L’avènement de l’implantologie moderne a considérablement modifié les possibilités de traitement des édentements, en particulier au cours des décennies 90 et 2000. Les auteurs coréens et américain de cette revue narrative nous rappellent que, historiquement, les édentements étaient traditionnellement traités à l’aide de prothèses amovibles ou fixées sur les dents adjacentes avec des risques de dommages pour ces dernières dus au transfert des contraintes occlusales sur ces supports. Grâce à une amélioration constante des techniques et des produits, les restaurations sur implants portées par de bons succès cliniques sont désormais largement considérées comme le premier choix thérapeutique pour ces situations d’édentement. Du fait d’un meilleur accès aux formations en implantologie pour les praticiens, de l’augmentation du niveau de vie, du vieillissement de la population et d’une plus grande attention portée aux problématiques de santé bucco-dentaire, le marché mondial de l’implantologie, évalué à plus de 3 milliards d’euros en 2020, connaît encore une croissance constante estimée à 11 % par an jusqu’en 2028 par l’institut Grand View Research.
Désormais, tous les omnipraticiens sont concernés par l’implantologie, au moins dans sa dimension prothétique, mais il est important de bien connaître les avantages et surtout les faiblesses spécifiques des restaurations sur implants pour en assurer la pérennité. C’est précisément ce que nous expliquent les auteurs de ce long article de 25 pages en considérant le schéma le plus classique d’une restauration unitaire scellée associant un implant, un pilier prothétique et une restauration corono-périphérique (couronne). Dans une revue narrative extrêmement documentée, ses auteurs passent en revue les trois interfaces qui sont pour eux déterminantes dans le succès du traitement : implant-tissus osseux, pilier-tissus mous et pilier-implant.
Dans cette revue de presse, nous ne détaillerons pas la première partie de cette revue qui présente les améliorations des états de surfaces implantaires sur l’ostéointégration, ni sa troisième partie qui aborde les aspects biomécaniques de la connexion avec le pilier prothétique. Notre revue de presse se focalise donc uniquement sur la seconde partie de l’article qui traite de l’interface du pilier prothétique avec la gencive péri-implantaire.
Les auteurs nous rappellent ainsi le rôle déterminant de l’attache gingivale dans le succès implantaire à long terme. Si la gencive attachée à l’os péri-implantaire grâce à des fibres fortement ancrées qui lui confèrent une forte immobilité est comparable à celle de l’environnement des dents naturelles, la partie attachée au pilier prothétique y est beaucoup plus fragile. En effet, à l’inverse des dents naturelles qui présentent dans la région de transition une barrière de fibres dento-gingivales orientée perpendiculairement à la surface cémentaire dans laquelle elles adhèrent fermement, les fibres de collagène cheminent parallèlement à la surface périphérique des piliers implantaires contre lesquelles la gencive se maintient grâce à l’élasticité des fibres circulaires [un peu à la manière d’un joint torique, NDLR]. L’attache épithéliale, déjà fragile sur les dents naturelles, l’est encore davantage sur les piliers implantaires, ce qui conduit à une attache gingivale globalement beaucoup plus vulnérable autour des systèmes implantaires que pour les dents naturelles. Les pathologies péri-implantaires y surviennent donc beaucoup plus opportunément. En cas de déstructuration de l’attache péri-implantaire, les bactéries de la plaque dentaire peuvent pénétrer cette brèche tissulaire et provoquer une destruction inflammatoire de l’environnement péri-implantaire. Pour prévenir ce risque, la parfaite immobilité des tissus gingivaux en contact avec le pilier prothétique doit être particulièrement considérée, en particulier la présence de gencive attachée à l’os. Un positionnement de l’implant au centre d’une zone de gencive attachée est un premier point de vigilance à appliquer dès le stade chirurgical pour contribuer à préserver cette qualité tissulaire autour de l’implant une fois en service, car cela constitue, selon les auteurs, un premier point de prévention important contre la rupture de l’attache gingivale. En effet, pour eux, les deux principaux facteurs en cause sont la mobilité des tissus mous périphériques d’une part, et l’instabilité de la connexion du pilier avec l’implant d’autre part. La perte de serrage de la vis prothétique est une cause majeure d’instabilité du pilier et donc de désorganisation de la barrière gingivale.
Les auteurs rappellent que les signes d’inflammation visibles et un saignement au sondage caractérisent la mucosite qui précède la péri-implantite accompagnée d’une perte progressive du support osseux péri-implantaire. Ces deux phénomènes pathologiques qui se succèdent sont principalement induits par les bactéries de la plaque dentaire, mais pas directement puisqu’il faut une destruction préalable de l’attache muqueuse péri-implantaire pour permettre aux bactéries de progresser en détruisant le tissu osseux par une inflammation induite dans le processus pathogénique de la péri-implantite. Ainsi, le maintien de l’intégrité et de la santé de l’attache gingivale incluant le recours aux micro- et nanotechnologies pour renforcer l’attache des tissus mous sur le pilier prothétique est plus pertinent encore que le contrôle de la plaque dentaire ou le recours à des agents antibactériens pour les trois auteurs de cet article.
Le rôle du pilier prothétique est donc déterminant pour atteindre cet objectif de prévention, à commencer par son type de connexion. En effet, la connexion avec l’implant doit assurer le maximum de stabilité au pilier, ce qui porte la préférence des auteurs pour une connexion interne plutôt qu’une connexion à hexagone externe (type Branemark system). Pour favoriser l’attache gingivale, les auteurs soulignent l’importance de la partie transmuqueuse du pilier, là où doit se faire l’étanchéité vis-à-vis de la pénétration bactérienne. La nature du matériau employé est alors déterminante puisqu’aucune adhésion cellulaire ne peut s’établir sur des alliages à base d’or ou sur la vitrocéramique cosmétique, alors que le titane, l’alumine, la zircone et même le PEEK y sont favorables. Toutefois, les auteurs indiquent que le titane et la zircone sont les deux matériaux les plus employés pour les piliers implantaires. Choisie pour des raisons esthétiques, la zircone est plus fragile et présente plus de risque de mobilité du pilier, mais une méta-analyse citée dans l’article indique que les piliers en zircone présentent moins d’adhésion bactérienne, de rétention de plaque dentaire et d’inflammation des tissus mous que les alliages de titane. La question de la fréquence de pose et dépose de piliers pour la conduite du traitement prothétique est aussi évoquée comme un facteur de rupture répétée du joint gingival et de résorption osseuse subséquente, ce qui est une notion déjà bien connue. Le sujet des implants transmuqueux à col lisse qui redevient un sujet d’intérêt y est aussi discuté puisque l’attache et l’étanchéité gingivale se font directement sur cette partie et qu’aucun mouvement du pilier ne peut par conséquent les perturber. Toutefois, les auteurs soulignent que la hauteur de l’attache gingivale péri-implantaire est de l’ordre de 3 à 4 mm et que le col lisse de l’implant devrait donc atteindre au moins 3 mm de hauteur pour permettre cette attache complète.
Plus intéressant pour notre revue de presse, les auteurs abordent le sujet des traitements de surface sur les piliers afin d’optimiser la qualité et la résistance de l’attache gingivale. Parmi ceux-ci sont cités l’usinage, le sablage, les pulvérisations par plasma, les mordançages chimiques ou électrolytiques, les traitements au laser. Des études animales évoquées ont démontré de bons résultats obtenus sur des piliers titane traités par oxydation ou par abrasion laser qui ont permis l’obtention de fibres orientées perpendiculairement à leur surface, établissant de fait une barrière tissulaire plus résistante. Par ailleurs, d’autres techniques telles que les nanotechnologies, la photofonctionalisation par rayons ultraviolets, les revêtements adhésifs de molécules telles que la poly-L-lysine ainsi que des modifications de la microporosité de surface des piliers sont aussi évoquées pour renforcer l’adhésion des tissus mous autour des piliers. Une étude in vitro rapportée indique ainsi une meilleure adhésion des fibroblastes gingivaux après irradiation d’une surface de zircone par des rayons UV, tandis que l’attachement épithélial s’est révélé meilleur sur des surfaces revêtues de poly-L-lysine et avec des micro-porosités de 5 mm induites par traitement au laser.
Les auteurs concluent alors ce chapitre sur les interfaces piliers-tissus mous en affirmant que les traitements de surface peuvent améliorer l’adhésion de la gencive marginale sur les piliers implantaires et renforcer ainsi son rôle de barrière tissulaire à la pénétration bactérienne. Toutefois, ils soulignent que des surfaces plus rugueuses ou poreuses peuvent aussi favoriser la rétention, l’accumulation et la colonisation bactérienne quand l’adhésion gingivale est rompue, ce qui peut être grandement favorisé par une instabilité de la connexion implant-pilier. Les auteurs déplorent finalement le manque d’études cliniques dans ce domaine et les recommandent vivement pour évaluer les effets de traitements de surface permettant d’optimiser l’adhésion de l’attache gingivale sur les piliers implantaires, et qui devraient mieux permettre de protéger l’implant de la colonisation bactérienne conduisant à la péri-implantite.
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Assez peu de commentaires sont nécessaires pour compléter cet article très bien documenté et argumenté qui cible parfaitement toute la problématique et les facteurs de succès à long terme en implantologie. Ses auteurs, en particulier Kim et Lee, sont des références mondiales dans le domaine des surfaces et interfaces implantaires sur lesquelles ils ont déjà publié ensemble de nombreux articles de référence. Notons que l’article rapporté a été publié par la revue Materials Horizons qui bénéficie d’un impact factor très élevé (15,7), ce qui signifie que ses articles sont régulièrement recités par d’autres revues. À titre de comparaison, le facteur d’impact de la célèbre revue dentaire de référence Dental Materials est de 5,6, celui de l’International Journal of Oral Implantology de 3,6 et celui de la célébrissime revue Nature de 69. Notons encore que la Corée du Sud, à laquelle sont rattachés deux des trois auteurs, est le pays du monde où l’implantologie dentaire connaît la plus forte intégration (près de 500 adultes sur 10 000 traités annuellement contre moins de 100 aux États-Unis). Enfin, sur le fond du sujet, cet article très important montre qu’après des décennies de recherche sur les traitements des surfaces implantaires pour en améliorer l’ostéointégration, les surfaces des piliers prothétiques sur implant deviennent désormais un sujet majeur dans la prévention de la péri-implantite pour le succès implantaire à long terme.
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