Julien Philippe

  • Publié le . Paru dans L'Orthodontiste n°4 - 15 septembre 2017
Information dentaire
Julien Philippe nous a quittés le 13 juillet 2017 à l’âge de 92 ans. Si je compte bien, il y a donc près de 50 ans que je l’ai rencontré. C’était un mercredi de septembre 1967.

Ancien professeur à la Faculté de Chirurgie dentaire de l’Université Paris VII

Je me suis présentée à la porte de la consultation qu’il dirigeait à l’Ecole Odontologique de Paris, 5 rue Garancière, sous la haute autorité du Pr Henriette Müller. J’étais étudiante en 5e année, je ne savais rien de l’orthodontie ni de mon avenir. On pratiquait dans ce service une orthodontie plutôt fonctionnaliste, reposant sur une analyse clinique approfondie.
Dans les années 1960, il n’y avait qu’une société scientifique, la SFODF. Elle représentait le seul endroit où l’on pouvait apprendre l’orthodontie, puisqu’il n’y avait alors aucun enseignement, ni de cours consacré à cette discipline.
 
Fondée en 1921 par James Quintero, elle ronronnait dans un quiet conservatisme. Mais l’écho d’une autre orthodontie américaine, celle du multibague, de la céphalométrie, et du droit à extraire, était arrivé aux oreilles de jeunes praticiens. Parmi eux, l’équipe de Mme Müller dominée par la personnalité intellectuelle de Julien Philippe.
Nous étions à un tournant historique de l’enseignement de la chirurgie dentaire qui allait devenir autonome avec la création des facultés.
L’orthodontie allait émerger en tant que véritable spécialité universitaire avec l’enseignement du CES en 1969 et des premiers DU en 1970. La Revue d’ODF publie son n° 1 en 1967, Julien Philippe en est le rédacteur en chef. Elle s’impose progressivement à côté de l’Orthodontie Française avec ses sommaires constitués de traductions d’articles étrangers, en particulier américains. Je deviens membre du comité de lecture en 1972.
 
Devenu Professeur d’Orthodontie à la Faculté de Chirurgie dentaire de l’Université Paris VII, Julien Philippe fait évoluer l’enseignement de l’orthodontie et la formation des spécialistes. En quelques années, il donne à l’orthodontie française les outils nécessaires à son épanouissement et à sa culture internationale. Il lisait énormément. Abonné à plusieurs revues américaines, il sortait de ses poches chaque mercredi, des petits papiers sur lesquels il avait noté des références bibliographiques qu’il jugeait dignes d’intérêt et qu’il nous distribuait en fonction des sujets qu’il souhaitait nous voir approfondir.
Dès 1970, sa rencontre avec Carl F. Gugino est déterminante. Ce jeune praticien américain, sans titres universitaires, lui fait partager sa foi dans la méthode de son maître, le Dr R.M. Ricketts, intitulée « Méthode Bioprogressive ». Julien Philippe, nourri par l’enseignement de Mme Müller sent qu’il tient là une ouverture vers une méthode moderne par ses outils céphalométriques et sa technique multibague avant-gardiste mais qui intègre l’environnement fonctionnel qui lui est familier. Ce préfixe « Bio » le fait adhérer au concept de Ricketts car comme il l’écrit encore en 2015 :« « Bio » c’est la vie, et tout ce qui est vivant sera privilégié par la pensée Bioprogressive. Or, le plus vivant, ce ne sont pas les formes, ce sont les fonctions qui expriment la vie et cessent avec elle. »
 
Dans la foulée, il publie son 1er livre « Des principes et une technique », introduit l’enseignement de la méthode Bioprogressive dans le cadre du Diplôme Universitaire d’Orthodontie qu’il dirige à Garancière, suivi en cela par bien d’autres universitaires en France.
Il participe à la fondation de la Société Bioprogressive Ricketts en 1972 et devient son 1er président en 1973. Il entraîne son équipe dans l’aventure et nous adhérons à cette jeune société qui deviendra la rivale du CEO fondée par R X. O’Meyer.
La SFODF a perdu son monopole scientifique. D’autres sociétés se sont créées, regroupant des praticiens qui partagent la même philosophie ou les mêmes objectifs de qualité ou encore ont en commun leur origine universitaire. Mais elle conserve son prestige de société « mère ». En 1979, il préside son congrès de mai avec la question mise en discussion par F. Bassigny « Les traitements avec extractions des 1res molaires » et la session d’automne avec celle qu’il me confie « Pourquoi la fonction occlusale en orthodontie ? ».
 
Préoccupé de l’avenir des étudiants diplômés du DUO de Paris VII et désireux de les garder au sein de la faculté pour constituer un vivier d’où pourraient émerger de futurs enseignants, il nous propose de créer le Cercle d’Etude et de Prospective Orthodontique Garancière en 1981. Suivront des cours de formation en méthode Bioprogressive dont le succès nous a vite débordés et des voyages alliant culturel et scientifique.
Devenu Président de la Société Française d’Orthopédie Dento-Faciale en 1996, il incite l’ensemble des sociétés scientifiques à se réunir pour proposer les « Journées de l’Orthodontie » en remplacement de la « session d’automne » de la SFODF. Fort du succès remporté par ce congrès dont nous célébrerons les 20 ans en novembre prochain, il convainc ces mêmes sociétés de se regrouper dans la Fédération Française d’Orthodontie afin de rassembler leurs forces et mieux servir la profession.
 
La Fédération Française d’Orthodontie (FFO) est fondée en 2001 et il en a été le premier Président. Ayant décidé de mettre fin à sa carrière et fidèle à son goût de la lecture et de la culture, il devient bibliophile et collectionne les livres anciens concernant la chirurgie dentaire et l’orthodontie. Il crée le musée de l’Orthodontie de la SFODF et participe aux travaux de la commission de terminologie qui publie en 2012 le dictionnaire d’orthognathodontie.
Devenu Président d’Honneur des institutions dont il avait été l’initiateur, il a continué à participer à leurs activités.
Toute sa vie, il a publié des livres qui ont contribué à modeler la pensée orthodontique française. Si elle est si vivante, si riche intellectuellement et si diverse, c’est à lui qu’on le doit.
C’était un homme intelligent, cultivé, un esprit libre et visionnaire qui ne s’est jamais laissé enfermer ni par les honneurs ni par les dogmes. Il était courtois, séduisant et séducteur. Sa curiosité était insatiable et sa mobilité intellectuelle lui permettait de passer d’un sujet à l’autre. Il nous entraînait dans ses réflexions, nous poussait à lire, à publier. Il a lu et corrigé tous nos livres, nous honorant de ses préfaces.
Grâces lui soient rendues.

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