Intelligence artificielle et diagnostic parodontal

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°33 - 28 septembre 2022 (page 6-7)
Information dentaire
Article analysé
• Revilla-León M, Gómez-Polo M, Barmak AB, Inam W, Kan JYK, Kois JC, Akal O. Artificial intelligence models for diagnosing gingivitis and periodontal disease: A systematic review. J Prosthet Dent 2022 Mar 14:S0022-3913(22)00075-0. Online ahead of print.

Le développement de l’intelligence artificielle (IA) s’est invité depuis plusieurs années dans notre quotidien, sans que l’on en ait conscience le plus souvent. Les moteurs de recherche internet et les assistants vocaux sont ainsi pilotés depuis des années par des algorithmes d’intelligence artificielle. Plus récemment, la société chinoise de jeux vidéo Net Dragon a annoncé remplacer son PDG par un androïde doté d’une intelligence artificielle afin d’optimiser les performances de l’entreprise grâce à des prises de décisions plus rationnelles car déconnectées de tout sentiment. Les pratiques cliniques médicales et les disciplines odontologiques n’échappent pas à ce progrès, en particulier pour les actions de diagnostic déjà bien établies en radiologie clinique. Les auteurs de l’étude rapportée parue dans The Journal of Prosthetic Dentistry indiquent que des solutions existent déjà pour un diagnostic automatisé de caries ou de pathologies péri-apicales à partir de clichés radiographiques, mais aussi pour guider la situation de la ligne de finition d’une préparation dentaire ou, dans un autre domaine, pour la reconnaissance d’un type d’implant. Leur revue systématique de littérature se donne pour objectif d’évaluer la performance des modèles d’intelligence artificielle (IA) pour détecter la présence de plaque, de gingivite et de maladie parodontale à partir de photographies intra-orales, d’images par fluorescence ainsi que par l’analyse de perte d’os alvéolaire sur des radiographies rétro-alvéolaires, rétro-coronaires et panoramiques pour le diagnostic de la parodontite. À l’issue d’une recherche sur 4 bases de données, 1912 études correspondantes aux mots clés utilisés ont été détectées, mais seulement 24 d’entre elles ont été retenues après le processus de sélection selon des critères d’inclusion spécifiques.

L’article nous apprend que les méthodes d’IA pour des applications parodontales se sont surtout développées depuis 2019, ce qui s’explique par une lente inclusion de données fiables dans les modèles d’IA avant de pouvoir le fiabiliser (les modèles d’IA fonctionnent en effet à partir du volume de données qui y sont incluses et qui permettent à ces modèles d’apprendre et de devenir de plus en plus performants dans leur tâche). Dans l’analyse détaillée des études incluses, les auteurs révèlent des taux de précision assez variables pour les différents groupes de paramètres précités, soit 73,6 à 99 % de précision pour la détection de la plaque dentaire à partir de photos, 74 à 78 % pour le diagnostic de gingivite sur photos et 67 à 74 % sur des images par fluorescence. Pour la maladie parodontale, ils rapportent une précision très variable de 47 % à 81 % à partir d’une analyse d’images photographiques et de 73 à 99 % pour l’analyse de la perte osseuse alvéolaire à partir d’images radiographiques. Au cours de leur longue discussion, les auteurs expliquent la variabilité des images photo­graphiques selon les points de vue pas toujours standardisés et le fait que l’analyse de ces images ne se fait qu’à partir de donnée en 2 dimensions, alors que l’appréciation de la plaque dentaire devrait se faire en volume et en 3D. L’usage des scanners intra-oraux devrait alors pouvoir fournir des données plus pertinentes mais qui n’ont pas encore été intégrées aux modèles d’IA. Il en est de même pour le diagnostic de la gingivite par analyse d’images qui ne peuvent considérer que certains paramètres visuels qui ne constituent pas tous les signes cliniques de cet état pathologique. Des limites comparables sont pointées sur le diagnostic de la maladie parodontale à partir d’analyse d’images photographiques ou radiologiques de perte osseuse. Les auteurs précisent par exemple que les images radiographiques ne montrent pas les signes précurseurs de la destruction initiale d’os alvéolaire qu’il est important de prendre en compte dans le diagnostic initial. Les paramètres de vitesse d’évolution de la maladie et de ses symptômes ne sont pas non plus pris en compte dans les modèles d’IA existants, de même que la réponse tissulaire au traitement initial qui revêt, selon eux, une importance capitale dans l’appréciation de la maladie parodontale pour adapter le traitement.

Les auteurs concluent donc que les modèles d’intelligence artificielle pour le diagnostic de la présence de plaque, de la gingivite ou de la maladie parodontale sont encore perfectibles, mais que des améliorations sont en développement constant. On remarque d’ailleurs que les auteurs classent les critères diagnostiques selon 4 groupes incluant le niveau de plaque dentaire qui est un facteur étiologique, des signes visuels de gingivite ou une perte du niveau osseux qui est un signe, parmi d’autres, de la maladie parodontale. Un diagnostic positif repose en général sur un ensemble de symptômes, ce que n’intègrent pas les modèles décrits par cette revue de littérature. De plus, l’IA et son efficacité reposent sur la quantité de données intégrées pour permettre au système d’apprendre et de devenir de plus en plus précis. Or les modèles actuels ne semblent pas avoir intégré suffisamment de données issues des modes d’acquisition les plus récents comme les scanners intra-oraux (caméras optiques) pour intégrer tous les paramètres requis pour un diagnostic fiable. Les auteurs insistent toutefois sur le développement continu de tous ces systèmes. Ils prédisent par exemple que le développement et l’amélioration de méthodes d’IA pour une détection quantitative de la plaque dentaire pourraient fournir prochainement des données fiables et normalisées surpassant les indices d’évaluation classiques très opérateurs dépendants et donc très variables selon les praticiens et les centres de soins.

Questions à…

Michèle Reners, Spécialiste en parodontologie, rédactrice en chef de L’Information dentaire et coordinatrice de ce numéro spécial parodontologie et omnipratique.

Pouvez-vous nous rappeler les éléments essentiels du diagnostic positif d’une maladie parodontale ?
M. R. : Les gingivites sont des inflammations des gencives et les signes classiques repérables sont rougeur et gonflement. La plupart sont induites par la présence de la plaque dentaire et sont faciles à repérer, mais il existe d’autres formes de gingivites non induites par la plaque.

Les parodontites, quant à elles, peuvent être associées aux signes cliniques de gingivite, mais pas toujours. Il faut alors réaliser un sondage pour mettre en évidence la présence de poches parodontales. Des examens radiologiques confirmeront la perte osseuse. Cependant, la radiographie ne montre qu’un état du niveau osseux à un certain moment et il est possible que l’os soit stabilisé et pas en phase de résorption, elle ne constitue donc pas à elle seule un élément du diagnostic.

Le saignement au sondage est la preuve de la présence d’une inflammation dans une poche et témoigne de l’activité de la maladie. C’est un critère important qui guide le praticien. En présence de saignement, la poche n’est pas stabilisée.

Des pertes d’attaches cliniques et des récessions sont aussi des indices, mais qui ne renseignent pas sur la gravité de la maladie. Un parodonte assaini après une maladie parodontale (MP) sévère peut très bien entraîner des rétractions gingivales exposant les racines.

La mobilité dentaire parfois présente, résultat d’une perte de support osseux ou d’une inflammation importante du parodonte, alerte sur la présence d’une atteinte parodontale.

La douleur n’est pas un signe habituel des MP, sauf dans les formes de parodontites nécrosantes ou certains abcès.

Quels critères objectifs doivent inviter l’omnipraticien à envisager prise en charge personnalisée du patient et l’orienter vers un spécialiste ?
M. R. : La prise en charge d’un patient atteint de MP est déjà personnalisée. En plus du relevé des signes cliniques, un profil de risque est établi. En effet, l’une des caractéristiques de la MP est son caractère multifactoriel. On sait que le tabac, le diabète non équilibré, le stress ont un impact sur le développement et l’évolution de la maladie. D’ailleurs, dans la nouvelle classification, son degré d’agressivité est précisé par des grades. Bien que le traitement parodontal soit standardisé (voir l’article de F. Graziani dans ce numéro), il existe des spécificités comme la prescription d’un antibiotique ou la prise en charge individuelle du facteur aggravant prédominant (sevrage tabagique, contrôle du diabète, gestion du bruxisme…). Une prise en charge multidisciplinaire est d’ailleurs un must dans les parodontites de stade 4.

Quel regard portez-vous sur l’usage de l’intelligence artificielle en matière de diagnostic parodontal et quelles seraient vos attentes en ce domaine pour le futur ?
M. R. : L’IA est déjà bien présente dans le milieu dentaire et ne cessera d’évoluer, comme dans beaucoup d’autres domaines d’ailleurs. En ce qui concerne les facteurs de risque justement, elle constituera une aide précieuse pour anticiper le développement des MP et faire d’autant plus de prévention chez les sujets à risque.

En revanche, en ce qui concerne le diagnostic, la sonde parodontale reste, selon moi, l’instrument indispensable que chaque praticien devrait avoir sur son plateau d’examen pour chaque patient.

Il existe différents tests de dépistage, comme le DPSI, très rapides et faciles à réaliser, qui révèlent la présence de poches et aident le praticien à faire prendre conscience au patient de l’existence d’une maladie parodontale dont l’atteinte est quantifiée.

Cela dit, il m’est difficile d’imaginer que demain, en scannant la bouche d’un patient, apparaîtra sur l’écran de l’ordinateur le listing de toutes ses pathologies. Je suis convaincue que le contact humain, le regard et l’écoute bienveillants ainsi que la confiance établie entre un patient et son praticien ne seront pas remplacés de sitôt par des ordinateurs et resteront la base de nos traitements.

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