Du 9 au 12 novembre 2018, au Palais des congrès de Paris
Cette année, le congrès a décidé de mettre en valeur l’ODF en tant que prise en charge médicale. L’objectif de cette séance, co-présidée par Sandrine Hermer et Sarah Chauty le matin, et Olivier Sorel et Sylvie Legris l’après-midi, est de donner la parole aux courants de pensées pour que chacun se fasse son opinion.
« J’ai initié cette séance en tapant fort avec le titre, mais j’ai eu l’accord d’Olivier Sorel, président du congrès et président de la SFODF, qui l’a montée avec moi. Le titre est volontairement provocateur, le souhait de tout président de séance étant d’attirer un public nombreux », explique Sandrine Hermer, co-présidente de cette séance, secrétaire générale de la FFO et past présidente du CEPOG (société membre de la FFO).
En effet, le sujet du temps du traitement est en constante évolution : les premières phases qui avaient lieu en denture lactéale ou mixte sont parfois débutées plus tardivement à 12 ans pour les classes III (De Clerck). Les traitements ortho-chirurgicaux qui étaient proposés en fin de croissance pourraient, dans certains cas, être proposés précocement. Par ailleurs, la récente publication de la Cochrane [1] a jeté un pavé dans la mare (rassurez-vous, si vous n’avez pas révisé les dernières publications de la Cochrane, nos conférenciers comme Philippe Amat et Stéphane Renaudin feront le point !).
Certes, le bénéfice du traitement précoce pour les classes II avec surplomb incisif excessif par rapport au traitement en un seul temps est validé pour éviter la fracture incisive. Toutefois, l’intérêt du traitement précoce au-delà du risque de fracture est critiqué dans la littérature… mais le niveau de preuve est faible à modéré. Bref, le débat reste ouvert !
Sandrine Hermer s’émeut de « l’importance grandissante donnée à l’evidence based » : doit-on substituer à l’intérêt de l’enfant les calculs coûts-bénéfices ? Elle explique : « S’il est bien mené – et là est le problème fondamental –, le traitement interceptif, quand nécessaire, ne peut être que bénéfique. Je pense précisément à l’éducation fonctionnelle. Mais il est vrai qu’il a mauvaise presse, la mise en œuvre de ces thérapies demandant un gros investissement organisationnel. Plus généralement, l’interception a pour but de mettre ou remettre la croissance sur de bons rails, le voyage étant long jusqu’à la fin de la croissance. »
Et pour cause : les arguments pro-traitement précoces sont nombreux. Derrière ces froids critères qui souvent prennent essentiellement en considération, les résultats occlusaux finaux (PAR, peer assessment rate), que fait-on du bien-être du patient qui dit attendre douze ans pour corriger un sourire fortement disgracieux ? Serait-on en train de réduire le patient à un typodont ?
Les différents arguments seront discutés : la croissance, la vitesse de déplacement dentaire, les fonctions, la proprioception, la stabilité, le bénéfice en terme esthétique et psychologique, les risques de fractures incisives, la coopération et plus largement le vécu du traitement, l’impression de traitement long… sans parler des effets potentiels ou supposés à distance cervicaux, posturaux, etc. [2]. Le traitement interceptif facilite-t-il le traitement en seconde phase ? L’évite-t-il ? Permet-il de réduire l’indication ortho-chirurgicale ou l’indication d’extractions (sachant que dans certains cas, le traitement précoce va provoquer des compensations qu’il faudra parfois supprimer par la suite) [3] ?
Certes, dans certains cas, il n’est pas évident de déterminer la date optimale de traitement et si le traitement 2 phases sera plus bénéfice que le traitement 1 phase [4]. Sandrine Hermer raconte : « Avec mes vingt ans de pratique orthodontique, j’ai acquis de l’expérience. Et qu’est-ce que l’expérience ? Les erreurs que l’on a commises et que l’on ne veut pas reproduire. Je reconnais que j’ai traité trop tôt certains cas, que j’aurais pu attendre, que j’ai attendu dans d’autres quand j’aurais dû intervenir plus tôt. Mais j’ai eu tellement de satisfaction à traiter tôt de nombreux enfants que je reste une fervente partisane de l’interception quand nécessaire. Et il est sûr que la formation continue m’a fait profondément évoluer au fil de ma carrière et que jusqu’au bout je me formerai. »
Quelles sont les limites de ces traitements précoces en termes d’indication et de durée de traitement ? Le traitement d’orthopédie fonctionnelle pourrait être débuté pour certains auteurs plus tardivement de façon à précéder le traitement multi-attache.
Enfin, les modalités du traitement seront discutées avec Joseph Ghoubril. Adrien Marinetti proposera une approche avec forsus sur dispositif fixe lequel minimise la compliance. La question de la stabilité et des éventuels dispositifs de stabilisation est aussi à considérer [5].
Dernier point, le point de vue du juriste, avec la notion de perte de chance. Un patient peut-il nous reprocher de ne pas avoir proposé un traitement interceptif ? Ou inversement, de lui avoir fait faire un traitement interceptif ? Laurent Delprat, avocat, répond : « L’absence de présentation de l’opportunité thérapeutique d’un traitement d’orthodontie précoce pourrait ainsi constituer une perte de chance pour l’enfant de bénéficier d’un gain fonctionnel ou esthétique, laquelle pourrait engager la responsabilité professionnelle du praticien. D’autres hypothèses peuvent également être envisagées, imposant au praticien de mettre en œuvre un politique d’anticipation. »
Quand traiter ?
Si je devais schématiser ma façon d’agir, moi qui ne soigne plus que des enfants et adolescents depuis dix ans :
• Traitements en 2 phases avec interception « précoce » :
– anomalies transversales et Inversés antérieurs complet ou unitaire (une seule dent) : je prends en charge dès que je les vois dans la mesure où l’enfant est prêt à accepter un traitement ;
– surplomb supérieur à 6 mm avec exposition dentaire par inocclusion labiale : dès que l’enfant est à même
de comprendre l’intérêt de « rentrer ses dents » pour éviter la fracture incisive ;
– supraclusion douloureuse (morsure palatine ou/et perte de gencive attachée sur incisives inférieures) : si l’enfant
a mal, s’il est demandeur.
• Traitements en 2 phases avec prise en charge plus tardive (mais avant la puberté) : les retrognathies mandibulaires
• Traitements en 1 temps :
– encombrements dentaires sur rapports molaires subnormaux ;
– petites classes II sans retrognathie mandibulaire marquée… et tous les patients que je vois « trop tard » selon mes critères.
Sandrine Hermer
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