Inlays-cores et alternatives sans métal

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°38 - 15 novembre 2023
Information dentaire

Article analysé :
• Rakotoaridina K, Delrieu J, Pages P, Vergé T, Nasr K, Canceill T. Evaluation of Poly(etheretherketone) Post’s Mechanical Strength in Comparison with Three Metal-Free Biomaterials: An In Vitro Study. Polymers 2023;15:3583.

Parmi les moyens de restauration des dents dépulpées fortement délabrées, le recours à un ancrage radiculaire est pour certains un sujet de discussion, voire de controverse. Pourtant, lorsque le collage d’une restauration adhésive n’est plus possible, il est le seul moyen pour trouver dans la racine la rétention nécessaire au maintien d’une restauration corono-radiculaire (RCR) permettant le rétablissement d’un support adéquat pour recevoir une restauration corono-périphérique (couronne prothétique). Un débat persiste alors entre RCR indirecte (inlay-core) ou directe (à l’aide d’un tenon fibré et d’une résine composite insérée en phase plastique). Si cette dernière est considérée comme plus conservatrice avec un module d’élasticité plus proche de celui de la dentine, les inlays-cores métalliques sont mécaniquement plus résistants intrinsèquement, mais ils transmettent aussi des contraintes plus apicalement dans la racine avec un risque accru de fracture. Chacun des deux types de RCR possède en fait des qualités différentes et donc des indications spécifiques. Avec le développement de la CFAO et de nouveaux matériaux, de nouvelles possibilités existent désormais pour réaliser des RCR indirectes sans recourir aux alliages métalliques. Ces alternatives revêtent un intérêt tout particulier avec l’interdiction du cobalt prévue par l’Union européenne en mai 2025.

Les auteurs français de l’étude rapportée se sont ainsi intéressés à la résistance mécanique du PEEK, comparé à plusieurs autres matériaux sans métal capables d’être usinés en inlay-core et à une RCR directe avec tenon fibré. Dans le cadre d’un protocole in vitro, 40 incisives intactes extraites pour raisons parodontales ont reçu un traitement endodontique puis ont été préparées avec une réduction corono-périphérique de 1 mm et en ne conservant que des murs dentinaires de 2 mm de haut pour maintenir un effet de cerclage dentinaire (ferule effect) en accord avec les recommandations de la littérature. Le canal a été désobturé au foret de Gates sur 10 mm pour recevoir un ancrage. 4 groupes de 10 incisives ont alors été constitués : 3 d’entre eux ont été restaurés avec des inlays-cores usinés respectivement dans un bloc de PEEK renforcé à l’oxyde titane (LuxaCam PEEK, DMG), d’Enamic (Vita Zahnfabrik) et de Numerys GF (Itena Clinical). Les dents du 4e groupe ont été restaurées à l’aide du tenon fibré et d’une résine composite dédiée insérée en phase plastique. Un mordançage de la dentine péri-canalaire à l’acide orthophosphorique suivi d’une application d’un adhésif universel a été réalisé pour l’adhésion à la dentine.

Toutes les restaurations indirectes ont été collées quant à elles avec la même colle autoadhésive Permacem 2.0 (DMG). La surface de chaque inlay-core a été traitée selon la nature de son matériau constitutif. Le PEEK est un polymère de haute performance thermoplastique à structure semi-cristalline. Également usinable, il est employé depuis un peu plus d’une dizaine d’années en odontologie. Avant collage, la surface de la pièce est sablée à l’alumine, séchée puis appliquée d’une couche d’un agent de couplage « multifonctions » (Luxa Temps Glaze & bond, DMG). Mis sur le marché en 2013, l’Enamic est un matériau dit hybride usinable, constitué à 86 % d’un réseau de céramique infiltré de polymère pour 14 % de sa composition (Polymer Infiltrated Ceramic Network). Conformément aux recommandations du fabricant, sa surface est préalablement mordancée à l’acide fluorhydrique puis revêtue de l’agent de couplage recommandé (Adive C prime, Vita).

Lancé par Itena en 2019, le Numeryse GF est constitué de 75 % à 80 % de fibres de verre unidirectionnelles enrobées dans de la résine époxy. Les inlays-cores ainsi réalisés sont revêtus du silane spécifique de la marque (Silan-It, Itena). Une fois tous les assemblages réalisés, les dents ont été placées dans un dispositif spécifique appliquant une force oblique constante sur la face linguale du pilier à 2 mm du bord libre (angle = 135°, vitesse = 2 mm/minutes) jusqu’à la rupture. Les résultats de ces tests in vitro montrent que la contrainte nécessaire à la rupture est la plus faible pour les inlays-cores en Enamic (6,05 MPa) puis en PEEK (9,48 MPa), tandis que les inlays-cores en Numerys GF (15,35 MPa) et les RCR directes en tenon fibré (15,88 MPa) sont les plus résistants. Les types de fractures constatées sont difficilement interprétables, mais on ne note aucune fracture uniquement limitée à la dent avec l’Enamic et, à l’inverse, aucune fracture de la pièce seule en Numerys GF. La plupart des fractures sont mixtes et concernent à la fois la pièce et la dent à un niveau plus ou moins apical.

Les auteurs soulignent alors l’excellent comportement mécanique des matériaux renforcés en fibres par rapport au PEEK et au matériau hybride de céramique. Ils expliquent ces résultats par un module d’élasticité plus proche de celui de la dentine en s’appuyant notamment sur une revue systématique de Dietschi qui conclut que les contraintes sont ainsi mieux distribuées le long de la racine. Dans leur discussion, ils concèdent le fait que leur protocole expérimental n’intègre pas la notion de résistance à la fatigue (contraintes cycliques répétées), qui reflète pourtant mieux la réalité clinique, ni la notion de contrainte de vieillissement qui pourrait aussi altérer différemment les propriétés des matériaux dans le temps. Ils soulignent aussi que la présence d’un cerclage dentinaire périphérique dans les échantillons de leur étude est aussi grandement susceptible de limiter la transmission des contraintes en intra-radiculaire et d’influencer le mode de fracture.

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Comme toutes les études in vitro, celle-ci teste des paramètres limités dans des conditions expérimentales particulièrement contrôlées afin de comparer les échantillons testés le plus objectivement possible. On teste donc ici la résistance d’un ensemble dent-restauration corono-radiculaire soumis à une force oblique continue jusqu’à la rupture, ce qui ne reproduit bien évidemment pas l’ensemble des contraintes mécaniques et chimiques des conditions réelles. En effet, en situation clinique, les éléments prothétiques sont soumis à des contraintes mécaniques répétées, variables en intensité et en direction. À cela s’ajoutent les contraintes environnementales de variation de température, de pH, mais aussi d’humidité dans l’environnement buccal. Plus que les performances d’adhésion désormais bien acquises par la majorité des systèmes d’assemblage, la dégradation des polymères par hydrolyse est l’une des principales problématiques actuelles en dentisterie adhésive. Elle concerne la capacité des résines composites à maintenir leur intégrité et leurs performances dans le temps en milieu humide. La grande stabilité chimique dans le temps et en milieu corrosif est l’une des principales qualités des inlays-cores à base d’alliages intégrant des métaux nobles, du chrome ou du titane. Leur grande résistance mécanique intrinsèque en est une autre qui leur permet de rétablir des piliers solides même en faible épaisseur ou soumis à de fortes contraintes de flexion (piliers de bridge à grande travée).

Dans une revue de presse précédente, nous avions rapporté que 4 méta-analyses concluaient à l’absence de supériorité des RCR directes avec tenons fibrés sur les RCR métalliques en termes de complication ou d’échec, le comportement en service des RCR étant influencé par les conditions locales et individuelles (L’Information Dentaire n° 39 – 10 novembre 2021). L’étude de ce jour montre une résistance du Numerys GF usiné en inlay-core dans le cadre d’un protocole de rupture in vitro, supérieure à celle des autres matériaux testés (PEEK, Enamic), mais équivalente à celles des RCR directes sur tenons fibrés. Ce résultat peut paraître surprenant en termes de résistance mécanique pour l’association tenon fibré/composite injecté. En effet, la RCR ainsi obtenue n’est pas homogène (tenon enrobé de résine), le risque d’inclusions de bulles affaiblissant l’ensemble est important et la résine composite, même chargée, ne présente pas de propriétés mécaniques très élevées en flexion. Mais deux hypothèses peuvent expliquer ces résultats. D’abord, la mise en œuvre de la RCR directe est réalisée in vitro dans des conditions idéales. Ensuite et surtout, l’échantillon testé n’est soumis à aucune mesure de vieillissement accéléré. Or la matrice des résines composites est très sensible à la dégradation environnementale, en particulier par hydrolyse et actions enzymatiques (métalloprotéases).

L’un des intérêts du Numerys GF est, en plus de ses propriétés mécaniques, sa potentielle grande résistance à la dégradation du fait de sa composition. En effet, la résine époxy qui enrobe une forte densité de fibres de verres orientées est très peu réactive. Elle est peu sensible à l’hydrolyse dans la mesure où elle ne contient pas de radicaux esters libres, mais aussi, par ce fait, très peu apte à l’adhésion. En revanche, les fibres de silice qui représentent jusqu’à 80 % du matériau sont quant à elles fortement liables à un silane amphotère capable de se lier tout aussi fortement à une résine composite d’assemblage employée en très fine épaisseur. Le Numerys GF testé dans l’étude rapportée représente donc l’espoir d’un matériau non métallique de couleur blanche de bonne résistance mécanique usinable en inlay-core capable d’être collée dans la racine d’une dent dépulpée et de recevoir une restauration corono-périphérique également collée. De plus, il peut être retouché après collage sans modifier ni son aspect ni ses propriétés de surface. Cependant, lancé sur le marché en 2019, peu d’études indépendantes ont jusqu’alors évalué toutes ses propriétés et seul un suivi à long terme pourra évaluer la réalité de ses performances cliniques en service. Son utilisation pour la restauration d’une dent dépulpée exige aussi une grande maîtrise dans sa mise en œuvre au laboratoire et dans ses protocoles cliniques d’assemblage. 

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