Situation
« Florence et Alain forment un couple que je connais depuis le collège. Au cours d’un dîner entre amis, Florence me confie souffrir d’un herpès buccal et me fait part de ses inquiétudes. Je lui conseille de consulter son praticien et d’en parler à Alain pour éviter sa contagion, ce qu’elle refuse.
En fin de soirée, Alain et moi bavardons. Je suis tenté de lui faire part de la confidence de Florence. Aussi, je me questionne, car j’ai appris cette information d’une personne que je ne soigne pas, et en dehors du cadre de mon cabinet. Alain est mon ami que je veux protéger. Puis-je lui conseiller d’éviter d’embrasser Florence pendant une dizaine de jours ? Suis-je tenu par le secret médical ? Comment protéger mon ami sans violer la confiance de Florence ? »
Réflexions du Docteur Alain Zerilli
Maître de conférences à la faculté de chirurgie dentaire de Brest. Ancien Doyen
Pour la construction de notre argumentation, il convient tout d’abord de préciser les termes et les concepts contenus dans la situation soumise à notre réflexion.
Sur la notion de confidence ensuite. Le dictionnaire Larousse la définit comme étant « la communication d’un secret ». Peut-on alors imaginer que, dans l’exercice de sa profession, un praticien puisse s’estimer partager un tel secret avec son patient ? Bien évidemment non, il n’y a pas de secret partagé. L’information appartient au malade, et à lui seul. Il en use comme bon lui semble, le praticien en est simplement le dépositaire transitoire qui va utiliser cette information de manière la plus judicieuse possible dans le seul but de l’intérêt suprême de son malade.
Dans le cas d’espèce qui nous occupe, nous ne nous situons pas dans le cadre de l’article R4127-206 précité. Il s’agit d’une réunion privée, et le confrère, ami de longue date des différents protagonistes, n’est pas leur praticien traitant. Toute divulgation d’un secret obtenu dans ce cadre ne tombe pas, stricto sensu, sous le coup des dispositions des articles de loi en la matière.
Cela autorise-t-il pour autant un praticien de l’Art dentaire à s’affranchir de tout discernement ?
Si l’élan naturel est la révélation d’une pathologie à forte contagiosité, élan légitime et louable, la réponse à cette question est moins limpide et immédiate qu’il n’y paraît.
Le deuxième élément de la réflexion tient à la nature de la profession exercée. La chirurgie dentaire, profession de santé par essence, confère à celui qui l’exerce le privilège d’appartenir au « corps des officiers de santé ». Et cette appartenance ne se perd pas lorsque l’on a fermé la porte de son cabinet. Tout comme il est tenu de « s’abstenir de tout acte de nature à déconsidérer la profession », tout comme il lui est interdit d’avoir « des activités ou pratiques incompatibles avec sa dignité professionnelle » (article R4127-203 du Code de la santé publique), le chirurgien-dentiste reste un « officier de santé » en toutes occasions, statut assorti d’obligations tout aussi morales que réglementaires ou légales.
Réflexions du Professeur Alain Haertig
Professeur des Universités – Chirurgien des Hôpitaux de Paris
Expert agréé par la Cour de Cassation et par les Cours d’Appel Administratives
Directeur du DU de Réparation Juridique du Dommage Corporel à l’Université Pierre et Marie Curie
Le respect du secret médical a pour fondement la protection de la vie privée et de l’intimité du patient. Le principe est énoncé par l’article 226-12 du Code pénal, repris à l’intention des médecins et des chirurgiens-dentistes dans le Code de déontologie médicale.
Le secret médical est un secret professionnel qui existe depuis Hippocrate, médecin grec sur l’île de Cos vers 460 avant Jésus-Christ. Le secret couvre les faits confiés par le patient lui-même ou appris de son entourage, y compris la simple confidence, même si le caractère secret n’est pas précisé, les constatations faites au cours des soins à domicile, la nature de la maladie, le traitement.
Dans la situation décrite, il s’agit bien d’une confidence faite par une épouse qui se confie à quelqu’un parce que cette personne est justement un soignant. Ce soignant doit donc se taire, même vis-à-vis du mari de sa confidente, voire de ses éventuelles maîtresses que nous n’avons pas non plus à rechercher !
Le secret s’impose vis-à-vis des tiers : du conjoint (selon la formule classique : « La moitié est un tiers » ; il ne faut donc pas remettre de certificat au conjoint, en particulier en cas de procédure de divorce), de la famille, des amis, des voisins, mais aussi de la presse et des médias lorsque la personne est connue du grand public, et de toute autre personne étrangère à l’équipe médicale qui traite le patient.
Ce secret est absolu, même dans le cas du dépistage du Sida – beaucoup plus grave qu’un bouton d’herpès – et de la communication des résultats d’enquêtes génétiques : seul le malade peut informer son entourage du résultat de ces examens.
Cependant, des exceptions existent :
– en cas de pronostic très grave, les proches ont à être informés, afin d’aider le malade (loi du 4 mars 2002) ; la loi prévoit que le malade peut désigner une « personne de confiance », qui l’assiste lors de ses entretiens avec le médecin. Dans ce cas, le secret ne lui est pas opposable ;
après le décès du malade, certaines des informations concernant sa mort peuvent être communiquées à ses ayants droit.
Ainsi, pour le monde hospitalier, il est recommandé de :
– ne communiquer de renseignements médicaux qu’au médecin traitant, ou au correspondant, et avec l’accord du malade, ne pas donner de renseignements par téléphone sans connaître l’interlocuteur (parents lorsqu’il s’agit d’un enfant par exemple) ;
– se rappeler que le secret médical n’est pas opposable au malade, mais qu’au contraire lui seul est en mesure de renseigner des tiers (y compris de sa propre famille) sur son état de santé ;
– rédiger avec précision les certificats et les remettre en main propre au malade ;
– se rappeler que l’administration hospitalière ne peut avoir accès qu’aux renseignements administratifs concernant le malade, et en aucun cas aux renseignements médicaux.
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