Questions à
Maître assistant, PhD HDR, Mines Saint Etienne, UMR INSERM U1059
Maître de conférences associée à la Faculté d’Odontologie de Lorraine, PhD et chercheuse à I’Institut Jean Lamour, UMR 7198 CNRS
J. G. : Le fretting corrosion est un frottement sous très petits débattements avec des phénomènes de corrosion associés dont l’action synergique génère des phénomènes d’usure avec production de débris. Nous avons commencé à investiguer ce mécanisme de fretting corrosion dans les alliages métalliques impliqués dans les prothèses totales de hanche, il y a maintenant presque vingt ans. Ces travaux ont d’abord intrigué la communauté de l’usure car nous avions montré (dans le cadre d’un contact modèle) que, dans des conditions de fretting corrosion, un métal pouvait s’user trois fois plus qu’un polymère, ce qui n’est pas habituel selon les lois générales de la mécanique. Pour un métal comme le titane, le frottement dégrade sa couche protectrice (dite de passivation) et le rend vulnérable à la corrosion, ce qui augmente considérablement son usure. Ces mécanismes de dégradation, désormais bien connus en orthopédie, concernent aussi les systèmes prothétiques et implantaires en odontologie. Dans cette étude, il a été très intéressant de voir que, pour le contact Ti/Y-TZP (zircone yttriée), du zirconium avait été identifié dans la matrice de titane, et de constater que l’usure des éléments impliqués dans le contact en était diminuée.
Pascale Corne, vous êtes l’auteur de l’étude. Quelle est la pertinence clinique de votre travail en tribocorrosion dans la compréhension de l’assemblage prothético-implantaire ?
P. C. : Nous nous sommes intéressés aux endommagements subis par la connexion implantaire au cours des procédures prothétiques puis pendant toute la période de service après l’assemblage des éléments. C’est pendant cette période que le complexe pilier/implant/vis subit probablement des contraintes en fretting corrosion. Les endommagements révélés par notre étude montrent que tous ces éléments en contact dans la connexion sont susceptibles de subir une usure qui affecterait la vis mais aussi les parties les plus fines ou anguleuses du pilier ou de la connexion dans l’implant. Cette usure pourrait contribuer à une perte de serrage et à une diminution de la stabilité du pilier. Nous avons mis en évidence que la meilleure résistance au fretting corrosion concerne le couple titane pur contre zircone yttriée. Toutefois, le design de la plupart des connexions n’est pas adapté au comportement fragile de la zircone yttriée. La considération des études en tribocorrosion invite à se questionner sur l’emploi optimisé des matériaux mis en contact dans l’implant et sur l’évolution du design des connexions compatibles avec ceux-ci. Par ailleurs, la mise en évidence de débris pourrait avoir d’autres conséquences cliniques sur les facteurs étiologiques et pathogéniques impliqués dans les péri-implantites.
Quelles sont les autres perspectives de cette étude en implantologie ?
J. G. : Dans cette étude, comme ce fut le cas en orthopédie, nous avons mis en évidence des débris d’usure, après la sollicitation en fretting corrosion, pour tous les couples de matériaux étudiés. L’implication de ces microdébris (de l’ordre de quelques 10 millièmes de millimètres cube) dans les processus inflammatoires a déjà été démontrée en orthopédie où des investigations relatives aux réactions cellulaires sont en cours pour comprendre quel type de particules est le plus délétère. Des études similaires devraient être appliquées aux matériaux employés en odontologie.
P. C. : Cette étude s’est limitée aux principaux couples de matériaux les plus classiquement employés en implantologie. Néanmoins, un matériau innovant comme le polymère PEEK (PolyEtherEtherKetone) a été investigué, il a donné des résultats très prometteurs au terme de l’étude. De plus, nos expérimentations réalisées à une fréquence régulière de 1 Hz ne correspondent pas aux phénomènes de mastication qui ne sont pas continus. Il semblerait que des cycles de frottement irréguliers soient responsables de phénomènes de corrosion encore plus délétères en tribocorrosion. La mise en place d’un tribocorrosimètre plus proche des conditions de mastication permettrait de mieux simuler les contraintes subies par le complexe implantaire. L’étude des débris et de leurs conséquences sur les tissus parodontaux environnants est aussi un axe de recherche prometteur, notamment leur rôle dans l’étiopathogénie des péri-implantites observées en dehors d’un contexte infectieux.
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