Un temps important du congrès a été consacré au cancer oral, notamment à la diffusion de connaissances actuelles sur la biologie du cancer en termes de physiopathologie, d’épidémiologie et de diagnostic.
Le Professeur Ian C. Mackensie (Royaume-Uni) a exposé le rôle clé des cellules souches épithéliales, épithélio-mésenchymateuses et amoeboides dans la récidive des cancers et la nécessité de cibler ces trois types cellulaires si l’on veut éradiquer cette maladie mortelle.
Des nouvelles données épidémiologiques extraites de l’étude INHANCE ont montré que le tabac et l’alcool étaient toujours les facteurs de risque principaux des cancers de la cavité buccale, mais que d’autres facteurs émergeaient comme les infections à HPV pour les tumeurs de l’oropharynx. Une discussion a porté sur le diabète qui pourrait être un facteur de risque mineur de développer un cancer de la cavité buccale du fait d’études anciennes. Cependant, de nouvelles études sont nécessaires car la metformine, qui est un traitement fréquemment prescrit dans le diabète de type II, pourrait avoir un rôle protecteur, comme l’a souligné le Professeur Saman Warnakulasuriya.
L’ensemble des participants a reconnu la nécessité de mieux connaître les cancers sur le plan moléculaire pour définir des sous-types permettant de mieux définir les traitements et d’établir un pronostic. En ce sens, le Docteur Monica Pentenero (Italie) a présenté les nombreuses études de profils génomiques des principaux cancers oraux, mais de nombreux travaux restent à réaliser tant les résultats obtenus sont hétérogènes et ne font pas l’objet de consensus clairs. Concernant le traitement des lésions à potentiel malin et leur diagnostic, le Professeur Isaac Van der Waal a insisté sur les ambiguïtés diagnostiques des leucoplasies qui peuvent être confondues avec d’autres lésions blanches kératinisées. Quoi qu’il en soit, un consensus s’est dégagé autour du Professeur Warnakulasuriya pour dire que même s’il n’y a pas de preuve de l’efficacité de l’éradication des leucoplasies, tout doit être mis en œuvre pour les éradiquer et éviter leur évolution vers un cancer.
Les principales méthodes proposées sont l’exérèse à la lame, au laser, ou la photothérapie dynamique qui a fait l’objet de deux conférences. Cette dernière méthode est cependant fastidieuse et difficile à mettre en œuvre en dehors de quelques centres hyperspécialisés.
Enfin, dans le but de progresser dans la connaissance du cancer oral et sa prise en charge, un « Global Oral Cancer Forum » a été lancé à l’initiative des Professeurs Saman Warnakulasuriya et Ross Kerr (États-Unis). Le prochain se tiendra à Göteborg avant le 14e congrès de l’EAOM.
Un autre point fort du congrès a porté sur les maladies systémiques et la iatrogénicité orale des médicaments. Une conférence du Professeur Martin Thornhill sur l’endocardite infectieuse a rappelé l’absence d’antibioprophylaxie avant un geste dentaire en Angleterre, quel que soit le niveau de risque.
Cette pratique imposée par les autorités compétentes (NICE) date de 2006. Depuis, on observe dans le pays une recrudescence des endorcadites (environ 419 cas supplémentaires/an dont 66 décès). Si l’on met ces chiffres en balance avec les effets indésirables de l’antibioprophylaxie : 22 événements indésirables et 0 décès pour l’amoxycilline prescrite à 3 g et 150 événements indésirables et 12,6 décès/an avec la clindamycine, il est difficilement compréhensible que ces protocoles sans antibioprophylaxie soient maintenus. L’explication serait qu’il n’y a pas de preuves basées sur des études randomisées en double aveugle contre placébo pour prouver l’efficacité de l’antibioprophylaxie. Cependant, devant la pression des chiffres de la « vraie vie », en juillet 2016, les autorités compétentes ont laissé la possibilité aux chirurgiens-dentistes anglais de prescrire des antibiotiques en précisant que, dans la plupart des cas, cela n’était pas nécessaire.
Il faut noter que le niveau de bactériémie secondaire à une avulsion dentaire est plus bas avec une bonne hygiène qu’avec une antibioprophylaxie, ce qui souligne l’intérêt de l’hygiène bucco-dentaire chez les patients à haut risque d’endocardite.
Concernant la iatrogénicité des médicaments, des conférences ont porté sur la xérostomie d’origine médicamenteuse et les ostéochimionécroses. Les points majeurs étaient que 25 % des ostéochimionécroses se font sans exposition osseuse. Elles doivent être diagnostiquées sur la clinique (douleur et sonde que l’on peut insérer dans un pertuis muqueux le plus souvent) et l’imagerie 3D. Concernant le traitement, un consensus large s’est dégagé sur le traitement médical pour privilégier la qualité de vie des patients dont le pronostic vital est souvent mauvais du fait d’un cancer métastatique.
Enfin, après une séance sur les dermatoses bulleuses auto-immunes, le congrès s’est achevé sur la classique conférence clinico-pathologique qui est la signature de l’EAOM, et qui voit se succéder deux orateurs. Le premier donne des informations cliniques au second qui vient exposer son raisonnement diagnostic. Dans un deuxième temps, celui qui a fourni le cas apporte la solution. Ce jeu particulièrement stimulant permet de décortiquer le raisonnement clinique et paraclinique et de présenter des cas originaux.
Je voudrais conclure ce reportage en invitant les nombreux lecteurs à participer au congrès de l’EAOM afin de tisser des liens, de partager plus largement les expériences, et de fabriquer un réseau à l’échelle européenne à l’image d’un site internet de formation au sevrage tabagique destiné aux chirurgiens-dentistes que nous élaborons avec des collègues, anglais, italiens et portugais, sous l’égide d’ERASMUS.
EAOM et médecine orale
Cette jeune société a pour objet la diffusion de la connaissance en médecine orale, discipline dont l’objectif est le diagnostic et le traitement des maladies orales et maxillo-faciales, mais aussi le lien entre la médecine et l’odontologie.
Son congrès biennal est l’occasion de promouvoir l’éducation et la recherche en médecine orale au niveau. La pratique de la médecine orale est disparate en Europe et dans le monde. Elle est uniquement médicale, pratiquée par des spécialistes en médecine orale ou par des anatomopathologistes au Royaume Uni, ou médico-chirurgicale en Italie, Espagne et France où elle est pratiquée par des chirurgiens oraux et des stomatologistes.
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