La Cour de cassation vient de censurer deux arrêts émanant respectivement des Cours d’appel de Paris et de Colmar dans des affaires qui portaient sur de la publicité faite par des centres (l’un fonctionnant sous forme d’association de la Loi de 1901 qui avait orchestré une campagne de publicité dans plusieurs médias au moment de l’ouverture de ses sites de Bondy, Aubervilliers et Bobigny, et l’autre, sous la forme mutualiste, qui avait fait paraître un publi-reportage dans le journal Les Dernières nouvelles d’Alsace).
La Cour de cassation indique ainsi très clairement que s’il « incombe à un centre de santé […] de délivrer des informations objectives relatives, notamment, aux prestations de soins dentaires qu’il propose au public, il ne peut, sans exercer de concurrence déloyale, recourir à des procédés publicitaires concernant ces prestations, de nature à favoriser le développement de l’activité des chirurgiens-dentistes qu’il emploie, dès lors que les chirurgiens-dentistes sont soumis en vertu de l’article R.4127-215 [du Code de la santé publique] à l’interdiction de tous procédés directs ou indirects de publicité ».
Dans un second arrêt, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché si la mutuelle en question « n’avait pas eu recours à des procédés publicitaires de nature à favoriser le développement de l’activité des chirurgiens-dentistes employés par elle, constitutifs, comme tels, d’actes de concurrence déloyale au préjudice de praticiens exerçant la même activité hors du centre de santé mutualiste ».
La Cour de cassation rappelle également ce qu’est la publicité génératrice de concurrence déloyale : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle (la Cour d’appel) avait relevé que l’association avait procédé à des actes de promotion de l’activité de ses centres et que ces actes dépassaient le cadre de la simple information objective sur les prestations offertes, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. »
Qu’est-ce que la publicité selon la Cour de cassation ?
La publicité est un acte de promotion qui dépasse le cadre de la simple information objective sur les prestations offertes (ce qui rejoint la définition donnée récemment par le Conseil d’État à propos des procédés publicitaires interdits au chirurgien-dentiste par l’article R4127-215 du Code de la santé publique – arrêt n° 362761 du 21 janvier 2015 – à savoir « une information qui ne se limite pas à un contenu objectif »).
Cette publicité est interdite aux centres de santé non pas parce qu’ils seraient soumis aux règles du Code de déontologie (ils ne le sont pas), mais parce que les chirurgiens-dentistes qui y sont salariés n’ont eux-mêmes pas le droit de faire de la publicité en application de l’article R.4127-215 du Code de la santé publique (selon cet article, « la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce.
Sont notamment interdits :
1° L’exercice de la profession dans un local auquel l’aménagement ou la signalisation donne une apparence commerciale ;
2° Toute installation dans un ensemble immobilier à caractère exclusivement commercial ;
3° Tous procédés directs ou indirects de publicité ;
4° Les manifestations spectaculaires touchant à l’art dentaire et n’ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif »).
Un raisonnement déjà utilisé
Cette jurisprudence n’est pas entièrement nouvelle dans la mesure où la 1re Chambre civile de la Cour de cassation avait déjà utilisé ce raisonnement dans un arrêt du 5 juillet 2006 (référence de pourvoi n° 04 -11564, décision que nous avions analysée dans un précédent article de l’ID n° 16/17 du 23 avril 2013 en estimant qu’elle pouvait servir dans le cas des centres…) condamnant le comportement déloyal d’une clinique qui faisait la promotion des actes médicaux pratiqués par les médecins y exerçant.
Cette clinique qui faisait de la publicité pour les microgreffes et greffes de cheveux réalisées par ses chirurgiens avait été attaquée par le Syndicat national des médecins esthétiques qui avait demandé et obtenu des juges la cessation sous astreinte (c’est-à-dire moyennant des dommages et intérêts pour chaque jour de retard à compter de la décision judiciaire ou de sa signification) de toute publicité.
Le pourvoi formé par la clinique contre l’arrêt de la Cour d’appel qui l’avait condamnée prétendait que l’interdiction de la publicité ne pouvait s’appliquer à la clinique qui n’était pas soumise au Code de déontologie médicale.
Or la Cour de Cassation avait rejeté le pourvoi en indiquant que la Cour d’appel avait constaté que les procédés de publicité auxquels avait eu recours la clinique portaient sur des actes médicaux et bénéficiaient aux médecins exerçant en son sein puisqu’ils permettaient d’attirer la clientèle ; que la Cour d’appel avait ainsi mis en évidence le caractère déloyal du comportement de cette clinique à l’égard de l’ensemble des médecins soumis, en vertu de l’article 19 alinéa 2 du Code de déontologie médicale, à l’interdiction de tous procédés directs ou indirects de publicité.
Il résulte donc de cette jurisprudence à présent fermement établie que les centres de santé doivent se borner à délivrer des informations objectives relatives, notamment, aux prestations de soins dentaires qu’ils proposent au public.
Cette jurisprudence permet aussi de rappeler certaines évidences, à savoir qu’un centre de santé n’est pas une entreprise commerciale, mais un organisme à but non lucratif, c’est-à-dire une institution de médecine sociale au sens de l’article R.4127-210 du Code de la santé publique, dont la tâche essentielle (selon sa définition même donnée par l’article L.6323-1 du Code de la santé publique : « Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours… ») est d’assurer les soins de premier recours dont l’urgence et non pas principalement par exemple l’implantologie ou la dentisterie esthétique.
Il est donc à présent possible pour les Conseils départementaux de l’Ordre de faire corriger une signalétique trop voyante en rappelant que l’article D.6323-5 du Code de la santé publique (selon lequel « les centres de santé mettent en place des conditions d’accueil avec et sans rendez-vous. Les jours et heures d’ouverture, de permanence et de consultation, les tarifs pratiqués, le dispositif d’orientation en cas de fermeture et les principales conditions de fonctionnement utiles au public sont affichés de façon apparente à l’intérieur et à l’extérieur des centres de santé ») autorise une signalétique certes « apparente » (donc visible), mais essentiellement informative et non publicitaire (elle doit seulement être « utile au public »), de sorte qu’une enseigne trop importante ou une pluralité d’enseignes, un dispositif lumineux, un affichage tapageur sur les vitrines avec des logos et des photos sont à proscrire.
Ainsi que de rappeler si nécessaire qu’il n’est pas prévu par les textes qu’à l’occasion de l’ouverture d’un centre, des banderoles soient apposées dans toute la ville ou que des imprimés ou flyers soient distribués ou adressés à la population locale (et a fortiori après plusieurs années d’existence du centre) dans la mesure où il s’agit d’un procédé publicitaire (tout comme adresser des vœux par SMS aux anciens patients du centre…), tous ces procédés excédant les limites de l’information objective.
Cette jurisprudence permet enfin de rappeler que le site Internet d’un centre de santé doit également être seulement informatif et non publicitaire, ni dénigrant à l’égard des chirurgiens-dentistes libéraux ; les formules du style « meilleurs praticiens accessibles » ou « devis gratuits » sont évidemment à proscrire.
Le centre pouvant néanmoins indiquer ses tarifs sur ce site (article L.1111-3-2 du Code de la santé publique : « I.- L’information est délivrée par les professionnels de santé exerçant à titre libéral et par les centres de santé : 1° Par affichage dans les lieux de réception des patients ; 2° Par devis préalable au-delà d’un certain montant. S’agissant des établissements de santé, l’information est délivrée par affichage dans les lieux de réception des patients ainsi que sur les sites Internet de communication »).
En cas de dérapage publicitaire avéré d’un centre de santé, le Conseil départemental pourrait traduire devant la Chambre disciplinaire de première instance les praticiens salariés dudit centre pour violation par ceux-ci de l’article R.4127-215 du Code de la santé publique prohibant toute forme de publicité directe ou indirecte et pour avoir bénéficié d’un procédé publicitaire constitutif d’un acte de concurrence déloyale.
Il est enfin à noter que le ministère de la Santé envisage de mieux encadrer les centres de santé par une ordonnance leur interdisant tout procédé de publicité, ce qui permettrait d’inscrire dans le Code de la santé publique la jurisprudence de la Cour de cassation.
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