Il fut mon guide et mon maître dès le début de ma carrière et le resta ensuite. Sa disparition m’a remis en mémoire un rapport ancien qui classait les praticiens en trois catégories :
- ceux qui peuvent parler,
- ceux qui peuvent écrire,
- ceux qui peuvent faire.
De temps en temps, il en est un qui peut appartenir à deux catégories, mais il est tout à fait exceptionnel d’en trouver un qui satisfasse aux trois exigences. Des années passées à écouter son enseignement, à recevoir ses conseils, à lire ses nombreuses publications et à voir de nombreux patients lui témoigner leur gratitude, m’obligent à ajouter pour le Professeur Jean Delaire une quatrième dimension : celle de l’humaniste, empreint de simplicité, de hauteur d’esprit et de cœur qui en fait l’exception.
Professeur de médecine, il dirigea le service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale du CHU de Nantes de 1959 à 1990 puis fut nommé chirurgien honoraire des hôpitaux de Nantes en 1990 puis professeur émérite en 1991. Il fut l’un des plus éminents praticiens de sa profession de la deuxième moitié du XXe siècle. Il joua également un rôle prépondérant dans la création et l’organisation de la faculté de chirurgie dentaire de Nantes en 1968 où il dispensa des cours de pathologie. Il m’avait souvent dit, vers la fin de sa carrière, qu’il aurait souhaité se spécialiser « dans la dent ». Il était également favorable à un socle de formation commun pour les odontologistes et les stomatologistes.
Très influencé par les idées novatrices de son maître Lucien Lebourg sur le rôle des sutures dans la croissance cranio-faciale, il consacra avec passion une grande partie de sa carrière à l’étude des phénomènes et des lois qui régissent la croissance cranio-faciale normale et pathologique. L’observation et l’étude de très nombreux syndromes malformatifs lui furent très riches d’enseignement pour la compréhension des phénomènes de croissance normaux et pathologiques. La qualité de ses très nombreuses publications dans le domaine de l’odontologie, de la stomatologie et de la chirurgie maxillo-faciale laissera une empreinte indélébile qui servira de référence encore longtemps.
Doué d’un sens naturel de la pédagogie, d’une aisance incomparable de la parole, d’une grande clarté d’expression associée à une volonté constante d’apprendre et d’enseigner, il savait diffuser ses connaissances en se mettant à la portée de tous les auditeurs sans les abaisser. C’est naturellement qu’il fut pour ses élèves un maître incomparable et pour ses pairs un confrère admiré et respecté. Suivre sa consultation était un privilège, son nom un label et un sésame recherché. Son service était ouvert à tous, l’accueil toujours bienveillant et son enseignement original, tant dans ses conceptions que dans sa thérapeutique. Il fit rayonner son service dont la réputation dépassa largement les frontières de la France comme en témoigne le grand nombre de praticiens étrangers qui sont venus s’y former et de nombreux patients étrangers venus bénéficier de ses soins.
Doté d’une intelligence exceptionnelle et d’une puissance de travail hors du commun, il publia un très un grand nombre de publications (toutes de qualité) dans le domaine de la stomatologie, de la chirurgie maxillo-faciale, du traitement des fentes labio-maxillo-palatines et de l’orthopédie maxillo-dento-faciale. Son nom restera notamment attaché à trois innovations majeures ; c’est ainsi qu’il :
- imagina en 1969 le masque facial à appui fronto-mentonnier mondialement admis et connu sous le nom de « masque de Delaire » qui transforma le traitement des insuffisances du développement du maxillaire supérieur, évitant ainsi de nombreuses interventions de chirurgie orthognathique ;
- élabora progressivement, une méthode d’analyse télécéphalométrique architecturale qui fit faire un bond en avant dans les connaissances et le diagnostic des dysmorphoses cranio-faciales et dento-alvéolaires restituant ainsi à l’orthopédie maxillo-dento-faciale et à la céphalométrie leur justification médicale ;
- fit progresser la thérapeutique chirurgicale des fentes labio-maxillo-palatines en démontrant les avantages d’une chirurgie physiologique.
Après sa retraite hospitalière, il continua de dispenser un enseignement principalement consacré à la croissance cranio-faciale normale et pathologique, suivi par de nombreux praticiens. Ces dernières années, malgré le désarroi provoqué par la disparition de sa femme, il conserva la volonté et l’énergie de poursuivre son enseignement jusqu’à la limite extrême de ses forces.
Ses qualités personnelles et professionnelles ont donné à Jean Delaire une notoriété mondiale qui lui a fait assurer la présidence de nombreux congrès et sociétés scientifiques nationaux et internationaux et d’être invité à donner de nombreuses conférences à travers le monde.
Il fut justement récompensé par de nombreux titres honorifiques : officier de la Légion d’honneur, membre d’honneur de l’Association française des chirurgiens maxillo-faciaux, membre d’honneur de la Société française d’orthopédie dento-faciale, membre honoraire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire, membre honoris causa de la Société belge de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale, Docteur honoris causa des universités de Louvain, d’Halifax.
Puisse son enseignement rester vivant et guider encore longtemps les générations actuelles auxquelles il revient le devoir de faire perdurer ce précieux héritage.
J’ai passé les moments les plus exaltants de ma vie professionnelle dans son service, mais cet hommage à son admirable carrière ne peut se limiter à mon témoignage de gratitude et d’admiration, mais il se veut aussi faire écho à la demande de très nombreux confrères qui trouveront là la possibilité de témoigner au professeur Jean Delaire leur gratitude et de lui adresser tout simplement un immense merci et un adieu.
à toute sa famille, j’adresse mes plus sincères condoléances.
Jean-Michel Salagnac
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