Situation
« Madame Adèle conduit le jeune Victorien, âgé de 9 ans, à mon cabinet pour l’extraction de plusieurs dents délabrées. Elle dit être la compagne de Jean-Claude, père du jeune patient, qui n’a pas pu se libérer. J’apprends que seule la maman de Victorien dispose de l’autorité parentale. Je prends contact avec cette dernière qui m’affirme s’opposer à toute intervention sur son fils, car elle préfère qu’il soit pris en charge par son propre praticien. Victorien souffre, et ses dents nécessitent des soins et des extractions. Madame Adèle insiste pour que je le soigne séance tenante, et je reçois un appel téléphonique de Jean-Claude qui s’emporte en m’informant que la mère de son fils, qui doit le retrouver dans deux semaines, ne prendra pas soin de lui et n’organisera aucun soin dentaire à son intention. Je suis manifestement confronté à des tensions familiales qui se répercutent sur la santé de Victorien. Que puis-je faire pour aider cet enfant ? »
Réflexions du Docteur Adelin Billaud
Attaché de consultation pédiatrique – Service d’odontologie de l’Hôpital Louis Mourier – APHP
L’enfant ne peut consentir aux soins pour lui-même. On invoque souvent sa jeunesse (ou plutôt son manque de compréhension) et sa dépendance (économique, éducation) vis-à-vis de tierces personnes (parents), pour justifier cette situation.
La relation patient/praticien peut se compliquer avec la présence du ou des parents formant un triptyque enfant/parents/praticien. Cela se manifeste en cas de désaccord entre les propositions thérapeutiques du praticien et les décisions parentales.
À de nombreuses reprises, je me suis retrouvé face à des parents voulant à tout prix qu’une carie qu’ils avaient soupçonnée dans la bouche de leur enfant soit immédiatement soignée. Or, l’enfant présente souvent plus d’une carie en bouche et un examen complet, accompagné d’un entretien expliquant l’état bucco-dentaire et les traitements envisagés, se révèle nécessaire avant tout soin, hors urgences. Il faut alors faire preuve de pédagogie auprès des parents pour qu’ils comprennent l’intérêt du traitement global de leur enfant et les rallier à la solution thérapeutique adaptée.
Ainsi, plusieurs biais au consentement donné par les parents sont mis en évidence : financier, temps alloué à l’enfant, tensions familiales, compréhension des traitements (la personne qui consent n’est pas la personne qui est soignée…).
Pour exemple, le droit suisse clarifie bien le problème posé par le consentement aux soins des enfants. En effet, ce dernier repose sur la faculté de discernement du patient, quel que soit son âge. Il revient alors au praticien de déterminer si le patient est apte à consentir.
Ce n’est pas le cas en France. Aussi, dans la situation présentée, face à un enfant encourant un risque infectieux ou douloureux, le praticien doit présenter aux parents l’intérêt de l’enfant comme primordial avant toute autre considération. Son rôle n’est pas de régler les tensions familiales, mais il pourrait inviter les deux parents pour leur présenter la situation et tenter d’expliquer la nécessité de soins… Cela semble parfois pourtant inenvisageable lorsque les parties ne veulent ou ne peuvent se rencontrer.
Par ailleurs, la compagne du père n’a ici aucun droit envers l’enfant et ne peut consentir aux soins.
Quant à la mère de l’enfant, il nous revient de lui présenter toutes les conséquences à venir en cas d’abstention thérapeutique. Rappelons que le patient (ou le représentant légal) est libre de consentir ou non aux soins qui lui sont présentés, et libre de choisir son praticien. Nous ne pouvons donc pas, hors urgences vitales, réaliser des soins sans son accord.
Réflexions du Professeur Jean-Paul Markus
Professeur agrégé des facultés de droit
Voici typiquement une situation qui peut vous revenir en boomerang, et malheureusement l’abstention pourra être la seule solution.
En principe, lorsqu’un enfant vient accompagné d’un adulte, vous devez vous assurer qu’il s’agit bien du père ou de la mère. Si c’est le cas, vous bénéficiez d’une présomption selon laquelle l’autre parent est d’accord pour les soins : selon le Code civil en effet, à l’égard des « tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant » (art. 372-2).
Cette présomption joue donc en votre faveur, vous évitant d’avoir à réclamer des justificatifs aux parents pour chaque acte usuel. Mais cette présomption n’est pas sans limites : vous devez être certain qu’il s’agit du parent ; de plus, cette présomption ne s’applique que pour les actes usuels, autrement dit curatifs et conservatoires, mais en aucun cas pour les actes destructifs ou globaux et chers, et/ou non remboursés. Enfin, vous devez être de « bonne foi ». Or vous ne l’êtes plus si l’autre parent vous appelle et refuse les soins : vous devez alors vérifier qui détient l’autorité parentale, et exiger des justificatifs.
C’est bureaucratique, mais si vous soignez l’enfant alors qu’il est accompagné de celui des parents qui n’a pas l’autorité parentale, et que l’autre parent s’y est opposé, alors vous allez contre un refus de soins. Peu importe que vous ayez agi pour soulager l’enfant, ou même que ce dernier ait consenti aux soins et qu’il ait selon vous l’âge de raison. La notion d’âge de raison, souvent placée vers 13 ans, n’a aucun fondement juridique et ne vous sera d’aucun secours en cas de plainte d’un parent contre vous. En somme, et sauf urgence, vous vous abstiendrez, non sans avoir tenté de persuader le parent détenteur de l’autorité parentale de la nécessité de soins.
Votre prudence redoublera si l’enfant arrive accompagné d’un adulte qui n’est pas le parent. Cet adulte peut être détenteur de l’autorité parentale lorsque les vrais parents en ont été déchus, mais il faut alors s’en assurer et soigner si tel est le cas. De même, il n’y a pas de problème lorsque, par exemple, après avoir commencé des soins sur un enfant accompagné de sa mère qui y a consenti, l’enfant revient pour la suite des mêmes soins, avec son grand-père ou le compagnon de sa mère.
Mais dans l’hypothèse où l’un des parents s’oppose expressément aux soins, ni vous, ni l’accompagnant, ni l’enfant n’y peut rien. Reste ensuite ce que vous inspire la situation d’un enfant souffrant, otage de querelles parentales : vous pourrez procéder à un simple diagnostic (qui normalement est aussi soumis à consentement), prodiguer des conseils, voire soulager l’enfant, mais sans aucun soin de fond. Si en théorie seule l’urgence vitale permet de contourner le refus de consentement des parents, aucun juge ne vous reprochera d’avoir fait preuve d’humanité.
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