Le traitement endodontique est le pilier fondamental de tous les traitements de restauration sur dent non vitale. C’est lui qui permet son maintien sur l’arcade alors même qu’elle a subi un processus infectieux et inflammatoire irréversible. Son but est essentiellement biologique : l’élimination de tous les tissus infectés par des bactéries ou susceptibles de l’être, la désinfection de tout l’espace endodontique ainsi nettoyé puis son obturation étanche pour faire barrière à toute réinfection. Dans cette démarche, on sait le rôle de l’irrigant capital. Si l’hypochlorite de sodium est généralement admis comme produit de choix pour sa capacité à dissoudre les tissus biologiques et sa puissante action antibactérienne, il n’existe pourtant toujours pas de consensus sur l’irrigation après plus de cent ans de recherches et d’évolutions. Le traitement endodontique reste un défi qui effraie autant le patient que le praticien. Le patient parce qu’avant de recevoir ce traitement, il a pu subir une douleur parmi les pires qui soient, et qu’il craint d’avoir à nouveau mal. Le praticien parce que, malgré tous les progrès techniques, il ne voit pas directement tout ce qu’il fait ni même le résultat de son traitement, mais aussi parce qu’il sait que dans le monde moderne de la médecine toute puissante, le patient ne veut plus avoir mal.
Les auteurs de l’article rapporté ont conduit une grande étude clinique prospective randomisée pour savoir si la concentration de l’hypochlorite de sodium employé comme irrigant pouvait influencer l’intensité et la durée des douleurs postopératoire sur dents nécrosées traitées en plusieurs séances. Pour ce faire, ils ont inclus, entre 2011 et 2015, 308 patients de la clinique de la faculté dentaire du Caire âgés de 25 à 45 ans avec une molaire mandibulaire nécrosée. Tous les patients inclus ont été répartis aléatoirement en 7 blocs de 44 sujets attribués à un même opérateur, et divisés chacun en 2 sous-groupes égaux. La nécrose présupposée fut confirmée pour chaque patient par l’absence totale de saignement après réalisation de la cavité d’accès. Le traitement endodontique fut conduit sous anesthésie et sous digue avec le système Protaper selon un protocole entièrement normalisé reproduit à l’identique pour tous les sujets. Pour chaque bloc, un groupe fut irrigué avec une solution d’hypochlorite à 1,3 % et l’autre avec une solution à 5,25 %. Toute l’étude fut réalisée en double aveugle, ce qui signifie que ni les patients ni les opérateurs ne savaient quelle concentration d’irrigant était employée. Toutes les irrigations on été réalisées avec un aiguille à perforation latérale 3 mm en deça du foramen apical. À l’issue de la préparation, les canaux furent séchés puis une pointe de papier calibrée fut mise en place et recouverte d’une obturation coronaire temporaire pour une période de 7 jours. Les dents furent alors désobturées, irriguées à nouveau avec la même concentration d’hypochlorite de sodium, séchées puis obturées par un cône de gutta percha calibré scellé avec un ciment canalaire époxy. Pour chaque groupe, la douleur ressentie fut renseignée par les patients à l’aide d’une échelle de valeur, immédiatement après l’instrumentation ainsi qu’à 3, 24, 48 heures et 7 jours après la première séance, puis immédiatement après l’obturation.
Les résultats concaténés montrent une moindre incidence et une moindre intensité de la douleur dans le groupe 1,3 % NaOCl que dans le groupe 5,25 % à tous les moments de relevés, mais aussi moins de recours à des prises d’antalgiques pour le groupe 1,3 %. Les auteurs expliquent dans leur discussion que si l’action antimicrobienne et bio-dissolvante de l’hypochlorite est effectivement dose-dépendante, son utilisation à haute concentration s’accompagne aussi d’une plus grande cytotoxicité et d’une propension à s’extruder plus facilement dans la région péri-apicale. Ils argumentent aussi que l’effet de hautes concentrations peut être compensé par un renouvellement plus fréquent de l’irrigation et donc un plus grand volume d’irrigant employé ainsi que par son agitation dans les canaux. Concernant les douleurs rapportées, les auteurs révèlent une forte poussée douloureuse exprimée après l’obturation seulement pour le groupe 5,25 %. Ils l’expliquent par une irritation supplémentaire provoquée par le matériau d’obturation sur des tissus déjà en réponse inflammatoire à une forte concentration de NaOCl. Au cours de leur discussion, les auteurs rapportent aussi que la littérature mentionne, selon les études, des concentrations d’hypochlorite variant de 0,5 % à 8 %. Ils soulignent donc une absence de consensus sur la recommandation d’une concentration optimale. Concernant leur étude, ils concluent qu’en utilisant une concentration d’hypochlorite de sodium à 1,3 % pour un traitement en deux séances sur molaire mandibulaire nécrosée, l’incidence douloureuse fut réduite de 60 % pendant la semaine séparant les deux séances et de 80 % après l’obturation par rapport à l’emploi d’une solution à 5,25 %. De plus, le recours à un antalgique a aussi été réduit de 70 % avec la solution la moins concentrée.
Questions à Alexis Gaudin
PU-PH en dentisterie restauratrice, endodontie à l’université de Nantes et président de la société française d’endodontie (SFE)
De manière générale quelles sont les principales causes de douleurs postopératoires en endodontie ?
La douleur postopératoire en endodontie est finalement assez courante, touchant de 2,5 % à près de 60 % des sujets ayant eu des traitements endodontiques (par traitement endodontique, on entend un ensemble de thérapeutiques qui vont des thérapeutiques de vitalité pulpaire – coiffage indirects, directs ou pulpotomie – aux traitements endodontiques initiaux, retraitements orthogrades jusqu’à la chirurgie endodontique).
Cette douleur postopératoire est hautement imprévisible, étant influencée par divers facteurs liés au patient (tels que l’âge et le sexe), à la dent traitée (y compris l’état pulpaire préopératoire et le type de dent) et au traitement effectué.
Il peut s’agir d’une réaction inflammatoire locale : la manipulation des tissus périapicaux pendant le traitement endodontique peut provoquer une réaction inflammatoire qui entraîne des douleurs. Mais cette douleur postopératoire peut également être due à une vaso-dilatation dite « rebond » liée au retour à la normale de la vasoconstriction induite par l’anesthésie locale associée à un vasoconstricteur.
Plusieurs mécanismes pourraient être responsables de la douleur et/ou du gonflement pendant un traitement endodontique. Cela inclut des lésions chimiques, mécaniques ou microbiennes des tissus périapicaux.
Il existe certaines circonstances dans lesquelles les micro-organismes peuvent provoquer des douleurs postopératoires : extrusion de débris infectés, débridement incomplet du réseau canalaire, infection intraradiculaire secondaire. Certaines études récentes ont même révélé une association entre le cytomégalovirus humain, le virus d’Epstein-Barr et l’exacerbation aiguë des lésions périapicales.
L’instrumentation au-delà du foramen apical est l’un des facteurs iatrogènes causant la douleur postopératoire en endodontie. Cette surinstrumentation iatrogène entraîne l’agrandissement du foramen apical, ce qui peut permettre un afflux accru d’exsudats et de sang dans le canal radiculaire favorisant ainsi l’apport en nutriments des bactéries restantes à l’intérieur du canal radiculaire.
Une autre cause potentielle est due aux solutions d’irrigation intracanalaires. Bien que ces dernières soient censées rester localisées à l’intérieur du réseau canalaire, elles entrent invariablement en contact avec les tissus périapicaux, soit en raison d’une expulsion accidentelle à travers l’apex, soit par percolation.
Enfin, cette douleur est le plus fréquemment aiguë et réversible, de par sa nature inflammatoire. Cependant, elle peut, dans certains cas, lorsque le traitement endodontique a entraîné l’apparition et la persistance d’une lésion nerveuse, devenir neuropathique et évoluer sur un mode chronique.
Existe-t-il des moyens de prévenir ou, à défaut, de prévoir la survenue d’une complication douloureuse ?
Il n’existe pas de procédure clinique spécifique ou de médicament permettant de prévenir la douleur postopératoire en endodontie applicable pour toutes les situations.
Il a été par exemple démontré que le niveau d’anxiété peropératoire était corrélé à la survenue de douleur postopératoire. Il convient donc de mettre le patient dans les meilleures conditions possibles avant de réaliser le traitement endodontique (écoute, empathie, prise en compte de l’environnement lumineux et acoustique du cabinet, etc.).
Il est également impératif de maintenir l’asepsie (décontamination des dents, utilisation d’un champ opératoire étanche (digue)) lors des procédures endodontiques pour prévenir les infections dans les cas de thérapeutiques de vitalité pulpaire ou l’introduction de nouvelles espèces microbiennes dans les cas de pulpes nécrotiques infectées.
Lors de la mise en forme, nous devons avoir à l’esprit de limiter le plus possible l’extrusion de débris apicaux tout en maintenant une efficacité lors du débridement chimio-mécanique du réseau canalaire. Dans le même objectif, il faut éviter de laisser le canal radiculaire ouvert à des fins de drainage. Laisser la « dent ouverte » est le moyen le plus direct de permettre la réinfection du système canalaire.
Pour minimiser les accidents liés à l’injection d’hypochlorite de sodium, l’aiguille d’irrigation doit être placée en deçà de la longueur de travail, avec des orifices latéraux, s’adapter librement dans le canal et la solution doit être injectée avec un débit doux.
Quels conseils ou prescriptions convient-il de donner aux patients pour gérer une éventuelle douleur postopératoire en endodontie ?
Il existe de nombreux conseils ou prescriptions permettant soit de prévenir, soit de gérer la douleur postopératoire. Tous ces éléments seront abordés lors de la séance SFE entièrement consacrée aux douleurs postopératoires en endodontie à l’ADF 2023.
Le traitement étiologique responsable des pathologies pulpaires et périapicales est le meilleur moyen pour réduire la douleur à terme. Cependant, différentes études ont montré l’intérêt d’adjoindre un traitement pharmacologique antalgique ou anti-inflammatoire pour prendre en charge la symptomatologie postopératoire.
La prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), soit en préopératoire immédiat, avant réalisation de l’anesthésie locale, soit tout de suite après la réalisation de l’acte, permet une réduction significative, aussi bien de la douleur per- que postopératoire. Parmi l’ensemble des AINS, l’ibuprofène apparaît être la molécule la plus souvent utilisée. En cas de contre-indication à l’utilisation des AINS, le paracétamol peut être utilisé. Les doses ainsi que les indications et contre-indications seront détaillées lors de la séance SFE de l’ADF. En postopératoire, la difficulté est de faire la distinction entre une douleur postopératoire purement inflammatoire et celle occasionnée par une composante infectieuse non gérée par le traitement endodontique précédant. Plusieurs modalités de prescription sont possibles (molécules, association de différents antalgiques aux mécanismes d’actions pharmacologiques différents, dose d’attaque, etc.).
Pour conclure, il est impératif de prévenir le patient des risques de douleurs post-opératoires, l’approche psychologique et l’antalgique se complète, et il est impératif de bien connaître les indications, contre-indications des différentes molécules à disposition.
Les auteurs de l’étude rapportée évoquent le rôle de la concentration d’hypochlorite dans les douleurs postopératoires et déplorent un manque de consensus dans la littérature. Quelle est la recommandation générale de la SFE concernant la nature et la concentration de l’irriguant ?
Bien que l’irrigation et la désinfection soient des sujets longuement débattus, certaines zones d’ombre persistent sur le meilleur protocole de désinfection. Il existe néanmoins un consensus sur la nécessité d’utiliser de l’hypochlorite de sodium (concentration comprise entre 2,5 % et 5,25 %) lors de la mise en forme canalaire et alterner avec une solution chélatante type l’EDTA (concentration comprise entre 8 % et 17 %) au moment du rinçage final.
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