Scoop : Napoléon voyait sa dernière campagne… américaine !
On lui a bien dit exil, mais il a traduit asile et pense se refaire une vie d’explorateur, de planteur peut-être, en Amérique – ou, à défaut, de propriétaire discret en Angleterre, sous le nom de Monsieur Muiron*. Fiction, synopsis d’un blockbuster à venir ? Nullement, mais authentique projet d’émigration libre, dont la Malmaison rouvre les malles mirifiques. L’Aigle s’accepte déchu, vaincu, mais sûrement pas reclus. Au reste, cet envol vers le Nouveau Monde est plein d’intentions pacifiques, certes, mais de tentations politiques aussi, et peut-être de chances historiques. À portée, la Louisiane, la Floride, le Mexique, Cuba et cette « Perle des Antilles » qui a osé le braver… Se contentera-t-il d’une retraite de colon, à quarante-cinq ans, quand ces terres hispano-américaines peuvent tomber sous sa coupe, aidé de fidèles exilés dont son frère Joseph, ex-roi d’Espagne ? L’irréductible stratège perce sous l’aventurier, engagé à la fois sur les traces d’Humbold, de La Fayette et de Chateaubriand. Celui-ci voit clair : « Sa seule présence sur le rivage américain de l’Atlantique forcerait l’Europe à camper sur le rivage opposé. »**
Pas question de filer à l’anglaise.
Au lendemain de Waterloo, c’est ouvertement que Napoléon prépare à la Malmaison son « voyage scientifique ». Depuis un an, la bien-aimée créole n’est plus là pour le guider, mais la grande demeure est encore pleine des parfums d’Amérique qu’elle y a semés, dont celui, délicieux, de la liberté. On fait diligence pour monter ce départ sur le seul pied digne de l’ex-majesté : l’appareil impérial. Outre des cartes et un imposant matériel d’observation, il embarquera avec bibliothèque, argenterie, vaisselle (tout cela légèrement emprunté à la Nation), vêtements d’apparat et même fauteuil aux allures de trône – à toutes fins utiles. On appareillera à Rochefort où attendent les frégates La Méduse et La Saale. Le trajet en calèche à quatre chevaux est une sorte de fuite de Varennes à l’envers : passé la Loire, les curieux s’attroupent ; à Niort, on reconnaît le civil qui l’occupe ; à Rochefort, les vivats fusent, la foule vibre, la Grande Armée éparse souffle sur ces braises…
Le cauchemar de Fouché.
On a rapporté que Napoléon n’avait plus, alors, le désir d’un grand retour ; qu’il s’en tenait à son intention de servir la France comme général ou de partir pour l’Amérique – quoique tenaillé par la lubie de se livrer aux Anglais, geste dont la grandeur l’attirait. Mais ces cris de « Vive L’Empereur ! », ou « Vite, à l’armée de la Loire… » peuvent-ils l’avoir laissé de marbre ? Ses partisans en doutent, et ils ne sont pas seuls : Napoléon retournant la Vendée (l’impossible n’est jamais sûr avec lui) et marchant sur Paris, c’est ce que Fouché ne tient aucunement à voir. D’où ses ordres duplices, bien à son image : Napoléon embarquera, oui ; quant à partir… Des vents défavorables, la menace très exagérée du HMS Bellérophon à quelques encablures, des passeports introuvables : voilà l’Aigle en cage. L’inoxydable Ponce Pilate s’en lave les mains, ou plutôt se les frotte : qu’échangeraient les Anglais, contre pareille monnaie ?
Coup de Trafalgar de la perfide Albion.
On s’en doute, Napoléon bout dans la nasse, visite cette île d’Aix qu’il avait fait fortifier, prête l’oreille à d’autres plans, comme un possible départ par Royan… Mais il atermoie, trouve tout petit, cherche du grand et ne se décide à rien. Son frère Joseph se démène, s’entremet, propose des solutions viables dont il saura, lui, profiter. En vain. Esclave de sa légende, hanté par l’idée fixe de se confier à l’honneur – et à la loi – des Anglais, Napoléon monte à bord du Bellérophon. Voilà, c’est fini : l’Amérique s’éloigne, l’amertume l’empoigne, elle le rongera en six ans – arsenic ou pas. Mais le conquérant a-t-il abandonné son rêve ?
Un plan B, comme Bonaparte.
Des rumeurs circulent dans les deux mondes sur une possible évasion, un coup de force auquel même des Anglais voudraient participer ! Sur son rocher, il a vent de ce trône du Mexique proposé à Joseph, richement rétabli en Amérique. Il doute des capacités de son frère à l’accepter, mais dit clairement à Montholon : « Si j’étais à sa place, avant un an je me ferais un grand empire de toutes les Amériques espagnoles. » De fait, il flotte dans l’air un projet, auquel il n’est pas étranger : « La Confédération Napoléonienne » ! À savoir, la conquête du sud des États-Unis via celle du Mexique, d’une partie de l’Amérique du Sud en plein tumulte, de Saint-Domingue avec le soutien des colons, pour former un nouvel Empire aux mains des Bonaparte et de leurs fidèles, Napoléon en tête. Le Ministre de France aux États-Unis, Hyde de Neuville, s’émeut : « Où en serait-on si cet homme prodigieux arrivait au Mexique déjà conquis ? ». C’est énorme, c’est invraisemblable, c’est possible. Londres et Paris y croient assez pour trembler : le Duc de Richelieu recommande dès 1816 d’avoir « une lunette constamment braquée sur Sainte-Hélène, car ce petit point noir à l’horizon peut encore produire des tempêtes », et c’est ce qu’on fait, en s’exagérant sa peur. Malade, l’Empereur espérait-il vraiment voir poindre sur la mer ce voilier rapide (ou ce sous-marin de Johnston !) qui devait l’emporter sur la côte américaine ? Ce qu’on sait, c’est qu’il apprenait l’anglais ! Just in case ?…
* Nom de ce frère d’armes mort pour le sauver à Arcole.
** Il l’écrit dans Le Moniteur en 1818.
Cap sur l’Amérique La dernière utopie de Napoléon
Exposition jusqu’au 20 juillet 2015. Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau.
Arago, sollicité pour ce voyage, témoigne
« L’Amérique était alors son point de mire ; il croyait pouvoir s’y rendre sans difficulté, sans obstacle, et y vivre librement (…) Le désœuvrement, disait-il, serait pour moi la plus cruelle des tortures. Je veux, dans cette nouvelle carrière, laisser des travaux, des découvertes, dignes de moi. Il me faut un compagnon qui me mette d’abord et rapidement au courant de l’état actuel des sciences. Ensuite, nous parcourrons ensemble le nouveau continent, depuis le Canada jusqu’au cap Horn. »
François Arago, Mémoire de l’Académie des Sciences de l’Institut de France, 1854.
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