Maître Isabelle Vigier, avocate au barreau de Paris, intervient sur l’ensemble des problématiques liées à la Santé et aux Nouvelles Technologies, au sein de son propre cabinet. Dans cette interview, elle décrit les stratégies possibles pour le clinicien qui fait l’objet d’avis de patients publiés sur Internet.
1/ Concernant l’avis du patient déposé sur Internet, que cela soit sur Google, Facebook, Yelp, voire d’autre réseaux sociaux, commençons par une question classique. Un patient dépose un commentaire inexact, négatif concernant une expérience qu’il indique avoir vécue chez ce clinicien. Que recommanderiez-vous au clinicien de faire ? Faut-il répondre systématiquement ?
Il peut être difficile pour un clinicien de savoir quelle attitude adopter dans ce cas. Il est déconseillé d’apporter une réponse systématique. Chaque avis est un cas particulier qui doit être évalué. Il peut être préférable de ne pas répondre à un avis. La réponse faite par le clinicien pourrait générer plus d’audience que le message initial. Il faudra tenir compte du site internet sur lequel l’avis a été publié, notamment l’audience du site, l’activité générée par le site, l’impact sur l’exercice professionnel, afin de déterminer l’intérêt de donner suite.
Bien entendu, il est nécessaire de conserver dès la découverte de l’avis, une copie ou sauvegarde de celui-ci par des captures d’écran, et il convient d’agir rapidement. Les patients pouvant s’exprimer sous des pseudonymes, il faudra tenter d’identifier le patient, la situation (consultation ou actes) à laquelle le patient fait référence, et les circonstances qui peuvent expliquer ladite situation et/ou la perception que le patient a pu en avoir. L’analyse devra rester factuelle. Et enfin, le clinicien devra se renseigner sur les possibilités le cas échéant d’y apporter une réponse directement auprès du site.
Pour ne pas laisser un avis négatif ou inexact à l’encontre d’un clinicien, la première recommandation est de prendre contact avec l’internaute qui a laissé l’avis afin de lui apporter des éléments d’explication et de contexte qui pourraient éclairer la situation, le cas échéant, les mesures mises en œuvre pour pallier les désagréments, et lui demander de le retirer dans une démarche amiable. Cette prise de contact doit être faite, en ayant en tête que cette demande pourrait être rendue publique par le patient, et accompagnée d’éléments pouvant être sortis de leur contexte.
Il est aussi possible d’y apporter une réponse directement sur le site en veillant à rester empathique, à ne pas créer de surenchère.
Le clinicien devra toujours veiller à respecter le secret médical, ce qui peut le limiter dans sa réponse.
2/ Ensuite, évoquons un cas plus rare : l’avis est très négatif et incite les lecteurs à ne plus consulter ce praticien. Comment répondre ? A quel moment est-il conseillé de penser à un recours à une protection juridique ?
Il peut arriver en effet qu’un praticien fasse l’objet d’un avis très négatif. Dans ce cas, après avoir réuni les éléments permettant d’évaluer la situation, tels que nous les avons vus précédemment, le clinicien devra impérativement réaliser des captures d’écran, tant de l’ensemble des éléments de l’avis, que du site internet sur lequel est publié l’avis, avec les conditions d’utilisation du site.
Ces éléments permettront de pré-constituer une preuve, dans l’hypothèse où le praticien engagerait une action judiciaire. Le cas échéant, il pourra être fait constater par huissier.
Avec ces éléments, le praticien pourra demander une analyse à un avocat pour envisager une action judiciaire ou adresser ces éléments à son assureur. Notons que certains contrats d’assurances prennent en charge les aspects liés à la réputation des professionnels de santé.
Il conviendra de procéder à une analyse des propos tenus, notamment pour vérifier si ces propos demeurent dans le cadre de la liberté d’expression du patient, ou bien s’ils sont manifestement illicites et qu’ils relèvent notamment de la diffamation, d’injures, du dénigrement ou d’une atteinte à la vie privée. Le résultat de l’analyse déterminera les actions possibles.
Les avis mentionnés sur une fiche professionnelle, telle que celle de Google My Business, peuvent faire l’objet d’une demande de suppression ou d’opposition auprès du site. Cette demande devra indiquer les motifs pour lesquels le praticien ne souhaite pas apparaitre dans cette fiche. Il est recommandé de garder une copie de cette demande. Celle-ci pourra être refusée, s’il apparait que les intérêts du site internet prévalent sur ceux du praticien.
Il est aussi possible de demander le déréférencement de la fiche des moteurs de recherches. La fiche existe toujours mais elle n’apparait plus dans les résultats de la recherche faite à partir du nom du praticien.
Dans l’hypothèse de propos illicites, des actions judiciaires peuvent être intentées. Mais cela doit être étudié au cas par cas et dans des délais relativement courts.
3/ Quelle est la jurisprudence en France concernant l’e-réputation chez les cliniciens ?
Il y a eu quelques décisions de justice introduites par des praticiens contre Google My Business pour faire supprimer des avis les concernant. Dans un premier temps, les praticiens avaient demandé à Google que les avis négatifs soient retirés. Certain de ces avis ont pu être retirés par Google qui a estimé notamment qu’ils dépassaient la libre expression. Si les avis ne portent pas atteinte à l’honneur, la réputation ou ne constituent pas une critique excessive et fautive des services du praticien, ce dernier ne pourra en obtenir le retrait.
Il a été mentionné que les praticiens avaient la possibilité de répondre à ces avis. Mais comme nous l’avons vu précédemment, répondre n’est pas toujours aisé. Si la parution en fin d’année des décrets modifiant les codes de déontologie, notamment des médecins et chirurgiens-dentistes, concerne leur communication professionnelle, ces décrets n’ont pas d’impact sur la gestion des avis négatifs sur internet.
4/ Sur un point plus positif — lorsqu’un praticien reçoit un avis particulièrement élogieux, y a-t-il une conduite à tenir ? Doit-il craindre que l’avis ne soit perçu comme de la publicité ?
Effectivement, des avis très positifs ou très élogieux à l’égard d’un praticien pourraient être interprétés comme étant de la publicité pour le praticien. En vertu de ses obligations déontologiques, le praticien ne peut pas réaliser de publicité sur son activité, il ne doit pas exercer son art comme un commerce. Aussi, il semble préférable de ne pas répondre à de tels avis afin de ne pas susciter de doutes sur la démarche du praticien. Le cas échéant, le praticien pourrait faire l’objet d’interrogation de la part de son ordre professionnel qui souhaiterait comprendre la provenance de ces avis.
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