Fretting corrosion et connexion implantaire

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Information dentaire
Les implants dentaires reçoivent au niveau de leur connexion prothétique les contraintes mécaniques transmises par le dispositif prothétique qu’ils soutiennent, auxquelles s’ajoutent d’autres contraintes biologiques ou physico-chimiques liées à l’environnement buccal. Celles-ci seraient responsables de micromouvements du pilier dans la connexion impliquant des contraintes de frottement de très faible amplitude à cette interface. Cette étude en « fretting corrosion » porte précisément sur les conséquences de ces microfrottements, mais aussi sur les phénomènes électrochimiques associés et leurs influences synergiques sur les couples de matériaux considérés dans un milieu de salive humaine naturelle non stimulée.
Du titane pur (composant de la plupart des implants), de l’alliage de titane Ti-6Al-4V (composant des piliers implantaires et de certains implants) et de la zircone yttriée Y-TZP (composant de certains piliers mais aussi d’implants) ont été étudiés à l’aide d’un dispositif appelé tribocorrosimètre spécialement conçu et développé pour permettre la mise en œuvre de microfrottements dans un milieu aqueux, avec des mesures électrochimiques associées. Chaque couple de matériaux a subi des frottements pendant 16 heures sous une pression correspondante à celle estimée entre le pilier et l’implant par analyse en éléments finis, avec un débattement de 40 µm à une fréquence de 1 Hz. Les zones d’usure et les débris générés ont été caractérisés par profilomètre optique, microscope électronique à balayage et microscope électronique à transmission. L’étude des potentiels libres de corrosion relevés montre qu’ils diminuent pour tous les couples au début du frottement, ce qui signe une destruction de la couche protectrice du titane, dite de passivation. Le titane ou alliage de titane devient alors ainsi plus vulnérable à la corrosion. Lorsque le frottement cesse, le potentiel retrouve son niveau initial pour tous les couples. Cependant, durant le frottement, ce potentiel a tendance à remonter progressivement en présence de zircone alors qu’il reste bas dans l’opposition des pièces métalliques en titane. Les débris de zircone « transférés » dans le titane opposé formeraient une « couche protectrice » vis-à-vis de la corrosion sur l’élément en titane. Par ailleurs, les contraintes dues aux frottements sur les matériaux étudiés produisent, au-delà des zones d’usure et de modification de la surface des matériaux opposés, des débris qui pourraient être libérés autour du col implantaire. De l’ordre de quelques dizaines de nanomètres pour certains, ils seraient susceptibles d’être internalisés par les fibroblastes de l’environnement biologique péri-implantaire. Les mécanismes inflammatoires et cytotoxiques qui en résultent pourraient alors expliquer certaines péri-implantites.
Dans les limites de ces conditions expérimentales effectuées sur 16 heures, et du point de vue de la tribocorrosion, le couple titane pur/zircone yttriée, Y-TZP, montre les meilleures performances. En considérant qu’une seule année de service prothétique représente 8 760 heures, et que les périodes de contraintes sont cycliques et variables au cours de la journée et selon les individus, cette étude ouvre de très nombreuses perspectives sur l’apport de la tribocorrosion dans une meilleure compréhension des mécanismes en jeu dans l’usure des dispositifs médicaux, mais aussi d’autres axes d’études biologiques sur l’influence jouée par les débris générés par ces frottements.

Questions à

Jean Geringer
Maître assistant, PhD HDR, Mines Saint Etienne, UMR INSERM U1059

Pascale Corne
Maître de conférences associée à la Faculté d’Odontologie de Lorraine, PhD et chercheuse à I’Institut Jean Lamour, UMR 7198 CNRS

Jean Geringer, vous avez dirigé cette étude et êtes l’un des spécialistes internationaux en tribocorrosion. Quelle est la définition de ce phénomène de « fretting corrosion » et quels sont les domaines d’intérêt de son étude pour les dispositifs médicaux ?
J. G. : Le fretting corrosion est un frottement sous très petits débattements avec des phénomènes de corrosion associés dont l’action synergique génère des phénomènes d’usure avec production de débris. Nous avons commencé à investiguer ce mécanisme de fretting corrosion dans les alliages métalliques impliqués dans les prothèses totales de hanche, il y a maintenant presque vingt ans. Ces travaux ont d’abord intrigué la communauté de l’usure car nous avions montré (dans le cadre d’un contact modèle) que, dans des conditions de fretting corrosion, un métal pouvait s’user trois fois plus qu’un polymère, ce qui n’est pas habituel selon les lois générales de la mécanique. Pour un métal comme le titane, le frottement dégrade sa couche protectrice (dite de passivation) et le rend vulnérable à la corrosion, ce qui augmente considérablement son usure. Ces mécanismes de dégradation, désormais bien connus en orthopédie, concernent aussi les systèmes prothétiques et implantaires en odontologie. Dans cette étude, il a été très intéressant de voir que, pour le contact Ti/Y-TZP (zircone yttriée), du zirconium avait été identifié dans la matrice de titane, et de constater que l’usure des éléments impliqués dans le contact en était diminuée.
Inclusion de zircone yttriée, Y-TZP, sur la surface du titane pur après frottement et débris de titane pur.

Pascale Corne, vous êtes l’auteur de l’étude. Quelle est la pertinence clinique de votre travail en tribocorrosion dans la compréhension de l’assemblage prothético-implantaire ?
P. C. : Nous nous sommes intéressés aux endommagements subis par la connexion implantaire au cours des procédures prothétiques puis pendant toute la période de service après l’assemblage des éléments. C’est pendant cette période que le complexe pilier/implant/vis subit probablement des contraintes en fretting corrosion. Les endommagements révélés par notre étude montrent que tous ces éléments en contact dans la connexion sont susceptibles de subir une usure qui affecterait la vis mais aussi les parties les plus fines ou anguleuses du pilier ou de la connexion dans l’implant. Cette usure pourrait contribuer à une perte de serrage et à une diminution de la stabilité du pilier. Nous avons mis en évidence que la meilleure résistance au fretting corrosion concerne le couple titane pur contre zircone yttriée. Toutefois, le design de la plupart des connexions n’est pas adapté au comportement fragile de la zircone yttriée. La considération des études en tribocorrosion invite à se questionner sur l’emploi optimisé des matériaux mis en contact dans l’implant et sur l’évolution du design des connexions compatibles avec ceux-ci. Par ailleurs, la mise en évidence de débris pourrait avoir d’autres conséquences cliniques sur les facteurs étiologiques et pathogéniques impliqués dans les péri-implantites.

Quelles sont les autres perspectives de cette étude en implantologie ?
J. G. : Dans cette étude, comme ce fut le cas en orthopédie, nous avons mis en évidence des débris d’usure, après la sollicitation en fretting corrosion, pour tous les couples de matériaux étudiés. L’implication de ces microdébris (de l’ordre de quelques 10 millièmes de millimètres cube) dans les processus inflammatoires a déjà été démontrée en orthopédie où des investigations relatives aux réactions cellulaires sont en cours pour comprendre quel type de particules est le plus délétère. Des études similaires devraient être appliquées aux matériaux employés en odontologie.
P. C. : Cette étude s’est limitée aux principaux couples de matériaux les plus classiquement employés en implantologie. Néanmoins, un matériau innovant comme le polymère PEEK (PolyEtherEtherKetone) a été investigué, il a donné des résultats très prometteurs au terme de l’étude. De plus, nos expérimentations réalisées à une fréquence régulière de 1 Hz ne correspondent pas aux phénomènes de mastication qui ne sont pas continus. Il semblerait que des cycles de frottement irréguliers soient responsables de phénomènes de corrosion encore plus délétères en tribocorrosion. La mise en place d’un tribocorrosimètre plus proche des conditions de mastication permettrait de mieux simuler les contraintes subies par le complexe implantaire. L’étude des débris et de leurs conséquences sur les tissus parodontaux environnants est aussi un axe de recherche prometteur, notamment leur rôle dans l’étiopathogénie des péri-implantites observées en dehors d’un contexte infectieux.

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