L’Orthodontie en France et en Europe

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  • Publié le . Paru dans L'Orthodontiste n°1 - 15 février 2016
Information dentaire
Pierre Moulin est orthodontiste, ancien interne, ancien vice-président du SNIO (Syndicat National des Internes en Odontologie) (1). Il a été ambassadeur français de l’EPSOS (European Postgraduate Students Orthodontic Society) (2).
Il a étudié la formation des orthodontistes en particulier dans le cadre de son mémoire de DES. Nous l’avons interrogé.

Quelle est la proportion d’orthodontistes par rapport à la population générale en Europe ? Comment la France est-elle située en termes de ratio ?
Une enquête majeure de l’EFOSA (3) de 2005 sur la démographie orthodontique européenne (indisponible sur internet) rapporte un ratio de 1 : 26885 en Allemagne, 1:30949 en France, 1:47777 en Espagne, 1:50360 au Royaume-Uni et 1:72000 en Italie.
Les associations nationales de spécialistes en orthodontie de 10 pays déploraient un manque de spécialistes. En France cependant, les 1971 orthodontistes qualifiés étaient en nombre suffisant en 2005. L’autorisation ou non de la délégation des tâches et la répartition géographique hétérogène rendent néanmoins la comparaison difficile par rapport aux autres pays européens. À l’heure actuelle, le calcul de la prévision de la démographie orthodontique française n’est pas aussi précis que celui de l’odontologie généraliste (4). En effet, le nombre total de postes de DES d’ODF offerts au concours national de l’internat est le résultat des demandes de postes des facultés. En moyenne, 57 internes qualifiés en orthodontie sont diplômés par an et ce nombre, évidemment trop faible, découle en partie de la difficulté de recrutement des titulaires universitaires. Il est à souhaiter que cette prévision anticipe davantage les départs à la retraite et réponde plus efficacement aux besoins de santé publique.

Est-ce qu’en Europe, les chirurgiens-dentistes non qualifiés ont le droit d’exercer l’ODF ?
Les praticiens généralistes ont le droit d’exercer l’orthodontie dans la majorité des pays de l’UE. Ils effectuent en effet, une part très importante (près de 30 %) des traitements orthodontiques. Néanmoins, les orthodontistes qualifiés de quelques pays comme la Norvège par exemple réalisent la totalité des traitements orthodontiques. Ces résultats proviennent de l’enquête citée précédemment. Il n’existe malheureusement pas de chiffres plus récents et une mise au point est à envisager.

Comment est organisée la formation dans les autres pays européens ?
La majorité des pays de l’UE proposent une formation qualifiante étalée sur 3 à 4 ans à temps plein et les études se déroulent en général à l’université (5). Les programmes manquent cependant d’harmonisation tandis que la validation des diplômes est relativement homogène à savoir la présentation de cas cliniques, la soutenance d’un mémoire et un examen écrit. L’accès à la formation qualifiante est un exemple en France puisque le concours est national, objectif et anonyme.

Peut-on envisager à terme une standardisation de la formation des orthodontistes à travers l’Europe ?
Actuellement, la directive européenne 2005/36/CE reconnaît la spécialité d’Orthopédie Dento-Faciale mais ne régule pas sa formation. Le contrôle de celle-ci est laissé aux institutions nationales. Cet état de fait engendre une hétérogénéité certaine parmi les différents programmes européens.

En découle une réelle difficulté à obtenir une harmonisation de la formation et du diplôme de la spécialité à l’échelle européenne. Néanmoins, un réseau ERASMUS, intitulé NEBEOP (6), a publié des standards pouvant servir de référence pour l’élaboration des programmes pédagogiques qualifiants en orthodontie. Ses objectifs sont de renforcer le niveau de la formation, d’encourager les échanges entre les différentes structures pédagogiques et de servir de plate-forme de partage des connaissances. Cette révision ne doit cependant être considérée comme une règle mais plutôt comme une ligne directrice puisque le NEBEOP n’a pas rang d’autorité. Ainsi, la volonté d’harmoniser les formations existe mais de nombreux progrès restent à réaliser.

Doit-on craindre dans les années à venir une arrivée massive de dentistes formés à l’étranger ?
L’Europe permet la mobilité de ses ressortissants et l’harmonisation des diplômes autorise une reconnaissance entre les pays membres. Les praticiens (spécialistes et non spécialistes) formés à l’étranger représentaient 27,9 % des primo-inscrits au Conseil National de l’Ordre en 2013 et 34,7 % en 2014 (7). Ces mouvements en nette augmentation peuvent être expliqués par la disparité des conditions d’entrée des facultés d’odontologie et par la conjoncture socioprofessionnelle. Les spécialités odontologiques pourraient connaître les mêmes flux asymétriques pour des raisons semblables.

Que pensez-vous de l’internat par rapport au CECSMO ? Quels sont les points positifs ? Que peut-on améliorer
 ?
L’internat qualifiant (DES d’ODF) a été introduit en 2011 et remplace la formation du CECSMO. Il répond aux principaux standards pédagogiques en orthodontie (WFO (8), ADA (9), NEBEOP (6) et SACs (10,11)) qui préconisent une formation de 3 ans à temps plein. Cette mutation se traduit par une formation plus dense, portant l’accent sur l’activité hospitalière et permet à l’étudiant, de par son statut d’interne, de consacrer la totalité de son temps à sa formation. Le cadre universitaire réglementé assure une formation basée sur les données actuelles de la science et celui hospitalier oriente la spécialité vers une voie davantage médicale. Le DES d’ODF permet alors d’obtenir une réelle qualification cohérente de spécialiste. Certains pays occidentaux se voient d’ores et déjà confrontés à une pénurie d’enseignants (12,13) et la France risque fort d’affronter rapidement cette situation de carence. Une mutualisation des moyens par l’enseignement à distance (e-learning) pourrait alors apporter une réponse à la pénurie des titulaires universitaires (14, 15, 16) et contribuerait également à renforcer l’uniformisation de la formation dispensée au niveau national.

Que pensez-vous des DU et formations privées qui font leur apparition ? Et des commissions de qualification ?
Les formations non qualifiantes (Diplômes Universitaires et formations privées) dispensent très peu de formation théorique ou pratique par rapport aux standards internationaux. La plupart d’entre elles ne proposent pas de formation clinique encadrée. Nous sommes de même en droit de nous demander si le contenu pédagogique et son application sont conformes aux données acquises de la science puisqu’elles ne sont soumises à aucune réglementation ni contrôle par des autorités pédagogiques reconnues. 150 étudiants environ (données approximatives) sortiraient chaque année de ces formations non qualifiantes soit les trois quarts des futurs praticiens exerçant en orthodontie. Ce pourcentage très élevé d’étudiants sortants non qualifiés soulève alors des questions de santé publique et de visibilité de la spécialité. Ces formations hétérogènes rendent alors indispensable le fait que le patient puisse identifier sans ambiguïté la qualification du praticien avec qui il contracte le contrat de soins. Rappelons que ceci fait pleinement partie du consentement éclairé.

Les praticiens en exercice ont toujours la possibilité de se former en orthodontie tout au long de leur carrière. Dans l’intérêt du patient, ceux-ci doivent être encouragés à s’orienter vers l’internat (l’internat européen ayant été créé à cette fin). Il est alors nécessaire et urgent de réouvrir le numerus clausus de cet internat européen sans quoi, les chirurgiens-dentistes souhaitant profiter d’une formation qualifiante équivalente aux formations internationales n’auront, en France, pas d’autres choix que de se tourner vers les formations non qualifiantes.

Le rôle des commissions de qualification est d’examiner les formations et les compétences des praticiens n’ayant pas poursuivi la formation qualifiante principale (CECSMO ou DES d’ODF). Ensuite, seul le Conseil National de l’Ordre est autorisé à délivrer la qualification. 57 praticiens l’ont obtenue sur les 187 dossiers déposés entre 2012 et 2014 (17, 18). Nous reprochons cependant le fonctionnement relativement opaque de ces commissions. En effet, aucun texte officiel ne mentionne précisément les prérequis nécessaires et les praticiens qualifiés ne sont pas mentionnés dans le Journal Officiel.

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