Face à l’agressivité d’un patient exigeant

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 40-42)
Information dentaire
Pour Jean-Paul Sartre, « la violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec » (Situations : littérature et engagement, Gallimard 1948-1999). Dans le cadre de l’exercice dentaire, la relation de confiance entre le chirurgien-dentiste et son patient est nécessaire à une prise en charge de qualité. Pourtant, les comportements agressifs verbaux ou physiques des patients à l’égard des praticiens augmentent à l’hôpital et dans les cabinets libéraux. Derrière chaque attitude d’agressivité se cache souvent un besoin non exprimé ou non reconnu, qui peut générer mal-être et souffrance. Néanmoins, le praticien ne peut accepter l’irrespect, l’agressivité et ne doit pas satisfaire à toutes les exigences de ses patients, mais il doit y répondre sans provoquer un sentiment d’humiliation de peur ou de frustration.

Situation

« Un patient âgé retraité prend rendez-vous. Il arrive avec une liste
d’examens qu’il voudrait se voir prescrire et une demande d’ordonnance d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires. Après avoir pris connaissance de son état médical et réalisé un examen clinique en bouche, je considère qu’aucune de ses demandes n’est justifiée.
Le patient est furieux de ce refus et tente de négocier, sans tenir compte de mes explications. Son agressivité devient croissante et il profère des propos irrespectueux. Face à cette agressivité,
je l’informe oralement que je ne souhaite plus le recevoir.
Avec mon équipe, je me questionne : le chirurgien-dentiste doit-il satisfaire les exigences injustifiées d’un patient et rédiger sous sa dictée des prescriptions d’examens ? Ma décision de lui refuser tout nouveau rendez-vous était-elle justifiée sur le plan de l’éthique ? Dois-je le recevoir à nouveau s’il exige un rendez-vous ? Par ailleurs, comment gérer la violence verbale ? Quelle attitude adopter? »

Réflexions d’Alessandra Blaizot

Maître de conférences des universités – Praticien hospitalier

Sous-section prévention, épidémiologie, économie de la santé, odontologie légale, Faculté de chirurgie dentaire de Lille – Service d’odontologie, CHRU de Lille
 
Face à la demande insistante d’un patient, le praticien, mal à l’aise, a souvent tendance à tomber dans deux écueils. Le premier, il cède à cette demande même si elle est injustifiée, pour éviter que le conflit ne s’installe. Le second, il résiste maladroitement en écourtant les échanges, conduisant à un sentiment d’incompréhension, voire de frustration du patient, qui peut alors répondre par un comportement agressif. Cette situation conflictuelle cache en fait souvent des divergences non verbalisées entre représentations du soigné et du soignant qui viennent s’ajouter à d’autres facteurs tels que l’attente ou la douleur.
 
Notre rôle de soignant est d’entendre, de décrypter les dires et les demandes, de cerner les besoins et de proposer des solutions adaptées. Le patient peut accepter ou refuser ce que le praticien lui préconise après avoir reçu une information claire, compréhensible et adaptée. Si l’autonomie du patient reçoit une reconnaissance grandissante, toute demande n’est pas automatiquement recevable dès lors qu’elle s’opposerait au principe de non-malfaisance/bienfaisance (1). Ainsi, un acte médical contraire aux données acquises de la science ou à l’intérêt du patient ne peut se justifier (article R4127-238 du Code de santé publique). Cet acte ferait aussi peser sur la société des charges injustifiées.
 
Face à ce type de situation, on ne peut que conseiller au praticien d’apaiser les tensions émotionnelles dès qu’elles s’installent, en amenant le patient à dévoiler les raisons profondes de sa demande dans un climat d’écoute et d’empathie (s’était-il déjà vu prescrire ce traitement dans une situation antérieure similaire ? Son agressivité cache-t-elle une peur particulière ?…), et en lui expliquant les raisons conduisant à refuser sa demande. L’accent doit être mis sur les alternatives pertinentes qui sont explicitées en laissant du temps pour se les approprier, voire en proposant la prise d’un autre avis. L’objectif étant de tendre à un soin juste en fixant la limite du raisonnable pour éviter le traitement injustifié.
 
Le consentement aux soins s’entend comme le fruit d’une concertation entre deux parties liées par une confiance mutuelle. Si aucun compromis n’est trouvé, le soignant reste libre de refuser de s’engager dans ce contrat de soins qu’il estime ne pas pouvoir remplir, en dehors de toute discrimination et du cadre de l’urgence, et aux conditions de ne pas nuire au patient et de s’assurer de la continuité des soins (articles R4127-211 et 232 du Code de santé publique). Par ailleurs, le praticien peut déclarer un fait de violence (2).
L’exercice de l’odontologie exige une solide maîtrise de soi qui s’apprend par des formations à la prévention/gestion des situations conflictuelles. Il s’agit là d’un défi éthique pour tout soignant à la recherche d’une attitude adaptée, entre passion et raison(3,4).
 
1 – Tardivo D, Camilleri F. Prévention et gestion du risque contentieux en odontologie. Ed CdP, JPIO. 2015. 260 pages.
2 – Via le formulaire de déclaration des incidents édité par l’Observatoire national des violences en milieu de santé. Lutte contre les violences : notre sécurité est l’affaire de tous. La Lettre. 2017 (159) : 12-14.
3 – Bourdeaut F. Les émotions dans la relation de soins : des racines de leur répression aux enjeux de leur expression. Éthique et santé. 2006 (3) : 133-137.
4 – Dubé L, Paquet C. Les émotions : l’aspect négligé dans l’organisation des soins de santé centrée sur le patient. Gestion. 2003/2 (28) : 11-18.
 
 

Réflexions de Yves-Alexandre Thalmann

Psychologue et spécialiste en développement personnel

La violence sous toutes ses formes, psychologique, verbale ou physique, n’est pas acceptable. Cela se doit d’être dit et rappelé. Il incombe à chacun de s’en protéger, peu importe sa fonction.
Le ton peut paraître péremptoire, voire intraitable et manquant de nuances, surtout émanant d’un psychologue. Et pourtant, c’est un concept fondamental qui est en jeu ici : le respect. Et si le respect n’est pas la base de la relation, alors les problèmes vont rapidement se faire jour. Ainsi, face à une personne manquant de respect, par exemple en tenant des propos agressifs, la première action à mettre en place est une demande dont le but est de faire cesser le comportement déplaisant : « Je vous demande de changer de ton » ou « j’aimerais que vous me parliez plus doucement ». Au besoin, si l’agressivité est encore montée d’un cran, on peut énoncer fermement un seul mot : « Stop ! » ou « ça suffit maintenant ! », indiquant clairement que l’on n’accepte pas d’être traité de la sorte. Si cela ne suffit pas, la procédure habituelle consiste à avertir immédiatement la police pour une intervention. Être au service d’autrui, comme c’est le cas pour les professionnels des soins, ne justifie pas de se laisser manquer de respect.
 
Cependant, l’agressivité est souvent le fruit de la colère. Or, il existe des réactions constructives à la colère d’un interlocuteur, qui sont maintenant enseignées aux professionnels tels que les policiers ou autres personnes en proie à des usagers énervés. Il s’agit de valider l’émotion de l’interlocuteur, la reconnaître en la verbalisant : « J’entends que vous êtes contrarié », « vous me semblez énervé », « il me semble que vous êtes furieux ». Ce à quoi l’autre répond généralement en acquiesçant : « Oui, cela me met hors de moi ! Car vous comprenez, dans ma situation… » avec un ton qui se radoucit au fil des mots. Au contraire, faire comme si de rien n’était ou demander à l’interlocuteur de se calmer est vécu sur le mode de l’invalidation : ne se sentant pas compris, il s’énerve davantage. La validation émotionnelle a été mise au point dans le milieu médical et elle a fait aujourd’hui ses preuves dans de nombreuses situations délicates.
 
Concrètement, lorsque le ton commence à monter, on valide dans un premier temps les émotions de l’interlocuteur, ce qui suffit souvent à désamorcer le cycle de l’agressivité. Si cela ne porte pas ses fruits, alors on lui demande de changer d’attitude de manière ferme. Et s’il persévère dans des comportements irrespectueux, on lui signifie qu’on met un terme à la relation : « C’est fini, je veux que vous partiez maintenant ! »
Du moment que l’on a compris que rien ne justifie la violence, alors la marche à suivre est sans équivoque.

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