaire de nos animaux de compagnie. L’article que nous avions rapporté alors nous apprenait que les problèmes parodontaux arrivaient en tête des affections dentaires chez les chats, et plus encore chez les chiens. Celui que nous avons sélectionné cette fois est une revue systématique de littérature parue dans une revue internationale de médecine vétérinaire reconnue (IF = 2,54). L’objectif de ses auteurs est de faire l’inventaire et d’apprécier l’efficacité des différents moyens réputés améliorer la santé parodontale des chiens.

Après avoir suivi la norme internationale PRISMA pour modéliser leur méthodologie de recherche appliquée dans les trois principales bases de données scientifiques (Scopus, Science Direct et Web of Science) ainsi que dans d’autres sources issues de congrès vétérinaires internationaux, les auteurs ont finalement retenu 36 études réalisées dans différents pays industrialisés du monde sur les 3 990 articles initialement détectés. Parmi les études incluses, dominées par le États-Unis (11 études), 4 avaient été réalisées en France. Plus intéressant, les auteurs indiquent une très forte dynamique des publications sur le sujet des parodontopathies canines ces dix dernières années avec une croissance constante. Ils l’expliquent par un phénomène de plus grande proximité des propriétaires avec leurs chiens, ce qui les conduit à être plus facilement incommodés par la mauvaise haleine de leur compagnon, encourage les consultations et, par effet domino, accroît les recherches sur ce sujet. Concernant les caractéristiques des animaux étudiés, beaucoup l’ont été dans le cadre de centres de recherche et, sans surprise, le chien beagle est le plus largement représenté dans ces études. Les auteurs l’expliquent par sa taille moyenne et son bon « conditionnement génétique ». Ce dernier argument signifie, en fait, que les chiens beagles sont dociles et non agressifs. Rappelons à cet égard que du fait de ces caractéristiques, cette race a payé un tribut particulièrement lourd dans le cadre des études précliniques en implantologie dentaire. Les auteurs nous apprennent par ailleurs, référence à l’appui, que plus de 80 % des chiens âgés de plus de deux ans présentent des problèmes de santé orale. Les chiens de petite taille en seraient plus affectés du fait d’encombrements dentaires plus fréquents réduisant l’efficacité de l’autonettoyage naturel par la mastication notamment.

Concernant les stratégies d’amélioration de la santé orale par des soins à domicile, sujet principal de cette revue, les auteurs se sont d’abord intéressés aux agents actifs au premier rang desquels les polyphosphates, les agents phytogéniques et la chlorhexidine que nous connaissons bien. Les phylophosphates inclus dans la nourriture ou dans des friandises agissent comme des chélateurs du calcium salivaire. Plusieurs études rapportées par les auteurs ont montré leur efficacité à réduire l’accumulation de plaque bactérienne, la formation de tartre, l’halitose et les gingivites. Les agents phytogéniques sont, quant à eux, des métabolites secondaires issus de plantes naturelles telles que le thé vert, le thymol, le menthol, la grenade et de nombreuses baies. Ils présentent des actions antioxydantes, anti-inflammatoires, antibactériennes, anti-
virales et antifongiques. Ils peuvent être administrés sous forme de friandises à mâcher, de pâte, de gel ou de solution liquide en spray, à introduire dans l’eau de boisson ou dans l’alimentation principale du chien. Une étude citée a ainsi montré que des extraits de grenade incorporés dans des biscuits ont réduit la formation de tartre chez le chien aussi efficacement que des phylophosphates. La chlorhexidine, qui est un antiseptique local à large spectre, agit en augmentant la perméabilité des membranes bactériennes, réduisant ainsi leur nombre. Des études analysées par les auteurs ont évalué son action bactériostatique et son action préventive sur les maladies dues à la plaque dentaire et ses modes d’application sous forme de dentifrice, de gel, de sprays, de produits muco-adhésifs ou de bonbons à mâcher. Les études concernées rapportent une très faible toxicité par absorption de chlorhexidine et une efficacité démontrée sur la réduction de la plaque dentaire notamment. Concernant les formes d’administration des différentes solutions évoquées, les auteurs expliquent que leur impact calorique est négligeable et que certains de ces produits, quand ils sont bien conçus, développent un plaisir de mastication chez le chien. Ils soulignent par ailleurs que certaines friandises ou substance à mâchonner aident à réduire l’accumulation de plaque dentaire et le développement de tartre par leur simple effet abrasif, même s’ils ne contiennent pas de substance active.

Toutefois, certains de leurs composants phytogéniques, probiotiques ou simplement riches en fibres peuvent contribuer à prévenir la mauvaise haleine et promouvoir le bien-être de l’animal par le biais d’une meilleure santé orale. Les auteurs évoquent aussi la consommation de peaux et d’os pour cet objectif. S’ils concèdent que la consommation d’os peut réduire l’accumulation de tartre de près de 58 %, ils mettent en garde sur le fait que les os issus de viande crue, les plus efficaces, présentent un risque important de contamination bactérienne (Salmonelle, E. coli, Listeria…) ainsi que des risques de perforations du tube digestif qui se trouve encore majoré si les os sont issus de viande cuite (par modification de leur trame collagénique). Des risques de fractures dentaires sont aussi évoqués. En outre, ils évoquent des solutions formulées pour nettoyer et rafraîchir la cavité orale, mais insistent sur le fait qu’elles ne peuvent remplacer un brossage quotidien pour réduire les facteurs étiologiques des maladies parodontales. Pour les auteurs de cette revue, un brossage quotidien est donc le meilleur moyen de préserver la santé orale des chiens par élimination du biofilm avant sa transformation en tartre, bien plus difficile à éliminer. Ils évoquent aussi la possibilité que des solutions muco-adhésives sous forme d’hydrogels incluant des antiseptiques et habituellement employés pour le traitement de parodontites pourraient être avantageusement employées de manière préventive, 3 fois par jour ! Au vu de nos difficultés à sensibiliser nos patients à leur propre hygiène orale, on peut sincèrement douter de l’observance d’une telle recommandation par les propriétaires pour leur chien…

Les auteurs concluent l’analyse des 36 articles inclus dans leur revue systématique en soulignant la grande variété des solutions de prévention parodontale réputées efficaces pour les chiens. Parmi les produits actifs, les polyphosphates sont les plus testés dans les études. Toutefois, ils notent une forte tendance en faveur des recherches qui se focalisent sur différentes solutions médicales alternatives à base de plantes. Cette revue montre surtout des problématiques parallèles entre la dentisterie humaine et canine. Si les approches préventives sont un peu différentes, elle nous apporte des connaissances et des arguments solides pour élargir nos échanges avec nos patients autour de la maladie parodontale au-delà de leur seule situation, en incluant aussi celle de nos compagnons canins. Un bon moyen de déporter la conversation en dehors du seul environnement du cabinet dentaire et de nouer un lien conversationnel si important dans le discours de motivation parodontal en faveur de nos patients.

Questions à… Alain Kientz

Docteur en médecine vétérinaire ayant exercé de manière quasi exclusive en dentisterie vétérinaire ces dix dernières années

Vous venez d’achever votre carrière de vétérinaire consacrée en grande partie à la dentisterie. Fort de votre expérience, comment appréciez-vous l’impact des maladies parodontales et leur évolution sur la santé des chiens de compagnie ces dernières années ?

Alain Kientz : La maladie parodontale est une constante majeure chez les chiens, raison pour laquelle l’examen de la cavité buccale devrait être systématique lors de chaque consultation. Elle apparaît très tôt, avant l’âge de deux ans, surtout chez les races miniatures, avec une prédisposition raciale nette (caniches, bichons, cotons, yorkshires). Les dérives de sélection avec des hypertypes de plus en plus marqués (brachycéphales au sens large, tête arquée des bull terriers, et, a contrario, museaux très longs et étroits chez les lévriers) viennent accentuer le problème. L’alimentation est également en cause : les chiens sont munis d’une denture adaptée à la prédation et au découpage sommaire, et ils sont très classiquement nourris avec de la pâtée ou des croquettes qu’ils avalent sans mâcher. S’ajoute enfin le problème de l’hygiène dentaire : son efficacité est réelle, mais elle reste très difficile à mettre en place, même avec un propriétaire motivé.

Dans le cadre de ma patientèle, 68 % des chiens vus pour des soins dentaires pèsent moins de 10 kg, seuls 8 % plus de 30 kg (et ceux-ci viennent plus souvent pour des problèmes traumatiques). Les dégâts sont très précocement irréversibles (72 % des animaux soignés nécessitent une ou plusieurs extractions), et souvent majeurs. J’ai ainsi extrait en moyenne 2 500 à 3 000 dents par an, ce qui donne une idée de l’état des bouches qui nous sont présentées.

Les conséquences cliniques des parodontopathies (souvent aggravées de stomatites ulcéreuses) sont lourdes : douleur, halitose (qui motive souvent la consultation), perte spontanée de dents, difficultés à la préhension dentaire avec amaigrissement, saignements buccaux, défaut de toilettage en sont les signes visibles. La bactériémie permanente qui en découle a aussi des conséquences à distance sur d’autres organes : endocardites valvulaires, néphrites, prostatites…
Et, malheureusement, les consultations sont trop souvent tardives. Les soins préventifs réels ne concernent guère que 10 % de nos actes.

Plusieurs moyens de prévention évoqués dans l’article sont des substances actives comme la chlorhexidine ; or les dentistes ne les recommandent pas pour les humains en usage quotidien de routine afin de ne pas déséquilibrer le biotope buccal
naturel saprophyte.

Qu’en est-il chez le chien ?

A. K. : J’ai l’habitude de dire aux propriétaires que tout ce qui est magique pour laver les dents ne marche pas, et qu’en dehors du brossage quotidien, il n’y a pas de solution.

Je suis bien conscient de la difficulté à mettre en place une vraie hygiène dentaire chez le chien. Mais quand c’est mis en place précocement, sur un animal de taille suffisante, les résultats sont étonnants. En revanche, pour les races miniatures, très à la mode, il faut reconnaître que l’accessibilité de la bouche est presque impossible.

Fort de cet aspect inéluctable, les fabricants de produits d’hygiène se sont emparés de ce créneau. Ils commercialisent des produits sans AMM, « réputés efficaces », « aidant à ralentir », « contribuant à réduire » la plaque dentaire et donc l’accumulation de tartre. Ce n’est pas mensonger si on parle la même langue.

À titre personnel, je n’ai jamais observé de pathologie iatrogène liée à l’utilisation de la chlorhexidine. Des comprimés adhérents, à fixer en face interne de la babine, qui en relâchaient sur la journée en vue de lutter contre la mauvaise haleine, ont longtemps été commercialisés ; l’efficacité sur l’halitose était assez bonne, les effets secondaires nuls. Par ailleurs, les produits contenant de la chlorhexidine restent assez coûteux dès lors que leur utilisation quotidienne est respectée. Dans le meilleur des cas, les soins sont hebdomadaires, une utilisation ponctuelle ne devrait pas affecter le biotope buccal des chiens.

Croquettes et friandises “anti-tarte »
“C’est à mon sens une piste intéressante avec une vraie efficacité. Encore faut-il que l’animal accepte ce type d’aliments, ou que le propriétaire accepte de les lui donner”

Fort de votre expérience de clinicien, quels moyens de prévention de la maladie parodontale vous semblent à la fois efficaces, appropriés, et surtout assez faciles d’emploi pour les propriétaires afin d’en obtenir une bonne observance ?

A. K. : L’hygiène dentaire reste l’élément clef de la prévention de la maladie parodontale. Il faut, dès le plus jeune âge du chien, sensibiliser, conseiller et éduquer le propriétaire. Lui faire comprendre que ce qui est vrai pour lui l’est également pour son compagnon. Les choses sont, dans ces conditions plus faciles, plus acceptables et plus efficaces.

Il faut également que la bouche soit prise en compte lors de toute consultation, ne pas hésiter à le demander si ce n’est pas le cas. Car un chien en bonne santé, avec une bouche saine, ne doit pas sentir mauvais.

Enfin, si les soins d’hygiène quotidienne ne sont pas possibles, on peut faire procéder à un détartrage régulier chez l’animal, sans attendre que la maladie parodontale se soit généralisée et que des extractions multiples soient nécessaires… Ces soins seront renouvelés régulièrement, tous les 12 à 18 mois s’il le faut chez les individus prédisposés.

Ces soins se feront forcément sous anesthésie ; le recours aux anesthésiques volatils et à un monitoring tout au long de l’intervention a considérablement fait reculer le risque anesthésique qui ne doit plus être un frein.

Enfin, si l’on considère le coût cumulé de toutes les barres à mâcher, et de produits divers destinés à lutter, avec pas ou peu d’effet, contre la maladie parodontale, on peut opter plus efficacement pour des soins dentaires tous les 18 mois.

Plus généralement, quels conseils vous semblent particulièrement importants à donner aux propriétaires de chien qui veulent éviter d’être confronté à une maladie parodontale pour leur chien et préserver le plus longtemps possible la santé dentaire de leurs
compagnons canins ?

A. K. : J’aurais tendance à dire qu’il faut éviter certaines races ou, à défaut, en connaître les points faibles. Toutes les races miniatures sont clairement touchées de façon catastrophique par la maladie parodontale.

À défaut, ou en complément d’une hygiène rigoureuse, essayer de mettre en place une alimentation exerçant un minimum d’action mécanique sur les surfaces dentaires. Certains fabricants d’aliments proposent des croquettes de grande taille, avec une texture dure et fibreuse, dans lesquelles le chien est obligé de mordre réellement. C’est à mon sens une piste intéressante avec une vraie efficacité. Encore faut-il que l’animal accepte ce type d’aliments, ou que le propriétaire accepte de les lui donner.
Enfin, avoir recours le plus régulièrement possible à l’expertise, aux conseils et aux soins d’un praticien reste la solution la plus sûre.

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