Les lésions endo-parodontales sont caractérisées par une communication pathologique entre les tissus endodontiques et parodontaux donnant lieu à une expression de symptômes aigus ou chroniques. Leur pathogénie s’accomplit par l’action microbienne et/ou inflammatoire affectant simultanément l’espace pulpaire et l’environnement parodontal immédiat de la dent concernée. Les auteurs de l’étude rapportée rappellent le caractère complexe et singulier des interactions entre pulpe et parodonte avec de multiples voies de communication possibles parmi lesquelles le foramen apical, les canaux accessoires latéraux et même les tubuli dentinaires exposés. Les lésions concernées sont qualifiées d’endo-parodontales quand une lésion endodontique primaire présente une implication parodontale secondaire ou, à l’inverse, quand une lésion parodontale primaire affecte secondairement la pulpe, ou enfin quand les deux types de lésions sont d’emblée combinés. Du fait de cette double implication, la compréhension du mécanisme pathogénique exact est très difficile. Le traitement des atteintes conséquentes, le pronostic de succès et les résultats espérés en deviennent éminemment difficiles à prévoir, d’autant que la littérature est assez pauvre sur ce sujet.
L’équipe australienne auteure de cet article livre ici une étude rétrospective pour tenter d’apprécier les facteurs de pronostic du traitement de ces lésions. Ainsi, 88 dossiers de patients traités entre janvier 2008 et décembre 2021 à la clinique dentaire de l’université de Griffith (Australie), et ayant fait l’objet d’un suivi d’au moins un an, ont été inclus dans leur étude. Après analyse des données, les auteurs annoncent que 46,6 % des dents traitées ont rencontré les critères de succès thérapeutiques, que 21,6 % supplémentaires sont toujours présentes et que 31,8 % ont fait l’objet d’un échec confirmé. Les principales causes d’échec identifiées sont des fractures radiculaires (7 %), des douleurs (10,5 %), et, majoritairement, des mobilités (53,6 %). Concernant les mécanismes étiopathogéniques de ce type de lésion, les facteurs systémiques tels que le diabète, les maladies affectant le métabolisme osseux ou encore la consommation de cigarettes auraient peu d’influence. Les auteurs évoquent pour l’expliquer le caractère singulier de ce type de lésion profondément localisée dans l’os alvéolaire relativement isolé des influences systémiques. De même, la présence de caries, la nature ou le volume d’éventuelles restaurations dentaires n’auraient pas non plus d’influence significative. En fait, les facteurs les plus déterminants pour le succès du traitement seraient principalement la présence, la quantité et la nature des espèces pathogènes dans les espaces parodontaux et endodontiques, mais surtout la possibilité de les éliminer efficacement et durablement.
Ainsi, du point de vue purement parodontal, des poches de plus de 5 mm, et plus encore de plus de 8 mm, une perte osseuse atteignant le tiers le plus apical de la racine ou encore l’antériorité d’une maladie parodontale sont les facteurs les plus défavorables au succès thérapeutique car ils témoignent d’une progression profonde et durablement établie des bactéries dans les tissus péri-dentaires. Cet envahissement microbien, également corrélé à une modification de tout le microbiote oral dans le cas d’une maladie parodontale, modifie aussi négativement la virulence de ces pathogènes et les capacités de réponse locale de l’hôte à l’infection. Du point de vue endodontique, la présence d’un traitement antérieur sur la dent affectée constitue le principal facteur défavorable au pronostic positif. Pour ce qui est des traitements, les auteurs mentionnent comme exceptionnelles les situations où un traitement de chirurgie parodontale ou un traitement endodontique a permis à lui seul une résolution complète de ce type de lésion. Dans la majorité des cas, les deux types de traitement doivent être conduits avec succès pour pouvoir espérer une guérison.
Concernant les limites de leur étude, les auteurs concèdent un faible échantillonnage et une période suivie de seulement un an, bien trop courte pour évaluer avec robustesse le succès thérapeutique. Ils insistent fortement sur toutes les incertitudes qui accompagnent les présomptions d’approche thérapeutique efficace dans ce type de pathologie multifactorielle aux mécanismes pathogéniques imbriqués, difficiles à dissocier. Ils concluent en insistant sur l’importance, pour chaque praticien, de connaître les espérances de succès thérapeutique selon les différentes situations cliniques et les moyens thérapeutiques pour les lésions endo-parodontales. Ils estiment alors que des études prospectives mieux construites et menées sur une plus grande période de suivi pourraient produire des informations plus robustes afin de mieux aborder cliniquement ces situations.
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Au travers de l’exemple des lésions endo-parodontales, on comprend toute la difficulté d’établir un pronostic de traitement lorsque l’on a affaire à une pathologie dont les causes sont plurifactorielles, en particulier lorsqu’il est difficile de les identifier toutes, ou tout le moins d’en apprécier le rôle respectif dans le mécanisme étiopathogénique global de la lésion. On retrouve les mêmes difficultés pour les traitements des péri-implantites par exemple. L’objectif annoncé par les auteurs de l’article rapporté est d’apprécier les facteurs de pronostic, et donc les chances de succès des traitements possibles. Même si, par définition, tout traitement dans un milieu biologique singulier ne peut être complètement maîtrisé ni son succès garanti, il est très important, pour le clinicien comme pour son patient, d’avoir une idée, même imprécise, de ce que le traitement peut apporter pour guérir ou améliorer une situation pathologique. En effet, la notion de chance ou d’espoir de succès oriente considérablement les choix et décisions thérapeutiques dans une mise en balance des bénéfices, des risques, mais aussi des coûts de traitement, tant du point de vue financier que tissulaire. Ainsi, une dent faisant l’objet d’une perte d’os évolutive conservée trop longtemps peut donner lieu, in fine, à un site altéré compromettant une solution de remplacement implantaire ou obligeant un recours à des procédures de reconstruction osseuses coûteuses et incertaines. De même, dans le cadre d’une réhabilitation globale, une dent dont la survie est possible mais incertaine ne devrait pas être envisagée comme support stratégique d’une prothèse fixée plurale par exemple, si sa survie est compromise à moyen ou long terme avec un risque de remise en cause de l’ensemble de la réhabilitation. A contrario, une dent moins stratégique qu’un traitement à rendu asymptomatique et qui ne présente pas de risque systémique majeur peut être maintenue sur l’arcade même si les chances de succès thérapeutiques sont faibles dans la mesure où elle y joue un rôle fonctionnel et que son maintien ne compromet pas une solution de remplacement ou l’équilibre fonctionnel du système ultérieurement.
C’est donc un enjeu de déontologie et d’approche thérapeutique raisonnée qui se joue dans la connaissance et la prise en considération des chances de succès des thérapeutiques envisageables. Dans cette démarche éthique, chaque praticien doit être aussi en mesure de communiquer ces données à ses patients pour les conseiller et les accompagner dans le choix de leur traitement sur lequel ils pourront donner un consentement éclairé par ces explications.
D’un point de vue méthodologique, les auteurs de cette étude concèdent deux points particuliers dans leur discussion. Tout d’abord, la période de suivi thérapeutique d’environ un an, effectivement trop faible pour évaluer le succès thérapeutique d’une lésion péri-radiculaire. En effet, il faut parfois plus de deux ans post-traitement pour en obtenir la guérison. De manière plus pratique et plus rationnelle, on estime qu’il faut observer une diminution de la lacune osseuse sur au moins deux radiographies prises dans les mêmes conditions à plusieurs mois d’intervalle pour considérer qu’une guérison est en cours. Le deuxième point remarquable concerne le type d’étude et la collecte des données analysées. Ici, il s’agit d’une étude rétrospective. Cela signifie que les auteurs ont utilisé des données médicales issues de dossiers patients collectées antérieurement au début de cette étude, et que ces données n’ont pas été spécifiquement collectées pour répondre à la question de l’étude. À l’inverse, une étude prospective implique que la nature et les conditions de recueil des données soient déterminées dès le début de l’étude de manière à répondre le plus précisément possible à la question posée.
Dans ce cas, la collecte des données commence après le début de l’étude dans des conditions contrôlées avec une méthodologie uniformisée. Les résultats obtenus ensuite analysés sont alors beaucoup plus fiables que ceux d’une étude rétrospective. Mais les études prospectives sont aussi beaucoup plus difficiles à concevoir tant sur les aspects pratiques, méthodologiques, que réglementaires. Elles sont donc aussi beaucoup plus coûteuses. Les études rétrospectives demeurent un bon moyen, plus simple et plus économique pour servir d’étude pilote préalable à une étude prospective qui, elle, permettra de vérifier une tendance et un intérêt suggéré par une étude rétrospective.
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