cantilever
L’orthodontiste : La géométrie originale des bridges collés cantilever est peu connue. Parlez-nous de votre premier cas de bridge collé cantilever ?
Jean-Piere Attal : J’ai traité un premier cas, il y a un peu plus de 10 ans. Il s’agissait de remplacer une incisive centrale sur un adolescent de 14 ans. La largeur de l’édentement était supérieure à la largeur de l’autre centrale. Réaliser un bridge collé à 2 ailettes n’était pas envisageable pour des raisons esthétiques. À cette période j’ai lu avec intérêt un article de Matthias Kern, Professeur à l’Université de Kiel, qui montrait qu’à 5 ans les bridges collés en céramique à 1 ailette étaient plus durables que les bridges collés à 2 ailettes [1]. Cela allait à l’encontre de tout ce qu’on m’avait appris. Sa publication était convaincante. C’est ce que j’ai fait sur mon jeune patient. Le bridge est toujours en place après 10 ans…
L’orthodontiste : Comment expliquer que coller sur un pilier soit meilleur que coller sur 2 piliers ?
JPA : C’est vrai que c’est contre intuitif a priori. On pourrait imaginer que plus le nombre de piliers sur lesquels on colle est élevé, mieux c’est. C’est l’inverse. In vitro, la résistance en fatigue des bridges collés à 1 seule ailette est supérieure à celle des bridges collés à 2 ailettes [2]. Une méta-analyse vient d’ailleurs de le confirmer [3]. Cela s’explique aisément. Cliniquement, la mobilité physiologique des dents supports transmet des contraintes sur les ailettes et les joints collés des bridges traditionnels à 2 ailettes (ou plus). Ce n’est pas le cas avec les bridges collés à une seule ailette. Aucune contrainte n’est transmise par la mobilité physiologique des dents.
L’orthodontiste : Quelles sont les contraintes de mastication associées aux bridges cantilever ?
JPA : En général ces bridges collés cantilever sont surtout indiqués dans le secteur antérieur, car dans le secteur postérieur la thérapeutique implantaire est plus performante. Dans le secteur antérieur, les forces appliquées sont d’environ 100 à 200 N. En supposant que ces forces s’appliquent sur une surface de 2 mm2, cela correspond à une contrainte de 50 à 100 MPa. Notons que les conséquences de ces forces sont différentes en fonction du lieu où elles sont appliquées.
Sur l’ailette, la force est orientée en compression et là il n’y a aucun problème pour le matériau de l’ailette et le joint collé pour résister à ces contraintes. C’est pour cela qu’on ne déchargera jamais les points occlusaux sur l’ailette.
Sur l’intermédiaire, la force est d’autant plus délétère que le contact est éloigné de l’ailette (moment fléchissant). On éliminera donc les contacts délétères sur l’intermédiaire mais on s’autorisera quelques contacts furtifs proches de la connexion en intercuspidation maximale. Notons que la construction ne s’appuyant que sur une ailette, lorsque le patient sollicite l’intermédiaire, il perçoit, grâce aux propriocepteurs parodontaux de la dent support, une certaine mobilité ; ce qui l’incite à plus de retenue, contribuant ainsi à une meilleure longévité de la construction.
Au niveau de la connexion, le problème est crucial car la fracture de la connexion est une cause d’échec bien référencée. Il est impératif que la section de la connexion respecte des dimensions recommandées.
L’orthodontiste : Préférez-vous l’appui sur l’incisive centrale ou sur la canine ?
JPA : Pour remplacer une incisive latérale, le choix de la dent pilier sur laquelle est collée l’ailette dépend de plusieurs critères :
• la surface de collage : on choisira préférentiellement la dent qui est indemne de restauration. On préfère coller sur une face palatine totalement saine afin de coller sur l’émail sain.
• l’occlusion : on choisira préférentiellement comme pilier la dent qui n’est pas en occlusion afin d’une part de profiter de l’ailette pour retrouver une occlusion fonctionnelle et d’autre part de limiter la mutilation liée à la préparation.
• la croissance : on préférera s’appuyer sur une dent qui a fini son éruption. Et c’est une des raisons pour laquelle nous privilégierons souvent la centrale plutôt que la canine chez l’adolescent.
• le risque de récidive : si on craint une mobilité dentaire, on préférera que le diastème éventuel se trouve entre la latérale et la canine plutôt qu’entre la latérale et la centrale. Ce qui explique aussi pourquoi on collera préférentiellement sur la centrale.
L’orthodontiste : Quelles sont les évolutions à venir des bridges cantilever, notamment en termes de matériaux utilisés ?
JPA : Actuellement la tendance est l’utilisation de la céramique, matériau très biocompatible qui nécessite des préparations bien moins mutilantes que pour le métal. Les matériaux céramiques principalement employés sont : la zircone que j’affectionne particulièrement depuis 10 ans ou les céramiques au disilicate de Lithium (Emax) que mon ami le docteur Gil Tirlet utilise couramment.
La zircone est plus résistante (> 1000 MPa) mais se colle un peu moins bien que l’Emax. L’Emax est moins résistante (400 MPa) mais se colle mieux. Ainsi les échecs sur la zircone seront principalement des décollements (réversible) et sur l’Emax des fractures (irréversible).
La zircone est opaque et l’Emax translucide. Ainsi si les conditions cliniques nécessitent une homogénéité optique avec une prothèse adjacente, l’Emax sera privilégiée.
Enfin, il existe des conditions en fonction des matériaux sur l’épaisseur de l’ailette et sur la connexion.
Épaisseur de l’ailette : 0,5 mm minimum pour la zircone, 0,8-1 mm pour les céramiques au disilicate de Lithium.
Connexion : 6 mm2 pour la zircone, 12 mm2 pour les céramiques au disilicate de lithium. Notons que compte tenu de la position du parodonte, il n’est pas toujours aisé chez le jeune adolescent de trouver cette section minimale.
On peut aussi imaginer réaliser des bridges collés cantilever en composite fibré, ce qui permettrait d’en diminuer le coût financier notamment chez l’adolescent mais nous n’en avons pas d’expérience, même si une étude récente en éléments finis semble leur attribuer une excellente répartition des contraintes [4].
L’orthodontiste : Le métal est-il contre- indiqué ?
JPA : Non, le recul sur les bridges collés à plusieurs ailettes métalliques est tel qu’il est impossible de les exclure. Une réflexion récente [5] par des auteurs reconnus propose de réserver ce type de bridge lorsque la structure amélaire est compromise, que l’espace inter-arcade est insuffisant ou qu’une contention (post-orthodontique ou parodontale) est indispensable. Pour les bridges collés cantilever à une seule ailette, la céramique reste toutefois le biomatériau idéal.
L’orthodontiste : Quelles précautions demandez-vous au patient après collage ?
JPA : Deux types de recommandations sont faites, l’une sur le plan mécanique et l’autre sur le plan biologique.
Sur le plan mécanique, si la dent support n’est pas mobile, ce qui est le cas en général chez le jeune adolescent, le bridge collé va sembler très rigide au patient. Et ce, d’autant plus qu’un contact sur la dent bordant l’édentement (sans l’ailette) est obtenu et que nous avons déchargé l’intermédiaire correctement au niveau des mouvements dynamiques. Dans ce cas, pas de recommandation précise, si ce n’est d’y aller progressivement les premiers jours ; aucune interdiction. Les échecs mécaniques les plus fréquents, surtout chez les jeunes sont liés aux chocs violents. C’est pourquoi nous élaborerons sur les patients à risque une gouttière de protection pour sportifs. Si la dent support est mobile, chez l’adulte ou le senior, le patient limitera naturellement les contraintes en raison de la proprioception que ces bridges à 1 ailette autorisent.
Sur le plan biologique, on insiste sur le nettoyage du bridge sous l’intermédiaire grâce à l’utilisation quotidienne d’un fil nettoyant. C’est possible en passant le fil du côté du point de contact de la dent adjacente à l’édentement (qui n’est pas la dent support). Notons que cette procédure d’hygiène n’était pas possible avec les bridges collés à 2 ailettes.
L’orthodontiste : Peut-on envisager, à terme, l’abandon des implants ?
JPA : Non bien entendu. L’implantologie est une des grandes révolutions de notre métier. Pour autant, les difficultés de l’implantologie dans le secteur antérieur sont bien documentées [6]. Dans le cas des agénésies des incisives latérales, le bridge collé est pour moi la solution de première intention, opinion partagée par d’autres auteurs [7]. Dans une étude récente comparant le rapport coût-efficacité des thérapeutiques dans le cas des agénésies d’incisives latérales, les auteurs ont mis en évidence la supériorité du bridge collé cantilever sur l’implant [8]. D’une manière générale, et pour faire simple, je dirai que dans le secteur unitaire antérieur le bridge collé peut être envisagé en première approche. Dans le secteur postérieur, la thérapeutique implantaire semble être nettement supérieure.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt
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