Situation
– Depuis plusieurs mois, j’ai constaté la disparition de consommables dans mon cabinet : gobelets, serviette, savons, dentifrices, gants, et de matériels bureautiques : stylos, feuilles…
– Je n’ai aucune preuve pour incriminer l’un de mes salariés, assistantes, réceptionniste, collaborateur, personnel de ménage…
– Que puis-je mettre en place pour rechercher l’auteur des vols ?
– Suis-je autorisé à placer des caméras ?
– Comment mener une enquête sans chahuter l’organisation de mon cabinet et les relations humaines ?
Réflexions Pr Éric MORTIER
Professeur des universités Praticien hospitalier UFR d’odontologie de Lorraine
Chef du service d’odontologie du CHRU de Nancy Président du Collège national des enseignants en odontologie conservatrice
La disparition de matériel professionnel dans les structures de soins est un mal récurent régulièrement dénoncé en pratique de ville comme dans les services hospitaliers.
Quand un membre d’une équipe de soin, qu’il s’agisse d’un soignant senior, d’un étudiant hospitalier, d’une assistante ou d’un personnel d’entretien, commet un vol, sans doute pense-t-il ne commettre qu’un petit larcin dépourvu de conséquence tant il semble être dilué dans la masse des matériels par ailleurs fréquemment pas ou mal inventoriés. Et pourtant, ces larcins sont autant d’injures au bien commun, autant de freins à la marche du groupe, autant d’entraves à la bonne prise en charge des patients au-delà des pertes financières qu’ils constituent.
De quels leviers le responsable de la structure dispose-t-il pour faire face à ces comportements ? Faut-il, qu’en plus de leurs fonctions de soins, certains s’improvisent enquêteurs, faisant subir des interrogatoires pour trouver et présenter le coupable aux juridictions compétentes ? Faut-il instaurer des moyens de surveillance drastiques, par ailleurs susceptibles de faire peser sur une majorité de professionnels honnêtement investis le poids de la suspicion ? Des caméras de surveillance auraient-elles par exemple leur place dans les espaces de soins ? Il apparaît ici un écueil de taille qui est à éviter : la recherche de l’auteur des délits ne doit pas affecter le bien-être du groupe. Pour autant, les faits de disparition de matériel ne doivent pas être masqués et doivent être portés à la connaissance de tous.
Alors n’y a-t-il pas plutôt un effort du groupe à mettre en œuvre afin de responsabiliser chaque individu et persuader que seules une indispensable exigence morale et l’adhésion de chacun à des règles de conduite permettent le bon fonctionnement de l’équipe, tous responsables de chacun et chacun responsable de tous ?
Sans doute faut-il répéter inlassablement à nos entourages professionnels, à nos personnels, à nos étudiants, que la somme des intérêts particuliers est systématiquement inférieure à l’intérêt collectif. Sans doute faut-il répéter quotidiennement la valeur du bien commun et rappeler qu’il ne s’agit pas là d’une notion désuète, tout au contraire. Le matériel d’une structure de soin est un bien commun, nous nous devons d’en avoir le souci permanent.
Sans doute faut-il répéter quotidiennement la valeur du bien commun et rappeler qu’il ne s’agit pas là d’une notion désuète, tout au contraire”
Réflexions Benoît LE DÉVÉDEC
Doctorant à l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris (Université Paris-Panthéon-Assas)
Juriste au Centre ressources pour intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles d’IDF
Membre du Comité d’éthique des Hôpitaux de Saint-Maurice
Lorsqu’une entreprise, quelle qu’elle soit, constate des vols de matériels, elle peut en premier lieu souhaiter y mettre fin.
Des stratégies et des outils de surveillance existent, comme l’usage de caméras. Il faut cependant en contrôler les conditions, l’efficacité, la pertinence, mais aussi la légalité et l’adéquation, ici au sein d’une structure médicale. Parfois, le simple fait de rendre publiques, au sein d’une équipe, l’existence de tels vols et la volonté de les faire cesser, permet d’arriver à ce résultat.
En second lieu, l’entreprise peut souhaiter trouver le ou les auteurs des vols. Là aussi, outre la dimension juridique, il faut s’interroger sur les objectifs poursuivis (simple recadrage, sanction plus importante, licenciement), sur les moyens pour y parvenir, ainsi que sur les conséquences que peuvent engendrer de telles investigations. Si enquêter publiquement peut diviser l’équipe et atteindre sa cohésion, enquêter discrètement, voire secrètement, peut briser le lien de confiance entre l’employeur et ses subordonnés lorsque le pot aux roses est révélé. L’affichage ou le silence ont leurs avantages et leurs inconvénients, y compris au niveau de l’efficacité.
Enfin, se pose la question de judiciariser les faits. En fonction de la gravité des vols, passer par la case police peut devenir indispensable. D’autant que le droit du travail interdit les sanctions pécuniaires. Les dommages et intérêts pour les vols ne peuvent être demandés qu’en justice. Une telle extrémité, si elle peut éviter certaines difficultés liées à une enquête interne, peut en ajouter d’autres liées au climat professionnel et à l’environnement de travail.
En tout état de cause, il est ici important de ne pas inverser les rôles : la victime est celui qui subit les vols, et le responsable de tout cela, celui qui les commet.
Parfois, le simple fait de rendre publiques, au sein d’une équipe, l’existence de tels vols et la volonté de les faire cesser, permet d’arriver à ce résultat.”
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