Les dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) peuvent faire l’objet de divers symptômes parmi lesquels les douleurs ou limitations des fonctions manducatrices constituent les principaux motifs de consultation. L’étiologie de ces DTM est le plus souvent multifactorielle avec des mécanismes pathogéniques complexes interdépendants sur lesquels il est difficile d’agir précisément et simultanément. Les orthèses de libération ou de repositionnement occlusale sont réputées efficaces pour offrir tout au moins un traitement symptomatique des expressions cliniques les plus gênantes de ces DTM, mais elles peuvent aussi jouer un rôle plus efficient dans une prise en charge thérapeutique plus globale, elle aussi multifactorielle. Ce dernier aspect, qui semble moins connu de l’ensemble des praticiens, a fait l’objet d’une évolution des stratégies thérapeutiques des DTM incluant l’utilisation des orthèses occlusales dans un rôle bien précis qui a lui aussi bien évolué en battant en brèche certains dogmes ou idées reçues plus ou moins établis.
Qu’en est-il des connaissances et des pratiques des praticiens français en matière de prise en charge des DTM à l’aide des orthèses occlusales ? C’est la question à laquelle l’équipe 100 % marseillaise auteure de l’article rapporté a cherché à répondre par une étude transversale réalisée à l’aide d’un questionnaire anonyme diffusé grâce à la participation de 31 conseils de l’Ordre départemental des chirurgiens-dentistes (sur 101), entre le 28 mai et le 17 juillet 2018. 771 réponses furent ainsi collectées pour constituer un échantillon considéré comme largement représentatif des plus de 41 500 dentistes français, même si on peut regretter qu’aucune donnée considérant la répartition géographique des réponses collectées sur le territoire français ne soit donnée ni analysée. Le but de cette étude était donc de comparer les pratiques habituelles des praticiens qui ont accepté de répondre au questionnaire aux bonnes pratiques selon les données actuelles de l’occlusodontie clinique. Les premiers résultats présentés révèlent que le sujet ne relève pas d’une thérapeutique d’exception puisque la plupart des praticiens déclarent réaliser entre 1 et 5 orthèses occlusale par mois.
Concernant la prise en charge des patients souffrant de DTM, la première ligne de solutions thérapeutiques à envisager concerne la rééducation comportementale et la physio- et/ou Kinésithérapie, mais celles-ci sont bien trop peu envisagées en première intention au profit de concepts plus mécanistes relevant d’approches désormais obsolètes. Les auteurs soulignent toutefois que les plus jeunes praticiens sont plus nombreux à favoriser les thérapies comportementales, ce qui suggère une récente inclusion de ces concepts dans certaines facultés. Concernant l’usage des dispositifs occlusaux proprement dit, moins de 20 % des praticiens font usage de dispositifs de déprogrammation antérieurs ou de jig, alors qu’ils constituent une solution thérapeutique souvent utile et facile à mettre en œuvre pour lever des contraintes musculaires. Toutefois, plus de la moitié de ceux qui les utilisent les font porter beaucoup trop longtemps à leurs patients (de 2 semaines à 6 mois), alors qu’ils sont contre-indiqués au-delà de 3 à 4 jours. Les auteurs déplorent un manque de connaissance évident concernant l’usage et les indications des dispositifs antérieurs de déprogrammation musculo-articulaires. L’orthèse de stabilisation occlusale est le dispositif le plus largement employé en première intention par les praticiens ayant répondu au questionnaire, mais elle est, selon les auteurs, prescrite le plus souvent de manière excessive et en dehors de leurs bons domaines d’indications.
D’abord, un quart des praticiens utilisent des résines souples qui tendent à aggraver les parafactions, alors que seules les résines dures sont prouvées efficaces. Par ailleurs, les orthèses sont souvent considérées comme le seul moyen thérapeutique efficace pour soulager le patient, alors qu’elles ne devraient être en fait qu’une partie du traitement dans une prise en charge globale incluant une thérapie psychocomportementale, qu’elles ne devraient être portées que la nuit, de manière discontinue et pour une période de 1 à 2 mois au maximum. Les auteurs considèrent en effet les orthèses non pas comme des dispositifs non invasifs, mais plutôt comme des dispositifs temporaires minimalement invasifs.
Le port diurne pourrait en effet induire une dépendance à ce dispositif qui contrarierait la possibilité d’agir efficacement sur l’aspect comportemental. Seulement 30 % des praticiens participant indiquent faire procéder à un réglage de l’orthèse sur des moulages montés en relation centrée (RC) sur articulateur et procéder à un ajustage des réglages en bouche pour corriger les imprécisions de l’articulateur et obtenir des contacts uniformes en RC, un guidage antérieur (en propulsion et en diduction). Le dernier dispositif occlusal évoqué par les auteurs est un dispositif de repositionnement de la mandibule en antéposition porté environ 3 à 6 mois, suivi parfois de l’établissement d’un nouveau schéma occlusal thérapeutique à l’aide d’un traitement de réhabilitation complète des arcades ou d’un traitement orthodontique. Mais ce type de dispositif n’est évoqué dans les réponses que par les praticiens qui maîtrisent effectivement cette technique.
Les auteurs concluent que de trop nombreuses erreurs d’indications et d’applications sont encore réalisées par une majorité de praticiens dans la prise en charge des DTM. Ils plaident alors pour une meilleure intégration des recommandations internationales actuelles dans les facultés dentaires et parmi les différents programmes de formations continues.
Questions à… Jean-Daniel Orthlieb
Ancien PU-PH à la Faculté d’odontologie d’Aix-Marseille Université, responsable de la discipline fonction-dysfonction, du CESU, du DESU d’occlusodontie et d’une consultation spécialisée au CHU de Marseille la Timone, membre actif du CNO, conférencier international et co-auteur de l’étude rapportée.
L’un des premiers résultats de cette étude montre le manque de considération des praticiens pour les thérapeutiques dites non mécanistes dans la prise en charge des DTM en première intention. Pouvez-vous expliquer simplement l’intérêt de ces thérapies au niveau physio-comportemental et la façon de les appliquer ou les prescrire en pratique ?
Jean-Daniel Orthlieb : Myoarthropathie de la mâchoire, le DTM est un trouble fonctionnel, c’est-à-dire qui relève d’une approche fonctionnelle comme actuellement on opère beaucoup moins les discopathies lombaires ou les arthroses du genou.
Nous sommes loin de l’époque du 100 % gouttière occlusale, et encore plus loin du 100 % équilibration occlusale, pour une raison très simple : on obtient de meilleurs résultats, plus durables, avec des moyens simples. On cherchera toujours la voie la moins invasive (auto-contrôle, auto-exercices, physiothérapie, gouttière). « Le mouvement, c’est la vie. » Avec la physiothérapie, en particulier la gymnothérapie réalisée quotidiennement par le patient en autonomie, on augmente la mobilisation, les échanges trophiques, au niveau des muscles et des articulations, on relâche les contractures, on libère les fibroses, les adhérences, les autolimitations. Tout cela avec un patient acteur de son traitement qui favorise le retour à un équilibre homéostasique, c’est-à-dire à une adaptation du système. Dans le traitement de DTM, il ne s’agit plus de vouloir recréer des structures idéales mais une adaptation des structures, même altérées (désunion disco-condylienne par exemple) aux fonctions à réaliser. Une approche fréquente consiste à prescrire des exercices de diductions douces sans contact occlusal : une dizaine de mouvements 5 à 6 fois par jour, auxquels on associe parfois des étirements et un encadrement par le kinésithérapeute. L’approche psycho-comportementale constitue un deuxième volet aussi indispensable pour générer une remise en confiance et diminuer les contraintes parafonctionnelles.
L’article nous apprend aussi que les orthèses occlusales sont souvent mal réalisées, mal indiquées, mal employées ou prescrites pour soulager les DTM. Expliquez-nous les erreurs à ne surtout pas commettre et les points les plus fondamentaux à respecter pour les utiliser de la manière la plus simple et la plus efficiente possible.
J.-D. O. : La première erreur consiste à ne pas savoir à quoi sert une gouttière. Quels sont les objectifs ? Les principaux sont : protéger des structures dentaires fragiles d’un bruxisme excessif, diminuer les réflexes de crispation de sommeil, protéger une ATM enflammée, compenser un déséquilibre occlusal, repositionner la mandibule.
La deuxième erreur consiste à ne pas expliquer clairement au patient le but recherché : diminuer les contraintes pour favoriser les modifications comportementales et générer un reconditionnement tissulaire musculo-articulaire, créer un sentiment de protection. Le port sera transitoire le plus souvent pendant le sommeil, environ 8 semaines.
La troisième erreur consiste à risquer de générer des effets iatrogènes. Par exemple, une gouttière molle peut générer des hyperactivités musculaires (réflexe de mâchonnement) ; une gouttière partielle générer des migrations dentaires ; une gouttière portée sur une longue durée peut générer une dépendance délétère.
La gouttière occlusale doit être rigide, le plus souvent lisse, recouvrir complètement l’arcade concernée (plutôt mandibulaire pour le DTM, plutôt maxillaire pour le bruxisme), établir des contacts occlusaux répartis sur toute l’arcade en Relation Centrée (RC) pour la gouttière de reconditionnement, dans une position mandibulaire en avant de la RC pour la gouttière d’antéposition, créer un guidage occlusal pilotant la mandibule vers sa position de fermeture sans interférence. En pratique conventionnelle, l’utilisation d’un articulateur ne fait pas perdre mais gagner temps et qualité, alors que l’équilibration d’une gouttière directement en bouche est longue, débouchant sur un résultat le plus souvent médiocre. Le numérique ne change rien aux objectifs, mais il peut apporter de la simplicité avec un bon niveau qualitatif si la position mandibulaire thérapeutique est correctement enregistrée.
En 2016, un guide de recommandations des bonnes pratiques a été publié par la Société Française de Chirurgie-maxillo-faciale et
Chirurgie orale en collaboration avec le Collège national d’Occlusodontie, la société Française d’ODF et la société Française de Chirurgie orale. Encore d’actualité, il est en accès libre : https://bit.ly/37ulXUL
Il est nécessaire de remarquer que, concernant les DTM, la codification des actes (CCAM) est ubuesque. La rédaction des items est incompréhensible, sans rapport avec les bonnes pratiques, par exemple il n’existe pas de cotation pour une séance de rééducation cognitivo-comportementale, ou de gymnothérapie, alors que c’est le cœur de la prise en charge actuelle des DTM.
Un travail important de sensibilisation et de formation reste à faire pour une meilleure application des bonnes pratiques dans la prise en charge des DTM, et l’étude rapportée ne donne pas de résultats sur la répartition territoriale des connaissances. En tant qu’ancien professeur des universités, quelles recommandations formuleriez-vous pour une meilleure intégration et uniformisation de l’enseignement des recommandations internationales actuelles dans toutes les facultés de France ?
J.-D. O. : À l’heure actuelle, il existe des recommandations internationales étayées générant un consensus très largement partagé en France et ailleurs dans le monde quant au diagnostic, à l’étiologie et aux approches thérapeutiques des DTM. Ce consensus s’exprime depuis plusieurs années, par exemple au Collège National d’Occlusodontologie fréquentés par la plupart des enseignants concernés des différentes facultés d’odontologie françaises.
Les programmes d’enseignement ont été discutés et proposés dans le passé dans le cadre du collège des enseignants du département « fonctions et dysfonction, imagerie et biomatériaux ». Sur les DTM, il est conseillé un module d’enseignement théorique (plutôt sous forme de TD) d’une dizaine d’heures, des TP sur l’examen clinique, l’interprétation d’imagerie et sur les gouttières ; le tout en cinquième ou en sixième année. Une pratique clinique dans les centres hospitaliers est également importante. Par exemple à Marseille, les étudiants en fin de sixième année doivent au minimum avoir pris en charge complètement un patient DTM.
Quels conseils donneriez-vous aux praticiens déjà diplômés pour acquérir le minimum de compétences nécessaire vis-à-vis de ces bonnes pratiques grâce à la formation continue ?
J.-D. O. : Pour rebondir sur la question précédente, l’éducation doit commencer par la formation initiale. Le problème de cette formation initiale n’est pas dans le contenu qui me semble bien défini et consensuel, mais dans les ressources humaines dédiées, dans nos facultés, à ce domaine clinique. Il faut bien reconnaître l’appauvrissement du recrutement des enseignants dans les domaines cliniques en général et en « occluso » en particulier, cinquième roue de la charrette. « L’occluso » est souvent mal connue, voire ignorée des dirigeants universitaires ; cette discipline a souffert dans le passé de stupides querelles de chapelles liées à des esprits étroits, alors qu’au contraire elle représente une discipline harmonisée, structurée, complètement transversale qui s’est remarquablement ouverte à la médicalisation de la profession. Cet appauvrissement universitaire ouvre toutes grandes les portes aux formations continues. De par ma culture, je privilégierais les formations universitaires, à Marseille bien sûr…, mais il en existe quelques-unes en France. La prise en charge des DTM relève de l’omnipraticien ; seuls quelques cas, plus complexes, sont à adresser à un « spécialiste » ; cet omnipraticien peut acquérir ou actualiser les connaissances nécessaires dans les différentes offres de formations proposées actuellement, universitaires ou non.
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