L’esprit et les sens dans l’art du temps

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 110-113)
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Le parfum encensé en Chine

Depuis des millénaires l’Empire du Milieu met le parfum au cœur de tout. Réputé purifiant, thérapeutique et lénifiant, il intervient d’abord en intercesseur dans les cérémonies religieuses où, per fumum, on invite les divinités sur Terre en consumant diverses substances – ce qui vaut mieux que de les consommer. Les puissants effluves de ces fumées sont aussi réputés éloigner le mal et les maux. Les matières odorantes sont rares et chères, mais rien n’est trop beau pour cet usage sacré.
 
On fait feu de tout bois pour les obtenir, surtout de ceux qui produisent une résine (cade, myrrhe, camphre, santal, benjoin, oliban, liquidambar…) réduite en poudre sous le nom générique d’encens. Avec le développement des échanges commerciaux sous les Han (206 av. J.-C., 220 apr.), des routes de l’encens s’ouvrent en tous sens, tandis que la lente pénétration du bouddhisme imprègne la Chine des offrandes parfumées de l’Inde. L’éventail très large des senteurs ainsi recueillies va lui permettre de développer un art unique, dont le récit – à la fois histoire de l’odorat, des sensibilités et des mentalités – est conté en beauté au Musée Cernuschi, enrichi de recréations olfactives cosignées par le CNRS et Dior.
 

La grande geste des gestes nobles

Comme le thé, cette culture de l’encens génère au long des siècles des pratiques et des objets sans cesse plus raffinés. Sa transposition des rites religieux vers les rituels domestiques est opérée par l’élite lettrée, sous les Song et les Yuan (Xe-XIVe siècle), puis sous les Ming (XIVe-XVIIe siècle), sans que se dissipe le caractère sacré et prestigieux de son premier usage. Socialement, il est éminemment valorisant d’offrir de l’encens ou de se faire représenter en train de l’offrir. Culturellement, pour cette classe qui unit pouvoir et savoir, la maîtrise des secrets du parfum est un devoir. Le lettré en compose, écrit des recettes, lui consacre des traités, l’introduit dans la poésie et les romans. Aux côtés des quatre objets traditionnels du calligraphe – l’encre, la pierre à encre, le papier, le pinceau – on voit désormais dans les estampes le brûle-parfum, la boîte à encens, les baguettes et leur vase, immuablement posés sur la tablette carrée, dite japonaise. Le brûle-parfum est au centre, conformément à l’antique tradition.
 
Conique ou bombé, il prend tantôt la forme d’une montagne flanquée de volutes mi-végétales mi-vaporeuses, tantôt celle d’un animal. Ciselé et ajouré avec art, il inspire d’innombrables variations créatives, allant de la sobriété la plus pure à l’ornementation la plus riche, et déclinées dans tous les matériaux : céramique (l’été), bronze (en hiver), mais aussi jade, porcelaine, grès à couverte de céladon, argent, étain, cuivre, ou encore laque sculptée, bambou, bois d’aigle… Tel lettré préférera associer des formes simples à la pratique de la lecture et de la méditation, tel négociant ira vers le faste ostentatoire. Mais le brûle-parfum tripode sera toujours le creuset d’une sagesse chinoise reposant par ailleurs sur le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. Les soins religieux du cérémonial, aussi complexe que celui du thé, fusionnent des préoccupations d’ordre spirituel mais aussi esthétique et sanitaire.
 

Respirer la santé

Au fil du temps – un temps précisément mesuré par la combustion des baguettes, notamment en mer –, l’usage de l’encens et des parfums floraux se diffuse dans toutes les classes de la population chinoise, combinant différentes fonctions. Ils servent toujours à l’élévation de l’âme, mais aussi à la salubrité publique et à la séduction des corps. On se soigne en effet, extérieurement et intérieurement, grâce au parfum : brûle-parfums portatifs sous les vêtements, petits tubes de bambous encageant les senteurs, sachets autour du cou ou de la ceinture sont censés « éclaircir l’esprit », « réjouir le cœur », favoriser la circulation du sang et des souffles. Sans doute leur efficacité est-elle davantage liée aux principes médicamenteux qu’ils renferment, mais répandre une odeur agréable est signe de bon état physique et moral.
 
Dans la société Ming, le parfum discret marque l’élégance, l’éducation raffinée, l’érudition. Il est intimement associé aux autres arts et l’on peut dire d’une peinture admirée qu’elle diffuse un « parfum de littérature ». Devant ces secrètes alliances et les courts poèmes qui les accompagnent, on ne peut s’empêcher de songer aux synesthésies de Baudelaire, qui les a retrouvées dans ses Correspondances : « Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, / Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, / Ayant l’expansion des choses infinies / Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, / Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. »

Parfums de Chine : La culture de l’encens au temps des empereurs
Musée Cernuschi
Jusqu’au 26 août 2018

Le frais parfum de l’enfance :
Mary Cassatt
Elle est certes indissociable de l’impressionnisme et de sa diffusion outre-Atlantique, mais c’est toujours avec bonheur que l’on redécouvre la grande Américaine
dans sa vraie singularité et son indépendance. Dédaignant pour sa part les auspices du mariage, elle se montre portraitiste très délicate de la famille, faisant de « la mère à l’enfant » et de la quiétude domestique son thème privilégié. Rien de mièvre ni de soumis pour autant. Pionnière autour des années 1890, c’est par engagement féministe qu’elle s’attache à peindre des femmes qui, débarrassées du corset et d’autres jougs, s’épanouissent dans la préparation active d’un futur plus libre, plus sain, plus joyeux.
 
Ses « madones modernes » ne se contentent pas, comme chez son amie Berthe Morisot, de veiller avec une tendre sollicitude sur le berceau. Très naturelles, elles prennent la vie à bras-le-corps pour offrir, aux enfants rêveurs qui s’y abandonnent, la force tutrice d’un amour confiant. Novatrice, Cassatt l’est aussi en gravure, à travers sa maîtrise hors pair de la pointe sèche, de l’eau-forte, de l’aquatinte et du vernis mou, et sa synthèse personnelle de la grande exposition d’estampes japonaises de 1890 qui influencera les Nabis et Lautrec. Quarante ans de piquants rapports duels avec Degas illustrent en marge l’esprit d’audace d’une femme d’expression – autant que d’impressions.

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