Enseignement universitaire et prise en charge des personnes en situation de handicap

  • Par
  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°30 - 11 septembre 2024 (page 4-6)
Information dentaire

Les jeux paralympiques de Paris 2024 qui viennent de clôturer la série des grands événements sportifs de l’été nous ont permis de découvrir des performances incroyables accomplies par des personnes dont on n’imaginait pas forcément jusqu’où pouvaient les conduire leurs capacités de résilience, de dépassement de soi ou plus simplement d’adaptation en raison de la diminution de leurs capacités physiques ou mentales par rapport aux « standards » des personnes valides. Pour ceux qui ne sont pas habitués à côtoyer des personnes en situation de handicap (PSH), leur différence génère un malaise naturel. Il est principalement lié à une méconnaissance de leurs capacités et difficultés aboutissant à une appréhension vis-à-vis des interactions diverses que nous pourrions avoir avec elles.

Dans son discours inaugural à la cérémonie d’ouverture du 28 août, Andrew Parson, président du comité international paralympique, nous avait prévenus : « Ce que vous verrez de la part des athlètes paralympiques, ce sont des capacités et des compétences qui vous surprendront, des niveaux de résilience et de détermination qui vous dynamiseront et une camaraderie qui vous inspirera (…). Grâce à leurs performances, les athlètes paralympiques s’attaqueront à la stigmatisation, modifieront les attitudes et redéfiniront les limites de ce que vous pensez être possible. » Par ce discours engagé, il allait nous convaincre de tout l’intérêt de suivre cet événement sportif international, pour la beauté du sport mais aussi pour tous les aspects relatifs à notre société. Il précisait alors : « Le fait que ces opportunités n’existent en grande partie que dans le sport en 2024 est choquant. C’est la preuve que nous pouvons et devons faire davantage pour faire progresser l’inclusion des personnes handicapées, que ce soit sur le terrain de jeu, en classe, dans une salle de concert ou dans une salle de réunion. » Et c’est aussi le cas dans nos cabinets dentaires !

Les auteurs de l’étude rapportée nous apprennent que 16 % de la population globale doit faire face à un handicap qui peut être physique, mental ou sensoriel. Pour les personnes concernées, il diminue leur capacité à s’intégrer aussi pleinement dans la société que les personnes entièrement valides. Selon sa nature, ces personnes peuvent présenter des pathologies orales à des niveaux différents de la population générale, mais elles rencontrent surtout des barrières particulières aux soins dentaires qui peuvent être liées à des difficultés d’accès aux locaux, d’ordre financier, mais aussi à une formation insuffisante des praticiens incapables de mettre en œuvre les compétences spécifiques nécessaires à une prise en charge efficace et confortable de ces patients, ou même simplement une communication adaptée à leurs difficultés. Les auteurs expliquent alors que la plupart des soins dentaires pour les personnes en situation de handicap (PSH) ne présentent pas de difficultés excessives et peuvent aisément être prodigués par des omnipraticiens avec l’attitude et les compétences adéquates. Ils considèrent alors ainsi qu’une formation approfondie et appropriée devrait favoriser une approche plus inclusive de l’offre de soin chez les omnipraticiens et soulager les tensions sur les services spécialisés.

Cette direction est fortement soutenue par différents organismes internationaux qui proposent des modèles de formation adéquats. L’étude présentée ici vise à comprendre comment améliorer les comportements et les compétences des futurs praticiens vis-à-vis des soins dispensés aux personnes en situation de handicap. Pour ce faire, ses auteurs ont réalisé une enquête à laquelle ont participé 98 étudiants dentistes de l’Université King Faisal (Arabie saoudite) impliqués en cycle de pratique clinique (4e, 5e, 6e années ou internes).

Les résultats collectés révèlent que la majorité des étudiants (88,5 %) souhaitent avoir davantage d’informations sur la prise en charge des PSH. Plus précisément, 42,5 % rapportent que leur formation universitaire ne les a pas correctement préparés à cela. Dans toutes les années cliniques d’étude du panel, une large majorité d’étudiants (70 %) montre plus d’intérêt pour des formations cliniques concrètes de prise en charge des PSH plutôt que pour des cours théoriques où des actions d’aidants au travers de stages de découverte dans différents milieux spécialisés.

Une corrélation significative est établie entre ceux qui ont eu, au cours de leurs études, une expérience clinique avec des PSH et une attitude favorable à de futures interactions professionnelles avec cette population. Mais les auteurs insistent sur le fait que la mise en contact avec des PSH, y compris par une prise en charge de soins dentaire, est insuffisante pour modifier l’attitude des futurs soignants en faveur d’une meilleure inclusivité de ces personnes dans leur futur exercice si elle n’est pas accompagnée d’une formation spécifique avec des solutions concrètes pour chaque type de handicap.

Le rôle de la formation universitaire est considéré comme particulièrement important pour atteindre cet objectif. Cela implique un programme spécifiquement adapté intégré au cursus avec un nombre conséquent de séminaires et de stages intensifs dans différents environnements externes pour mieux impacter l’attitude des étudiants sur ce sujet. L’analyse de la littérature présentée en discussion révèle une grande disparité dans l’enseignement de la prise en charge de PSH selon différents pays, mais il ressort globalement qu’une très grande majorité des étudiants expriment le désir d’une meilleure formation pour prodiguer de meilleurs soins aux PSH. Les formations souhaitées portent sur une meilleure compréhension des besoins de ces personnes et sur une amélioration des compétences cliniques spécifiques à acquérir pour y répondre. Pour combler les vides qui séparent les expériences de sensibilisation, de formation et de préparation à dispenser des soins efficients aux PSH, les auteurs soulignent la nécessité de pouvoir évaluer les différentes connaissances, compétences, et attitudes des étudiants vis-à-vis des situations de handicap. Ils proposent une approche fondée sur les preuves incluant une autoréflexion des étudiants après chaque formation impliquant des PSH afin de pouvoir développer une attitude positive envers ces patients.

L’enseignement doit se structurer en fonction de ces données afin d’apporter les connaissances et des expériences positives de soins sur PSH associées à une véritable démarche pédagogique basée sur le partage d’expériences cliniques concrètes pour améliorer la propension des futurs praticiens à prendre en charge ces patients. En plus de cela, l’introduction de mises en situation cliniques virtuelles à l’aide de simulateurs et de toutes les ressources technologiques possibles peut aussi considérablement améliorer le niveau de formation car ils permettent de créer des situations contrôlées pour de nombreuses situations de handicap sans causer d’inconfort sur des patients réels. Par ailleurs la télémédecine permet aussi d’aborder certaines situations de soins ou de diagnostic, cette fois pour de vrais patients en situation de handicap qui n’ont pas accès à des structures de soins. L’article indique enfin qu’en Arabie saoudite, un examen du diplôme national de chirurgien-dentiste évalue un standard de compétence dans le domaine des soins aux PSH.

Les auteurs concluent alors leur article en insistant sur la nécessité pour les facultés dentaires de prioriser un cursus bien structuré sur la prise en charge dentaire des PSH en augmentant, d’une part, les contacts avec cette population, mais surtout les expériences cliniques de soins incluant une approche centrée sur le patient et ses spécificités. Ce serait selon eux le moyen d’aboutir à un environnement plus inclusif et compassionnel de soins et de santé dentaires pour les PSH.

Commentaire

Cet article basé sur une enquête auprès d’étudiants montre leur volonté de mieux être formés à soigner les PSH, mais aussi de recevoir une formation appropriée, technique, clinique et concrète pour la prise en charge efficace de ces patients. La première et principale barrière que nous rencontrons tous est liée à l’inconnu. C’est la mauvaise connaissance des différentes situations de handicap des personnes que nous pourrions soigner, c’est-à-dire les difficultés réelles qu’elles posent à la personne concernée, la manière dont elle perçoit et vit son handicap, y compris dans son relationnel avec les valides, qui crée chez la plupart d’entre nous une première appréhension à engager des soins. Les barrières techniques ou médicales liées aux capacités d’accueil, d’installation du patient, de déroulement des soins et des interactions nécessaires pendant les soins s’additionnent ensuite. L’article révèle qu’une meilleure connaissance des différents handicaps et une formation clinique spécifique à la prise en charge de chaque type de handicap doivent permettre de lever ces barrières pour pouvoir accueillir sereinement et efficacement une majorité de PSH qui n’ont pas tous besoin, tant s’en faut, d’être reçus dans des établissements spécialisés.

Les formations initiales universitaires doivent jouer un rôle capital pour atteindre l’ambition sociétale inclusive formulée par Andrew Parson. En France, d’importants efforts ont été faits pour structurer des enseignements et créer des situations de sensibilisation vis-à-vis des PSH, notamment par des stages en établissements spécialisés. Mais l’efficacité de ces expériences dépend énormément de la nature de ces stages et de ce que les étudiants peuvent y faire concrètement. Les auteurs ont montré que ce qui fonctionne le mieux est la pratique clinique par le partage d’expérience. Idéalement, ces expériences devraient donc produire ce qui pourra être reproduit dans leur future vie professionnelle, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des établissements de stage qui accueillent des patients lourdement affectés avec un personnel souvent trop débordé pour partager son savoir-faire clinique. Ainsi, trouver les moyens de proposer aux étudiants des mises en situation concrètes durant leur cursus est déjà une première difficulté pour développer les compétences adéquates. Une autre difficulté concerne la grande diversité des handicaps et leurs conséquences.

La diversité des épreuves aux jeux paralympiques selon les types et niveaux de handicaps a toutefois montré comment le sport paralympique avait su s’adapter à ces situations qui demandent la mise en œuvre de moyens particuliers. Notre exercice devrait pouvoir faire de même dans la prise en charge des PSH qui, selon leur « catégorie » de handicap, ne demandent pas la mise en œuvre des mêmes moyens ni le même déploiement de temps. Pour que cela puisse s’intégrer dans une pratique libérale et trouver un changement de mentalité des praticiens en faveur d’une meilleure prise en charge des PSH. La CCAM devrait aussi être adaptée à différentes situations selon les « catégories » de handicaps. Mais les quelques avancées très récentes sont loin de ces objectifs. Ainsi, comme l’a très bien suggéré le président du comité international paralympique, nous nous devons de nous inspirer de ce que le sport paralympique a réussi pour faire progresser l’inclusion des personnes en situation de handicap dans nos filières de soins.

Thèmes abordés

Commentaires

Laisser un commentaire

Sur le même sujet

Revue de presse

Article réservé à nos abonnés Intégration occlusale du bridge collé cantilever postérieur en céramique

Cet article complète une série d’articles récents, publiés par la même équipe rédactionnelle. Son originalité est d’aborder l’intégration occlusale de...
Revue de presse

Article réservé à nos abonnés Quand faut-il prescrire des antibiotiques en implantologie ?

Les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) de 2011 [1] sur la prescription des antibiotiques en odontologie mentionnent...
Revue de presse

Article réservé à nos abonnés Diagnostics, plans de traitement et ChatGPT

Cet été, comme chaque été, les étudiants en dentaire ayant validé leur 5e année vont pouvoir assurer leur premier remplacement,...
Revue de presse

Article réservé à nos abonnés Effets de l’exercice sur les patients souffrant d’apnée obstructive du sommeil : une revue systématique et méta-analyse

Introduction : L’activité physique et l’exercice sont depuis longtemps reconnus comme des déterminants clés de la santé et sont particulièrement utiles...
Revue de presse

Article réservé à nos abonnés Effets de la malocclusion sur la capacité aérobique maximale et la performance athlétique chez les jeunes athlètes de haut niveau

Introduction : Les maladies bucco-dentaires peuvent avoir un impact direct sur la santé générale des athlètes et les empêcher d’atteindre leur...
Revue de presse

Article réservé à nos abonnés Effets du port d’un appareil orthodontique fixe sur l’équilibre dynamique, le temps de réaction et la perception de la douleur chez les sportifs d’élite adolescents et jeunes adultes

Introduction : Des auteurs ont rapporté qu’un appareil orthodontique fixe pourrait perturber le système somatosensoriel et que l’occlusion dentaire avait une...