La vie dans le pays
Après une année de deuil lent, le premier anniversaire de la « chose » a réveillé bien des émotions. Pas d’oubli néanmoins il y a toujours quelque chose lié aux sens humains, un mot, un geste, un nom qui réveille la mémoire endormie. La vie, la survie dans de nombreux cas, a repris ses droits en dépit de tout.
Dans Port-au-Prince aujourd’hui, on peut sedemander comment les gens ont pu, avec leurs moyens, changer le décor d’apocalypse et recréer un aspect presque « normal ». Bien sûr, il reste encore beaucoup d’espaces vides, déblayés et non reconstruits et dont on a très vite oublié à quoi ils ressemblaient avant le 12 janvier. Le bas de la ville, près de la mer, reste un endroit un peu fantôme. Beaucoup de commerces ont migré vers les hauteurs et se sont modernisés, d’autres ont disparu. Depuis un an, de nombreuses constructions, parfois de plusieurs étages, surgissent de terre. Si le haut de la ville se met à l’heure « internationale », tout le monde ne peut pas suivre !
L’écart entre les classes sociales riches et pauvres reste énorme, peut-être même plus grand, car le séisme a dépossédé certains mais a donné des opportunités à d’autres.
Il y a eu aussi beaucoup de migrations : juste après le séisme, la panique a fait fuir bien des gens, certains vers la province dans des villages très vite congestionnés. De nombreuses familles sont encore dispersées : ceux qui ont du travail sont restés, d’autres, pour préserver leurs enfants de lendemains incertains, sont partis aux États-Unis ou au Canada, là où ils avaient des parents. Certains sont revenus, mais pas tous.
L’atmosphère de la ville est redevenue telle qu’elle était. Le soir venu, le centre-ville bruisse des sons qui proviennent des petits bars musicaux ouverts à tout et tous, des marchandes de « fritay » (fritures) à n’importe quelle heure de la nuit, des taxi-motos omniprésents, des commerces ambulants. Pendant la journée, des pasteurs hèlent les foules, les écoles déversent leurs flots d’uniformes bigarrés dès midi, une circulation anarchique et dense a aussi repris ses droits. Tout le monde semble vaquer à ses occupations dans le mouvement incessant qui rythme cette ville.
Les camps et la reconstruction
Les grands camps de réfugiés se vident depuis près d’un an ; ils constituaient, au centre-ville et sur les places publiques, des îlots trop visibles de misère criante, un miroir de la difficulté de l’État à gérer ces 600 000 personnes livrées pendant plus de deux ans – et dans une promiscuité terrible – à une vie infrahumaine, à la délinquance, la violence et à l’insatiable compétition entre les humanitaires. La plupart des réfugiés ont quitté le centre-ville, incités à s’installer en lisières de ville dans des nouveaux « villages » aux conditions sanitaires précaires et qui ressemblent déjà à des bidonvilles.
Le coût de la scolarité
L’école en Haïti coûte cher et son prix dépend de la réputation de l’école autant que du nom du directeur. La scolarité, en classe de CM2, varie entre 30 000 et 100 000 gourdes par an dans les établissements prestigieux de la capitale (600 à 2 000 €). En terminale, cela peut atteindre 50 000 à 200 000 gourdes (1 000 à 4 000€). La disponibilité du secteur public est faible, lesentrées dans les lycées souvent soumises à un « parrainage ». Dans les structures de l’État, la scolarité coûte environ 500 à 1 000 gourdes (10 à 20 €) par an, hors livres et uniformes, mais souvent les classes sont surchargées (60 élèves), les maîtres absents, les fournitures précaires. Ceux qui réussissent doivent avoir un moral de fer et des capacités sérieuses et les « élus » sont peu nombreux par rapport à tous ces jeunes de 15 à 25 ans qui constituent 45 % de la population.
Les conditions sanitaires
La santé de la population reste précaire. De nombreuses institutions d’urgence ont fermé leurs portes il y a plus d’un an et les structures de l’État n’ont pas encore été toutes rebâties. À la suite de l’épidémie de choléra de 2010-2011, des mesures sanitaires ont été prises et des centres de traitement de cette maladie construits par des ONG. Mais l’argent fait défaut à de nombreuses familles, et le secteur privé affiche des prix élevés qui n’ont aucune commune mesure avec les moyens d’une majorité de la population. L’urgence reste un grave problème : au-delà du coût, la disponibilité et la capacité des services sont faibles. Seules quelques institutions d’État offrent cet accueil, mais les lits disponibles dans la capitale sont comptés. L’hôpital général, seule institution d’État offrant tous les services gratuits, demeure souvent un mouroir en raison d’une capacité impropre à satisfaire les 3 millions d’habitants de la zone métropolitaine et de nombreux problèmes de fonctionnement. En province, à part quelques villes dotées d’un bon service, la vie ou la mort demeure un jeu de hasard.
Cependant, des efforts ont été faits : au ministère de la Santé, des équipes tentent de mettre en place des stratégies de contrôle et de suivi des maladies, des centres de gestion de certaines pathologies, mais cela prend du temps.
La santé dentaire
C’est un réel problème, car malgré les besoins, elle est un peu et toujours la cinquième roue de la charrette. Le secteur privé est cher, quant au secteur public, il est quasiment un service d’extractions. Les institutions – comme le SOE – qui offrent un service de soins dentaires à un prix abordable, et encore pas pour tous, sont rares. Leurs moyens et leurs budgets ne permettent pas de faire des prévisions à long terme, car les installations, les fournitures coûtent cher et ne sont pas toujours amorties avant de devoir être remplacées.
L’utilisation du fonds de solidarité
De mars 2010 à fin 2011, les fonds récoltés ont été utilisés pour tout ce qui avait trait à l’urgence des premières semaines, au déblaiement des maisons, à l’aide à la reconstruction, aux besoins ponctuels des gens que nous connaissions bien, surtout dans le domaine de la santé et de la scolarisation.
En 2012, nous avons dû réviser les orientations de ce fonds qui avait diminué ; en effet, l’urgence passée, Haïti retombait dans une « normalité » quotidienne pour de nombreuses personnes à l’étranger. En janvier 2013, nous avions 1 750€ disponibles, pas assez pour continuer comme nous avions commencé. Pour cette année 2013, il nous restait près de 300 € que nous avons gardé pour appuyer, à la rentrée de septembre, les demandes de scolarisation ou de formation pratique de quatre jeunes.
Notre autre préoccupation concerne la clinique du SOE dont les équipements dentaires ont six ans et de nombreuses heures d’utilisation sous un climat tropical (humidité, poussière et chaleur) qui les rendent assez vite défectueux. Si ce n’était la présence de deux réparateurs formés par l’AOI, nous aurions davantage de problèmes. Les rapports financiers de la clinique portant sur les six premiers mois de 2013 montrent déjà un déficit ; les tarifs pratiqués devraient être revus à la hausse, le matériel renouvelé. Pour la rénovation du service, un budget de 10 000€ doit être rapidement trouvé.
Conclusion
Cet état des lieux, trois ans après le drame qui a ravagé le pays, montre l’ampleur des efforts encore nécessaires pour aider la population à retrouver dignité et espoir. Cependant, nos écrans et nos journaux ne parlent plus ou presque de cet océan de besoins. J’appelle chacun d’entre vous, praticien, industriel, à continuer de nous apporter son soutien*. Merci.
* Pour faire un don, rendez-vous sur : www.aoi-fr.org
AOI 1 rue Maurice Arnoux, 92120 Montrouge
Le SOE et l’AOI
Le SOE Santé dispose de deux centres de soins, l’un à Port-au-Prince, l’autre en province, dont les équipes de santé sont constituées pour l’ensemble de 4 médecins, 5 infirmières, 1 optométriste, 2 pharmaciens. Deux chirurgiens-dentistes sont basés à la polyclinique de Port-au-Prince, dont l’auteur depuis 1989. L’AOI est présente depuis 2003 à travers deux projets successifs, le premier en collaboration avec l’ONG Initiative et Développement pour la mise en place de structures de soins dentaires communautaires, le second, depuis 2007, en partenariat avec le SOE. L’AOI apporte un soutien technique et financier dans trois domaines : la formation à la maintenance des équipements, la mise à niveau des auxiliaires dentaires et la cliniquedentaire du SOE à Port au Prince. A ce jour, pour la rénovation de ce service, 10 000€ sont nécessaires au plus vite pour qu’il continue à fonctionner dans de bonnes conditions.
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