le prix à payer d’un fiasco à tous les étages

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Information dentaire

Fin septembre 2014, aéroport de Bujumbura, Burundi (Afrique de l’Est) : accueil à la descente d’avion par un pistolet… thermique appliqué sur la tempe. La voix électronique annonçant « la température corporelle est de 37,4 °C » permet de franchir le barrage (qu’arriverait-il si d’aventure la voix s’affolait en annonçant une température de 39 °C ? Mystère, car rien autour n’annonce une suite adaptée…). Comment en est-on arrivé là ? Pour la deuxième fois de toute son existence (la première remonte à la crise rwandaise), MSF, par la voix de sa présidente « internationale », annonce être débordé et réclame l’aide des États industrialisés (et même, sous-entendu, de leurs armées, seules capables d’apporter une réponse opérationnelle à la hauteur des enjeux). Les chiffres officiels de plus de 22 500 victimes et de près de 9 000 morts ne correspondent pas à la réalité, car ne reflètent que les cas officiellement identifiés. Les gens de terrain parlent de possiblement trois fois plus de cas et de décès réels. Les deux pays secondairement concernés après la Guinée Conakry, le Liberia et la Sierra Leone, ont été les plus touchés avec une courbe épidémique quasiment verticale dans le dernier trimestre 2014. Même si les choses semblent aller globalement un peu mieux actuellement, il est encore illusoire de prévoir le contrôle et a fortiori la fin de l’épidémie. D’autant que la situation est fluctuante géographiquement : tel district semble « s’éteindre » quand un autre s’enflamme. Les choses évoluent aussi dans la perception par la population des centres de prise en charge. Alors que beaucoup de patients refusaient de se présenter dans les centres de dépistage ou de se signaler – et encore plus les contacts – par manque de confiance dans un système de santé oublié et donc déliquescent, par crainte d’être abandonné sans eau ni nourriture, séparés de leur famille (ce qui est culturellement difficilement imaginable) et, pire, enterrés sans les rites traditionnels (qui seraient responsables en Guinée de 60 % des transmissions [1]), l’amélioration des protocoles de prise en charge, en diminuant la mortalité et en permettant d’utiliser les patients guéris comme « ambassadeurs », a permis de redonner confiance dans ces structures. Si la mortalité par Ebola est importante (de l’ordre de 50 % ; 70 % selon certaines estimations [2]), la mortalité « générale » a aussi explosé faute de structures de soin fonctionnelles pour les pathologies courantes. En effet, si, paradoxalement, les structures de niveau 1 (dispensaires) ont résisté à peu près, les hôpitaux de district et de référence ont été en plein collapsus, beaucoup carrément fermés (comme l’hôpital pédiatrique de Freetown) faute de personnel soignant, certains victimes du virus (les soignants y sont surreprésentés) et d’autres ayant déserté par panique devant la trop fréquente absence de moyens de protection minimum (pas de gants ni de bavettes ou ruptures de stock itératives, et parfois même ni eau ni savon…) et de matériel de soins. Et qui « du Nord » pourrait blâmer les « déserteurs », alors que l’on a vu des personnels navigants, pourtant hyperprotégés et informés, et pas réellement exposés, faire valoir leur droit de retrait, bloquant des avions et fermant des lignes, contribuant au marasme général en gênant l’afflux de matériel et de soignants internationaux et générant une profonde anxiété chez les expatriés, pas tant vis-à-vis du risque épidémique qu’ils ont vite compris maîtrisable pour eux, mais du risque de rester bloqués si la désorganisation générale rendait nécessaire une exfiltration ? En effet, la vie au quotidien est profondément perturbée bien au-delà des services de santé : administrations et écoles fermées ou fonctionnant a minima, commerce et vie économique paralysés (la Banque mondiale chiffre à près de 33 milliards de dollars la perte économique sur les trois pays, ce qui est énorme pour des zones si fragiles).
Pourquoi cette (première) épidémie ouest-africaine a-t-elle pris de court tout le monde et enflammé trois pays ? Chacun (y compris le modeste auteur de ce texte) prédisait en avril 2014, après son début officiel en mars, que, tout comme la vingtaine d’épidémies connues depuis 1976 n’ayant jamais dépassé les 500 cas, les choses allaient se calmer rapidement. De fait, en mai, l’incidence baissait avant de repartir en flèche. Rétrospectivement, et au-delà d’un hypothétique et pas forcément évident facteur de virulence particulier, le contexte sociogéographique n’est pas le même. Si les épidémies précédentes ont éclaté dans des foyers isolés de pays forestiers d’Afrique Centrale peu densément peuplés et avec des voies de communication limitées, dans le cas présent, à l’inverse, l’épidémie a démarré certes aux confins sud-est de la Guinée, frontaliers du Liberia, mais en milieu urbain (Guéckédou, Macenta), densément peuplé, chez une population très mobile pouvant se déplacer relativement aisément, y compris en transfrontalier et avec des rites funéraires très à risque. L’impossibilité de contrôler les déplacements de population a entraîné la dissémination des foyers. Par ailleurs, le « triage » des patients n’est pas simple : d’une part les symptômes sont non spécifiques, les manifestations hémorragiques étant finalement relativement rares (moins d’un quart des cas), modérées et tardives [2], et, d’autre part, l’effet « masse » du milieu urbain pose des problèmes logistiques énormes : à Monrovia, c’est de l’ordre de 4 000 personnes fébriles par jour qu’il faut examiner et « trier ». Si les capacités diagnostiques (par PCR) sont suffisantes, elles ont été longtemps trop centralisées et la logistique ne suivait pas : combien de prélèvements (ou de résultats) se sont égarés en route, ne sont jamais parvenus au laboratoire ou n’étaient plus identifiables ?
La prise de conscience tardive que l’épidémie n’évoluait pas « comme d’habitude » explique en partie le grand retard à la perception de l’ampleur de la catastrophe qui s’annonçait. Ajoutons à cela l’éloignement de la capitale des foyers initiaux, les inerties habituelles à tous les niveaux (par exemple, l’OMS n’a été informée de l’épidémie que le 23 mars 2014, alors que les premiers cas sont apparus fin 2013), les « pudeurs » politiques (on murmure que le gouvernement guinéen n’aurait même pas répondu à une proposition officielle d’aide de l’armée canadienne), la fausse certitude que l’épidémie allait bien finir par « rentrer dans le rang ». Le résultat a été une mobilisation internationale bien trop tardive et insuffisante au début, la France n’ayant hélas pas plus brillé que les autres pour sa réactivité. Eu égard aux connaissances sur la transmission et au contexte sociogéographique d’émergence inhabituel évoqué plus haut, pourquoi les modélisations (dont on fait grand cas) n’ont-elles pas prévu ce qui est advenu ?
Au stade actuel, début 2015, où en est-on ? Tout d’abord, et ce n’est pas rien, le pire, c’est-à-dire la diffusion large du virus dans les pays limitrophes (notamment Côte d’Ivoire, étonnamment préservée, et Mali) a, pour le moment, été évitée. Les cas nigérians, puis maliens et le cas sénégalais n’ont pas fait souche, ce qui semble prouver qu’une réaction adaptée précoce est suffisante. Il est cependant vraisemblable que le virus va s’endémiciser dans la région. La préparation des systèmes de santé des pays Ouest-Africains à une possible émergence épidémique est fondamentale. Le nécessaire est-il fait ? Ne serait-ce pas ici le champ d’action, certes peut-être moins valorisant que l’intervention directe, dans lequel les autorités de santé de notre pays, notamment la direction des hôpitaux, auraient dû s’investir en utilisant largement les réseaux francophones préexistant (par exemple le GIP ESTHER) en lieu et place du silence assourdissant auquel on a assisté (silence juste rompu par des directives nationales jusqu’auboutistes eu égard à une transmission pas si facile que ça, émanant de multiples sources et, surtout, faisant prendre des risques vitaux – par restriction de soins – aux patients fébriles revenant des pays cibles ayant mille fois plus de risque de paludisme que de fièvre Ebola) ? Par ailleurs, dans les trois pays concernés, le message de MSF a été partiellement entendu : des interventions (que l’on aurait souhaitées plus massives) avec décentralisation des moyens diagnostiques et de soins d’urgence ont été déployées par le « Yalta » entre la France, les États-Unis et le Royaume Uni pour respectivement la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Des résultats sont visibles, mais bien fragiles : si l’incidence semblait reculer mi-janvier, elle est repartie à la hausse début février, montrant bien que la partie est loin d’être gagnée (notamment au Sierra Leone où la situation reste inquiétante). N’aurait-on pas pu faire plus ? N’est-on pas encore une fois de plus dans une sous-estimation grossière des réels besoins, alors qu’en octobre, l’OMS a déclaré cette épidémie « urgence de santé publique de portée mondiale » ? Les populations, même habitées par une terreur bien compréhensible générant toutes les rumeurs imaginables, ne sont pas folles : dès lors que des soins de base plus facilement accessibles font chuter la mortalité, la confiance revient et les « fiévreux », et leurs contacts, ne s’enfuient plus. Si les Ac monoclonaux du « ZMapp » (anecdotiquement utilisés et sans preuve d’efficacité), ou les sérums de convalescents (si c’est efficace, ce qu’il faut évidemment urgemment évaluer, qui va les produire aux normes de sécurité en quantité suffisante ?) ou surtout les inhibiteurs d’ARN polymérase comme le favipiravir (résultats préliminaires encourageants) ont une possible certaine efficacité, une bonne partie de la mortalité est « bêtement » imputable à la déshydratation et au choc hypovolémique (importance des diarrhées) ou septique. Pourquoi les protocoles initiaux limitaient-ils les abords veineux ou les volumes à perfuser ? Combien de patients isolés dans des centres de soin sont-ils morts faute de soins de base adaptés ? [3]
Pour plus tard, le vaccin dont on annonce les premiers essais et à (beaucoup !) plus long terme, rêvons un peu, l’infléchissement de la pauvreté (car c’est bien elle – ou plutôt ceux, localement et « internationalement » qui l’entretiennent – qui est responsable de ce désastre) éviteront peut-être une nouvelle épidémie de cette ampleur.
Pour le mot de la fin, on serait tenté de rappeler les propos prémonitoires de Charles Nicolle il y a 80 ans sur l’inévitable apparition de nouvelles maladies infectieuses en ajoutant qu’elles nous surprendront toujours et qu’elles sont, hélas, de parfaits révélateurs des dysfonctionnements de nos sociétés.

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